Shane MacGowan s’en est allé au paradis des rockers
« Il est mort, le poète ». Et c’est non seulement l’Irlande qui est en deuil, mais avec elle tous ceux qui, sur la planète, ont aimé les œuvres de cet auteur-compositeur-chanteur d’exception dont la voix altérée par l’alcool a fait des Pogues un groupe de premier plan atypique, mais ô combien attachant. Shane MacGowan s’est éteint le 30 novembre, prématurément usé par les excès, et « c’est une calamité »…
Avec ses oreilles décollées, sa dentition chaotique et son regard parfois perdu dans on ne sait quel abîme, Shane MacGowan avait une « gueule » reconnaissable entre toutes dans la galaxie folk punk rock. Accro au tabac, à l’alcool et aux drogues depuis son adolescence, cet artiste d’exception, à la personnalité tout à la fois simple dans ses rapports à autrui et empreinte de tourments intérieurs, a toujours été caractérisé par un mode de vie autodestructeur, hérité de sa fascination de jeunesse pour le mouvement punk, alors porté par les Sex Pistols et les Clash.
Le succès des Pogues – le groupe antisystème et anti-Thatcher qu’il a créé en 1982, initialement sous le nom gaélique provocateur Pogue Mahone (embrasse mon cul) – a lui-même été incapable d’enrayer cette dynamique autodestructrice. Au point que, malgré son immense talent, ce créateur hors pair a été viré de sa propre formation à la suite de dérapages répétés*, et amené à fonder un nouveau groupe, Shane MacGowan and The Popes. Hélas ! les mêmes causes ont fini par produire les mêmes effets, au grand dam de tous ceux qui s’étaient attachés à ce personnage hors du commun.
Bien qu’il soit né à Pembury, dans un village de la campagne anglaise du Kent où ses parents irlandais travaillaient alors, Shane MacGowan a été élevé en Irlande. Très tôt, le garçon, doté d’une grande sensibilité et d’une sympathie marquée pour la cause irlandaise, a été imprégné de la culture celtique si profondément ancrée dans ce pays. Il est vrai qu’il avait de qui tenir sur ce plan : sa mère se produisait comme chanteuse et danseuse traditionnelle, et son père, en fin connaisseur de la littérature irlandaise, avait eu à cœur de lui transmettre cet héritage intellectuel.
On retrouve tout naturellement ces racines irlandaises dans les albums des Pogues où Shane MacGowan et les musiciens du groupe ont repris des titres traditionnels arrangés par leurs soins. Ils ont aussi et surtout interprété dans leurs albums nombre de superbes compositions, tantôt poétiques, tantôt sur-vitaminées, signées MacGowan. On pense notamment au conte de Noël Fairytale of New York (co-écrit avec Jem Finer), devenu incontournable dans les pays anglo-saxons. Ou bien encore à Kitty, A Rainy Night In Soho, The Broad Majestic Shannon, Fiesta et bien d’autres.
Shane MacGowan a en outre donné un formidable écho à deux chansons magnifiques. L’une, aussi terrible qu’émouvante, And The Band Played Waltzing Matilda, a été écrite par l’Australien Eric Bogle en hommage aux soldats australiens engagés en 1915 dans la bataille des Dardanelles. L’autre, Dirty Old Town, est l’œuvre de l’Anglo-Écossais Ewan MacColl ; bien que le décor en soit une ville industrielle anglaise anonyme, cette très belle chanson, reprise par des dizaines de groupes dans le monde, est, grâce à Shane MacGowan, désormais considérée comme faisant partie intégrante du patrimoine irlandais.
Les obsèques de Shane MacGowan – décédé dans sa 65e année – ont eu lieu le vendredi 8 décembre à Nenagh, dans ce comté de Tipperary où il avait passé ses premières années. Étaient présents au côté de son épouse Victoria Mary Clarke de très nombreux artistes dont Nick Cave, les musiciens des Pogues et l’acteur Johnny Depp. Plusieurs hommages ont été rendus en musique au disparu dans le cadre de l’église où a été célébré l’office funèbre de cet homme, tout à la fois croyant et « destroy ».
Plus tôt dans la journée, ce sont des Dublinois très émus qui ont tenu par milliers à saluer la mémoire de Shane MacGowan lors d’un défilé funéraire organisé dans les rues de la capitale irlandaise. Là aussi, la musique a été omniprésente, et l’on a notamment pu entendre, entonnées par la foule, Fairytale of New York et Dirty Old Town, deux titres désormais indissociables de la personnalité de l’artiste.
Des hommages dont il ne fait aucun doute qu’ils ont dû se poursuivre longtemps après, et probablement jusqu’au bout du week-end, dans les pubs du quartier Temple Bar où l’on a bu moult pintes de Guinness, les unes pour oublier le décès du poète, les autres pour se souvenir de son immense talent. Sláinte, Shane !
* Nul ne pouvait savoir, à quelques minutes du début d’un concert, dans quel état Shane MacGowan entrerait en scène.
Quelques liens musicaux :
The Band Played Waltzing Matilda
The Fairytale of New York (en duo avec Kirsty MacColl)
Misty Morning, Albert Bridge (Jem Finer)
The Wild Rover (trad.)
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