Sombres légendes des lavandières
Depuis l’écrivain George Sand qui les évoque dans "Légendes rustiques" (1858), jusqu’au mythe publicitaire de la Mère Denis (qui était une vraie lavandière), en passant par les légendes celtiques qui courent encore aujourd’hui, les lavandières ont été à l’origine de récits et de fantasmes, parfois terrifiants, qui ont enrichi l’imaginaire collectif.

Le XXe siècle pensait en avoir fini avec les légendes quand il se choisit une lavandière du nom de Mère Denis pour raviver un mythe forgé au cours des siècles autour de ce métier. La Mère Denis s’appelait en réalité Jeanne Lecalvé. Elle était née en 1893 en Bretagne à Kérallain, près de Pontivy (Morbihan).
Pour comprendre comment cette authentique lavandière est devenue l’icône d’une grande marque française d’électroménager, avec son caractère bien trempé (si j’ose dire) et ses mains en battoirs (si j’ose dire encore), il faut jeter un regard rétrospectif.
Ce mythe n’est que l’aboutissement de siècles de récits fabuleux et inquiétants sur les lavandières.
"ça c’est vrai ça !"
Si la Mère Denis a terminé sa vie comme vedette hexagonale et même internationale, c’est aussi un peu grâce à cette fascination qui entoure le métier de lavandière et peut-être de ces légendes.
C’est en 1944 que Jeanne Lecalvé devient lavandière, allant d’une maison, d’une ferme à l’autre et gagnera le surnom de "Mère Denis". Issue d’une famille nombreuse et pauvre, elle travaillera été comme hiver au lavoir des bords de la Gerfleur, la rivière de Barneville-Carteret (50). Elle vivait encore dans la précarité quand, en 1972, sa vie est transformée (à 79 ans), par un publicitaire qui passait des vacances près de chez elle et la remarqua. Elle devient dès lors une figure publique connue de tous. Elle sera même l’invitée de Bernard Pivot dans l’émission Apostrophes et consacrée personnage de l’année 1972 par la revue Paris-Match. Sa rente lui permit de finir ses jours tranquilles jusqu’à sa mort en 1989.
Mais cette figure médiatique de la lavandière peut-elle suffire à exorciser ces croyances séculaires qui hantent encore les esprits ?
Les lavandières dans les légendes celtiques et dans les arts :
Emile Souvestre (écrivain breton, né à Morlaix en 1806) les évoque dans Conte de Bretagne dans un récit intitulé Les Lavandières de la nuit. Fac-similé de l’ouvrage ici.
George Sand aussi dans Les Laveuses de nuit ou lavandières que l’on peut lire sur internet avec ces mots introductifs de Maurice Sans : "À la pleine lune, on voit, dans le chemin de la Font-de-Fonts (« Fontaine des Fontaines ») d’étranges laveuses ; ce sont les spectres des mauvaises mères qui ont été condamnées à laver, jusqu’au jugement dernier, les langes et les cadavres de leurs victimes."
Le musée des Beaux-Arts de Quimper renferme le fabuleux chef-d’œuvre du peintre Yan Dargent, Les Lavandières de la nuit, à propos duquel Théophile Gautier fit un article élogieux (tableau en illustration de cet article).
Mais qui sont ces lavandières ?
C’est dans cette région sauvage des Monts-d’Arrée (Finistère) que l’on risque le plus souvent de rencontrer les "Kannerezed noz" ("lavandières de la nuit"). Leur apparition est toujours un funeste présage car les lavandières de la nuit (ou de la mort) sont des âmes damnées, des "anaon", qui hantent les campagnes dans l’attente de leur délivrance dans l’Au-delà.
Tout au long de la nuit, elles travaillent sans relâche à laver, essorer et faire sécher des suaires en rémission de leurs péchés (dont celui d’infanticide). On dit qu’elles sollicitent l’aide de ceux qui croisent leur chemin afin d’essorer les suaires. Il ne faut surtout pas tourner le linceul dans le même sens que la lavandière : celui-ci s’enroule et se resserre autour du corps du malheureux, le vidant de tout son sang.
La légende rapporte qu’en 1727 une vieille mendiante demanda un jour l’aumône à des lavandières. Celles-ci la chassèrent en l’outrageant et lâchèrent un chien sur elle. Alors l’étrangère se transforma en Vierge Marie et leur dit : "Femmes inhumaines, vous êtes sans pitié. Je vous condamne vous et votre postérité à aboyer comme ce chien que vous avez lancé contre moi".
Ces créatures, qui ont l’apparence de vieilles femmes, mais qui sont très grandes, peuvent se rencontrer aux alentours des étangs et des fontaines, mais ce n’est qu’aux abords des lavoirs que leur présence a été signalée. Elles n’apparaissent qu’aux hommes, en particulier les ivrognes qui rentrent de la taverne à la nuit tombée en suivant le chemin - ô combien déconseillé ! - qui longe la rivière ou le lavoir. S’ils aident ces lavandières à tordre le linge, on les retrouve au matin, vidés de leur sang ou les os brisés, enveloppés dans ce blanc suaire.
Touristes qui visitez l’Armorique, en particulier les Monts-d’Arrée, ce conseil breton vous sera bien utile : si d’aventure des lavandières vous invitent à tordre le linge avec elles, passez votre chemin ! Sinon ne le tordez pas en sens contraire car cela vous condamnerait !
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