Simone de Beauvoir, figure de l’imposture qui perdure
Ce qui anime les imposteurs n’est pas la défense des opprimé·e·s de toute sorte, mais celle de leur ego, ainsi que de leur propre classe et de ses privilèges.
"J’étais entrée dans un monde de relations complexes qui entraînaient des imbroglios lamentables, des calculs minables, de constants mensonges entre lesquels ils veillaient attentivement à ne pas s’embrouiller. J’ai découvert que Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles une chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou faut-il le dire plus grossièrement, de la rabattre sur Sartre.(…) Leur perversité était soigneusement cachée sous les dehors bonasses de Sartre et les apparences de sérieux et d’austérité du Castor. En fait, ils rejouaient avec vulgarité le modèle littéraire des Liaisons dangereuses".1
Bianca Lamblin ajoute que Simone de Beauvoir « s’était arrangée pour que Deirdre Beir [sa biographe] n’entre pas en contact avec moi, de façon à demeurer la seule source d’information sur notre histoire commune. »2
Simone de Beauvoir fut exclue de l’Éducation nationale en 1943 après une plainte pour détournement de mineure portée par la mère de l’une de ses victimes, qui estimait aussi que Beauvoir servait de rabatteuse pour Sartre. (Après quoi Sartre, qui récupéra pour lui-même le poste d’un professeur qui avait refusé de signer pour garantir qu’il n’était pas juif, trouva à Beauvoir un emploi de chroniqueuse à Radio Vichy, où elle causa de music-hall à côté de programmes comme La milice vous parle). Il est reconnu, d’après ce qu’elle-même et d’autres en témoignent, que Beauvoir s’est soumise aux conditions de Sartre quant à leur vie de couple – et qu’intellectuellement, elle s’est soumise aussi à ses idées, le suivant docilement au cours des années. Cette femme et romancière froide, qui n’aimait pas les enfants, qui n’aimait pas les animaux, qui ne touchait pas au produits laitiers, qui croyait à une séparation radicale entre l’humain et le naturel, a développé dans Le Deuxième sexe une vision d’épouvante du corps féminin, de la grossesse, de l’enfantement, de la maternité. À propos de la grossesse et de l’accouchement s’enchaînent sous sa plume sans grâce les « problèmes », l’ « angoissant », le « singulièrement effrayant », les « terreurs », la « maudite », la « mutilation », l’ « impotence », la femme « jouet de forces obscures… ballottée, violentée », le « martyre », l’ « instrument souffrant, torturé »… Tandis que celles qui aiment la maternité sont qualifiées de « pondeuses » qui « cherchent avidement la possibilité d’aliéner leur liberté » de femme « aliénée dans son corps et dans sa dignité sociale »… Selon elle « dans le sein maternel, l’enfant est injustifié », il est « un polype né de sa chair et étranger à sa chair » qui « va s’engraisser en elle », elle qui est « la proie de l’espèce », comparée aux « autres femelles mammifères » et autres « femelles domestiques », « déformée, enlaidie » par la grossesse. Bref, « celles qui traversent le plus facilement l’épreuve de la grossesse, ce sont d’une part les matrones totalement vouées à leur fonction de pondeuse, d’autre part les femmes viriles qui ne se fascinent pas sur les aventures de leur corps. »3
C’est ainsi que la volonté de libérer les femmes se change sous nos yeux en manifestation d’une peur panique puritaine du corps des femmes, une gynophobie que les mâles religieux de toutes les religions réunies ne sauraient dépasser. Toujours selon Beauvoir, une fois l’enfant né la femme « est stupéfaite de l’indifférence avec laquelle elle l’accueille » et une fois sorties de l’hôpital beaucoup « commencent à le regarder comme un fardeau ». Autant dire que « l’allaitement ne leur apporte aucune joie, au contraire, elles redoutent d’abîmer leur poitrine ; c’est avec rancune qu’elles sentent leurs seins crevassés, leurs glandes douloureuses ; la bouche de l’enfant les blesse ; il leur semble qu’il aspire leurs forces, leur vie, leur bonheur. Il leur inflige une dure servitude et il ne fait plus partie d’elles : il apparaît comme un tyran ; elles regardent avec hostilité ce petit individu étranger qui menace leur chair, leur liberté, leur moi tout entier. » Il y en a encore des pages, jusqu’à la « haine déclarée » et les « mauvais traitements » pour les pires cas – mais selon elle les mères ordinaires sont incestueuses, sadiques, dominatrices…4 Certes de telles mères existent, mais Beauvoir s’aveugle en ne faisant pas le lien entre le dégoût du corps féminin qu’elle exhibe elle-même et ses conséquences sur la maternité. C’est ainsi qu’une intellectuelle pour le moins gravement névrosée a engagé pour des décennies le féminisme dans une voie d’épouvante qui continue à montrer sa nuisance aujourd’hui. À parler de ce qu’elle ne connaissait pas, Beauvoir a, comme les prêtres sur la sexualité, engagé celles et ceux qui la suivent dans l’erreur absolue, d’autant plus dramatique qu’elle concerne le rapport à l’enfant.
Son féminisme, seul domaine de pensée qui lui fut propre (et non un suivisme de Sartre) exprime et véhicule en vérité une haine et un mépris des femmes qui s’illustre également dans son existence, semée des multiples viols mentaux imposés à des jeunes filles et jeunes femmes dont elle fit des jouets sexuels pour elle et pour Sartre – tout en niant toujours sa bisexualité. Tant d’aliénation pour une chantre de la libération des femmes répugne d’autant plus que l’imposture demeure assez rarement admise.
Michel Onfray y revient :
"La publication des lettres en 1990 montre l’envers du décor : une Simone de Beauvoir méchante, envieuse, manipulatrice, calculatrice, intrigante, mesquine, hypocrite, menteuse. (…) À la rentrée scolaire 1937, Bianca Lamblin a seize ans ; Beauvoir vingt-neuf ; Sartre, trente-deux. Beauvoir porte de fausses nattes et de petits cols blancs qui, dans la chambre, se révèlent des plastrons postiches. Elle fait cours pour les meilleures élèves et montre un mépris cinglant pour les autres. (…) Beauvoir entretient des relations sexuelles avec sa jeune élève, puis elle l’envoie dans les bras de Sartre (…) la jeune fille a dix-sept ans, Sartre trente-trois. (…) Sartre conduit sa jeune victime dans un hôtel où il lui dit : « La femme de chambre de l’hôtel va être bien étonnée, car hier j’ai déjà pris la virginité d’une jeune fille. » (…) Lorsque Sartre rompt avec Bianca, qui est juive, nous sommes en 1940, dans la France de Vichy qui, nul ne l’ignore, déporte les juifs dans les camps de la mort. Beauvoir écrit de la jeune victime qu’elle « hésite entre le camp de concentration et le suicide (…) Je me suis réjouie de votre rupture. » (…) Bianca Lamblin découvre, lors de la parution de la correspondance, que Beauvoir recourt aux poncifs antisémites pour parler d’elle. (…) Ce couple prétendument libre fut un assemblage machiste d’un Sartre douloureusement subi par Simone de Beauvoir. »"5
Quant à Shlomo Sand, il raconte que, après que Bianca, née Bienenfeld, avait été obligée de se réfugier en « zone libre » pour se cacher dans le Vercors,
"les deux mandarins ne prêtèrent aucune attention à leur ex-petite amante pendant les quatre années d’Occupation : pas le moindre message, le moindre télégramme, le moindre appel téléphonique ne parvint à celle qui avait dû s’enfuir, à cause de son origine. Lorsque le couple s’est rendu en vacances dans le sud, pendant des congés scolaires, il n’a pas cherché non plus à s’enquérir de sa situation. Les discussions ardentes dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, sur l’authenticité et l’existentialisme, ne leur ont pas laissé le temps de manifester de l’intérêt pour le danger existentiel vécu par l’amante abandonnée et persécutée, et dont le grand-père et la tante ont été assassinés dans les camps. (…) Le fait que l’intellectuelle qui avait signé un texte attestant qu’elle était « aryenne » ait agi de façon si désinvolte et inhumaine envers son ancienne amante qui, contrairement à elle, ne pouvait pas se déclarer de race pure, fit définitivement voler en éclats le reliquat d’estime intellectuelle et morale que j’avais longtemps conservé pour mes héros parisiens".6
Bernard-Henri Lévy, lui, prenant le parti du couple germanopratin, écrit dans son Siècle de Sartre : « Sartre baise avec Bianca mais c’est avec le Castor qu’il jouit. » (Il veut parler de leurs échanges épistolaires). Puis, racontant qu’un jour leur jeune amante leur annonce à tous deux qu’elle est enceinte, il commente l’épisode ainsi : « c’est, pour l’un comme pour l’autre, la chose la plus répugnante, et, sans doute aussi, la plus comique qui puisse arriver à un corps de femme. »7 Hommes ou femmes, les imposteurs, manipulateurs pleins de leur sentiment de supériorité, s’entendent. Ce qui les anime n’est ni la défense des femmes ni celle des opprimés de toute sorte, mais celle de leur propre classe et de ses privilèges. De leur ego. C’est toujours vrai, cela se passe tous les jours, partout.
1 Bianca LAMBLIN, Mémoires d’une jeune fille dérangée, Paris, Balland, 1993, p. 11
2 Ibid., p. 15
3 Simone de BEAUVOIR, Le Deuxième sexe, Paris, Gallimard, coll. NRF, 1949 ; Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, t.2, n°38, 2003, p. 345 sq
4 Simone de BEAUVOIR, Le Deuxième sexe, op.cit., p. 360 sq
5 Michel ONFRAY, Les consciences réfractaires. Contre-histoire de la philosophie, t. 9, Paris, Grasset, 2013, chap.7
6 Shlomo SAND, La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq, Paris, La Découverte, 2016, chap. « Autoportrait de mandarins »
7 Bernard-Henri LÉVY, Le Siècle de Sartre, Paris, Grasset, 2000, chap.1
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