« Somewhere », un film d’enfant gâté ?

Certes, le dernier film de Sofia Coppola a de bonnes raisons d’agacer (elle est fidèle à ses obsessions père-fille, elle parle encore des riches) mais Somewhere, comme ses précédents films, contient suffisamment de beaux moments de cinéma pour qu’on la considère non pas comme une simple fille à papa qui se servirait du cinéma tel un jouet pour répondre à tous ses caprices mais comme une cinéaste de talent portant un regard personnel sur les choses de la vie.
Johnny Marco est un acteur connu qui vit au Château Marmont. Il roule en Ferrari, il croise des mannequins dans les couloirs du célèbre hôtel hollywoodien mais s’y ennuie ferme, jusqu’au jour où arrive sa fille de 11 ans, Cleo, véritable bulle d’air pour son esprit embrumé par un trop-plein d’artificialité.
Après Virgin suicides, Lost in Translation et Marie Antoinette, il s’agit du 4e film de Sofia Coppola qui, comme son nom l’indique, est la fille du grand Francis Ford Coppola ; producteur exécutif, soit dit en passant, de Somewhere*. Sofia a le mérite de faire un cinéma différent de celui de son père, en général elle ne chasse pas dans les mêmes contrées fictionnelles, tant mieux. Pour autant, impossible de voir son dernier film, Somewhere, racontant l’histoire d’un père qui, en côtoyant sa fille se remet en question, sans penser illico presto au rapport filial entre Sofia et son « ogre » de père. Ainsi, une lecture psychanalytique du film, selon un axe œdipien (la fille qui veut tuer le père pour exister par elle-même), tombe sous le sens. On peut voir dans cette gamine gracieuse qui sert de révélateur à son père-vedette pour lui montrer l’inanité de son existence égarée dans la vacuité d’un système (la société du spectacle) un autoportrait à peine masqué de Sofia Coppola. On peut penser que c’est elle qui, en réalisant des films d’auteur à petit budget (excepté le fastueux Marie Antoinette), a rappelé à son paternel qu’il pouvait faire un virage à 180° pour quitter les grosses productions hollywoodiennes ayant fini par phagocyter son inspiration, jusqu’à le pousser à l’inaction.
Après un creux de la vague assez conséquent (disons une dizaine d’années, entre 1998 et 2007), Francis Ford Coppola s’est remis en selle en réalisant des scénarios intimistes ne nécessitant pas un énorme budget : L’Homme sans âge (2007), Tetro (2009). Comme il n’arrivait pas à produire son film de SF ambitieux mais très dispendieux Megalopolis, Francis Coppola a préféré – et grand bien lui fasse car ça apporte un vent nouveau à sa filmographie – quitter la surenchère du toujours plus (d’argent, de stars, de gros moyens techniques…) pour faire des films intimistes peut-être plus proches de lui, de ses tourments intérieurs et affres créatifs. Ainsi, dans Somewhere, le père joué par Stephen Dorff, une vedette de cinéma perdue dans une industrie cinématographique qui tourne à vide, peut être Francis et la jeune fille artiste (Elle Fanning) fraîche comme la rosée - elle danse comme elle respire - Sofia. Mais, à partir de là, tout n’a pas été dit ; on ne peut réduire Somewhere à une seule lecture psychanalytique, ce serait faire preuve de paresse. Le film, même s’il ne me convainc pas sur toute la ligne (du 3 sur 5 pour moi), est plus riche que ça. Dernier point : concernant cet inévitable rapprochement entre l’histoire filiale du film et la relation père-fille de Sofia à Francis, lorsqu’à
Le film, Lion d’Or de
Somewhere, malgré les quelques réserves soulignées (beaucoup de poncifs à l’œuvre), se voit avec plaisir car Sofia Coppola a du style. Sous la surface du bleu piscine, un parfum de spleen romantique est à l’œuvre. Comme pour ses précédents opus, c’est un film pop qui, sous ses allures rose bonbon, son jaune ensoleillé et sa légèreté apparente, parvient à enregistrer des temps suspendus, autrement dit des moments de grâce qui en disent long sur l’humanité et nos existences. Par exemple, lorsqu’elle filme le père, ému et attentif, en train de regarder sa fille faire des figures sur la glace, on se dit qu’il a raison de contempler cette chorégraphie aérienne parce que c’est beau et que la beauté, même quand le moral est au plus bas, « sauvera le monde » (Dostoïevski). Cette grâce juvénile, on la retrouve aussi dans la séquence des jumelles stripteaseuses en train de danser en tenue de tennis dans la chambre de Marco. Filmé par quelqu’un d’autre, ce moment-là pourrait être vulgaire mais, filmé par Sofia, il devient sexy et charmant. Cette réalisatrice est très douée pour rendre ses films… sexy, c’est-à-dire qu’elle arrive, sans avoir l’air d’y toucher, à y introduire des bulles de temps qui sont comme autant de notes poétiques et autres petites touches impressionnistes parvenant à capter le mystère de l’Eternel féminin. De même, Sofia Coppola a également un don certain pour traduire les petits riens du quotidien, notamment les stases d’ennui ou d’attente sans fin nous renvoyant inéluctablement à nous-mêmes et à notre solitude. Au fond, Somewhere, ce n’est pas un film des plus originaux mais il contient suffisamment de moments de grâce et de scènes comiques (le massage gay, la remise des prix Telegatti) pour être particulièrement attachant et ô combien regardable.
* En salle à partir du 5 janvier 2010. J’ai pu voir Somewhere en avant-première via une invitation de
** Cf. critique de Marie Antoinette : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/faut-il-couper-la-tete-de-sofia-26361  ;  ;  ;  ;  ;
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