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« Si d’aimer... » de Hemley BOUM, un énorme cri d’amour par delà le drame

Ce roman est mon gros coup de cœur pour ce trimestre. Peut-être parce que je m’y attendais absolument pas. Il s’inscrit dans mes dernières lectures qui brosse des réalités africaines du quotidien et que j’estime beaucoup plus efficaces que cent mille traités anthropologies sur "les us et coutumes des peuplades autochtones".

J’ai lu "Si d’aimer..." (éditions La Cheminante, 2012) de Hemley Boum un peu par hasard, en me souvenant d’une rapide recommandation faite par un ami, et me trouvant chez mon libraire préféré je l’ai commandé. Il a traîné un peu sur mes étagères avant que je ne l’ouvre et que je sois aspiré littéralement dans ce livre. Les lectures chocs ne sont pas si fréquentes, celle-la en fut une.
Cependant, je ne savais pas par quel bout prendre la chronique de ce livre. Je n’arrivais pas à décanter en moi l’émotion et les sentiments contradictoires qu’ont provoqué l’auteur camerounais. Je me disais que la chronique potentiel de ce livre irait rejoindre celles qui gisent au cimetière des éléphants de mon cerveau, en compagnie des "American Prophet" (Paul Beatty), "Blessé" (Percival Everett) ou autre "Chroniques abyssiniennes" (Moses Isegawa) ; livres dont les lectures m'ont époustouflé au point de ne pas arriver à mettre de mots sur mes émotions. Le bloggeur Laréus Gangoueus n'en pense pas moins quand il dit "« Si d’aimer… » est sûrement le plus beau roman qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois."



Puis, un jour de pleine lune (oui, lune camouflé par le brouillard de pollution parisien, mais lune quand même !), les mots sont venus et j'ai eu l'envie féroce de parler de mon très bon moment de lecture.

Le thème de ce roman pourrait paraître classique. Un homme volage (Pacôme), une épouse parfaite trompée (Salomé Béma), la copine rigolote et délurée (Valérie) et la prostituée de luxe (Céline). Et déjà, l'introduction d'un cinquième larron (Moussa), sort le livre de son classisme car, dans un banale triangle amoureux (Salomé-Pacôme-Céline), que viendrait faire un Moussa dans l'histoire ? D'autant que l'auteur prend un malin plaisir à faire s'alterner les voix de Salomé, Valérie et Moussa comme conteurs qui, chacun, détient un bout de la réalité, à défaut de la vérité. Céline, et Pacôme, les deux seuls qui semblent muets sont, au contraire, omniprésents dans le récit. Tout tourne autour de ces deux personnages que, pourtant, jamais on entend directement.

Un des choses, particulièrement réussie du roman, et qui marque dès les premières pages est la peinture qui est faite des des rapports entre les milieux sociaux dans cette ville Camerounaise. Un portrait social très intéressant. Le rapport entre les gens, entre les riches et les pauvres. L'hypocrisie sociale, choisie volontairement, pour conforter l’image du "couple idéal" à qui tout réussi (qui ferait plaisir à Aurore Foukissa et sa nouvelle "Posture" dans le recueil de nouvelles "Sous mes paupières, extérieur vies").

L’approche polyphonique de ce roman est particulièrement bien trouvé. L’auteure passe d’un chapitre à l’autre par les voix des différents personnages de façon alternative et met le lecteur dans la tête de celui qui s’exprime. Ça nous aide à "voir" les points de vue de chacun : les espoirs, les combats, les concessions et c’est d’une grande richesse.


Salomé est un personnage très intéressant que j’ai rarement vu brossé dans les romans d’africain. Femme de très bonne famille - qui ne sait même pas que les beignets vendus dans la rue sont pour l'alimentation humaine -, belle à en mourir, ayant fait de superbes études dans les meilleurs institutions et - semble-t-il - comblée dans sa vie de femme mariée. Elle va devoir affronter ses propres démons et son éducation. C’est le genre de femme que l’on verrait dans la rue et qui nous impressionnerait pas sa prestance, son port et sa beauté alors qu’elle cache tellement de failles, de faiblesses et de doutes !

« Renoncer a voir s'éclairer un jour les zones d'ombre du passe, laisser a chacun des protagonistes de notre enfance sa part de mystère, lui reconnaitre une présomption d'innocence. C'est peut-etre cela devenir adulte. Seul l'enfant peut juger et distribuer les rôles, d'un cote les bons, de l'autre les méchants. L'adulte lui sait ce qu'il en coûte de persévérer et a quel point les frontières sont fragiles. »


Valérie et sa pétulance m’ont séduit. Boule d’énergie et dévoreuse invétérée d’hommes. En fait les blessures de son enfance ont fait sa personnalité. Elle se croit forte, le lecteur pourrait la croire forte mais c’est une traumatisée du couple avec un œdipe non réglé qui fout le bordel dans sa tête. C'est aussi le prototype de ce que Cédric Moussavou, chroniqueur littéraire, désigne sous le terme de "Femme 2.0". Celle qui vit sa vie hors du carcan des désirs de la société. Qui fait les choix de prendre sa vie et main et d'en faire ce qu'elle désire. Mais, entre les lignes, ses failles nous révèlent que les choix "volontaires" sont surtout les conséquences des choix subit dans le passé des adultes.

« Ma vie n’est pas un roman. C’est une longue chaîne de négociation avec moi-même, de colmatage de brèches et de petites satisfactions. Ma mère, mon métier de médecin, mes amis, mes hommes, mon refus du mariage et de la maternité. J’avance comme je peux, j’essaie de ne pas trop regarder en arrière, je suis seule à connaitre le prix de mes choix et de mes désistements. Je ne suis pas un livre ouvert à tous vents, j’ai besoin de mes secrets comme des vêtements dont je me pare. Comme des chaussures à talons hauts qui me font paraître plus grande que je le suis en réalité. »


Moussa. Mon personnage. Je serai un Moussa si j’avais eu sa naissance difficile. Enfin, j’aurai aimé être un Moussa. Droit, combattant sacrificiel pour sa famille resté au village. Prêt à tout pour tout le monde et notamment pour Céline. Moussa c’est l’Egide de Céline, celui par qui elle peut s'exprimer, elle peut montrer au lecteur le pourquoi de ses choix et le prix - fort - qu'elle paye. Céline n'est pas muette grace à Mouss, Céline nous plonge dans les ténébres de son parcours et nous sommes prisonnier, autant que Moussa, de cet attachement que nous ne pouvons pas ne pas avoir pour Céline, la fille facile. Très fort.

Céline… Elle c’est la version hard-core de la Caméruineuse Sissi, personnage du roman "Les aventures de Sissi" de Reine Mbéa. Avec elle, Hemley Boum nous fait visiter les bas-fonds, la misère qui côtoie l’insolente richesse et qui survit en vendant son âme au diable Luxure. Avec elle nous sommes dans le "Famille je vous hais" qui laisse une blessure que l’on espère voir cicatriser, jusqu’au bout. La noirceur de ceux que l’on aime, ceux pour qui l’on s’est damné et qui n’attendent que notre perte pour se repaître des restes sonnants et trébuchants de nos dépouilles. Céline.

Pacôme est le personnage, en réalité, pillier de ce drame. Il est partout. source de déchéance et de rédemption pour tous. En même temps charismatique et à la personnalité floutée. Lâche par ses choix de vie et - presque - attendrissant dans les gifles que la vie lui donne. Cependant, je dois avouer que c'est le personage qui m'a laissé le plus sur ma faim. Trop d'incohérences dans son évolution psychologique à mon goût, mais sont-ce vraiment des incohérences ou le symbole d'un homme qui avance dans la vie sans cap véritable ? Il semble choisir mais en fait subit les choix des autres et les conséquences de ses faiblesses. Je ne sais, en fait, que penser de cet homme qui ne ou est revelé que par les voix de salomé, de Valérie et de Céline à qui Moussa prête sa voix. Oui, il faut suivre...


Cependant, j'ai, évidemment, des petits bémols.

Ma première réserve vient de la voix de Moussa. Lui, l’homme du peuple, celui a arrêté les études au Bac (si je m’en rappelle bien) a - presque - le même ton dans son propos que ceux comme Salomé, Valérie, Pacôme ont fait des études de très haut niveau (Valérie est Chirurgienne). Non pas qu’il eut fallu lui donner un propos moins intelligent, moins aboutit, puisque la sagesse n’a que faire des études, mais un langage différent, un vocabulaire différent de ceux des autres auraient, à mon sens, donné encore plus d’épaisseur à cet homme du peuple à la fidélité de Saint-Bernard. A ce bémol, l'auteur Hemley Boum a répondu (à l'occasion d'une rencontre "Palabres autour des arts" qui lui fut consécrée) "Moussa se parle dans sa tête, dans sa langue probablement et il la maitrise sans doute aussi bien que les plus érudits des utilisateurs du français". Ce qui annule mon bémol :-)

Ma seconde réserve c’est le dénouement, le choix ultime de Salomé qui après avoir porté aux nues l’amour tendre et non-exigeant, fait le choix du tumulte. Cela fait quatre romans écrits par des dames pour lesquels les dénouements m’ont fait dire "un homme n’aurait jamais écrit ce choix-là". Aux rencontres "Palabres autour des arts" nous avons une fois débattu sur l’impact du genre dans l’écriture. Je suis de moins en moins d’accord avec mon propos d’alors. Le genre, je le crois, n’influence pas le style qui est lié à la personnalité, mais s’agissant de l’imaginaire, les choix faits par les personnages, c’est une autre paire de manche.


Il y a également quelques longueurs et lourdeurs notamment quand l’auteure veut faire preuve de pédagogie sur la problématique du SIDA. Mais, même là, l'auteure ne cède pas à la sinistrose. Elle reste très positive dans la narration et dans l'évocation de ce fléau notamment quand elle introduit l'utilisation des trithérapies. Bien sûr que les difficultés liées à cette maladie et à l’état de délabrement des structures sanitaires locales sont plus que révoltantes, mais il y a dans le récit de Hemley Boum quelque chose de positif, une lumière dans le combat.

Ce roman est mon gros coup de cœur pour ce trimestre. Peut-être parce que je m’y attendais absolument pas. Il s’inscrit dans mes dernières lectures qui brosse des réalités africaines du quotidien et que j’estime beaucoup plus efficaces que cent mille traités anthropologies sur "les us et coutumes des peuplades autochtones".
Très très beau roman. Bravo à l’auteure.

 

PS : L'auteure parle de son roman en compagnie de Yvan Amar dans l'émission "La danse des mots"

Et, dans le cadre d'une rencontre "Palabres autour des arts" tenue le 13 septembre, Hemley Boum s'est livrée à l'exercice du "Face-à-Face" avec Aurore Foukissa, chroniqueuse.

http://www.sudplateau-tv.fr/litteratures/item/2807-palabres-autour-des-arts-face-%C3%A0-face-avec-hemley-boum

 

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"Si d'aimer..."

Hemley BOUM

Editions La Cheminante, 2013


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