Stephen King et son univers
Avec la parution de deux nouveaux romans - dont une suite à Shining - et une visite annoncée en France, 2013 sera l'année Stephen King. L'occasion de revenir sur l'univers du maître de la littérature horrifique.
Je ne suis pas de ceux qui disent : « Ce n’est rien, c’est un roman de Stephen King. » Stephen King est le tout premier auteur que j’aie lu, longtemps, bien longtemps avant tous les autres. C’est par lui que j’ai appris ce que c’est qu’un livre, qu’une histoire, ce que c’est que la littérature, et je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, et alors que tant d’autres artistes ont renié leur idéal et disparu dans l’oubli où les a engloutis leur médiocrité, je suis heureux de constater que Stephen King, lui, n’a pas dévié de sa ligne, et qu’il continue à produire chaque année un ou deux ouvrages qui le maintiennent à son rang de maître incontesté de l’épouvante.
Si je devais définir ce qui fait la magie de l’univers de King, j’emploierais l’expression suivante : « terriblement familier ». Stephen King est auteur de littérature fantastique, et pourtant, à l’exception de la saga de La Tour sombre, il n’a jamais créé d’univers parallèle. Non, ce qu’il affectionne, ce sont les zones banales du quotidien, si familières qu’on n’y prête même plus attention : les centres commerciaux, les stations-service, les motels, les pavillons de banlieue, etc. Ses romans ont toujours pour cadre des patelins perdus du Maine : Bangor, Castle Rock, Derry. Et ses personnages sont des gens simples, proches de nous du fait de leurs problèmes, de leurs failles qu’ils n’arrivent pas à masquer : l’alcoolisme de Jack dans Shining, le manque maladif de confiance en soi d'Arnie dans Christine, le bégaiement de Bill dans Ça. Il règne dans ses romans une atmosphère qui rappelle celle des Évangiles : beaucoup d’êtres vulnérables, des femmes, des enfants, des estropiés, qui luttent contre les forces des ténèbres. Et souvent (pas toujours chez King) une étincelle de pureté et d’innocence suffit à vaincre les démons les plus maléfiques.
Ce qui est frappant, dans l’œuvre de Stephen King, c’est que le surnaturel ne fait pas irruption au sein d’un environnement neutre ou idyllique. La situation était déjà viciée, délétère, avant que les monstres ne se manifestent : la famille de Tad, dans Cujo, était déjà au bord de l’implosion avant l’entrée en scène du molosse meurtrier ; la famille Torrance luttait déjà contre ses propres fantômes avant de rencontrer ceux de l’Overlook. La grande habileté de Stephen King, c’est qu’il n’utilise pas le fantastique pour détruire une cellule familiale ou une communauté, mais pour en accuser les tensions internes et finalement fatales.
Je me suis éloigné de Stephen King. J’ai découvert que la littérature offrait d’autres champs plus verdoyants, plus fertiles en pensées profondes et épanouissantes. J’ai découvert qu’il y avait d’autres plaisirs en littérature que ceux que l’on peut tirer d’une bonne histoire, que souvent la seule qualité de l’expression suffit, et que sur ce plan bien des auteurs, bien des poètes valent mieux que lui. Et pourtant, je crois que tous les lecteurs assidus de Stephen King sont marqués par cette œuvre ; qu’ils ont le sentiment de faire partie d’un club spécial, un peu particulier ; qu’ils ne voient plus le monde de la même manière, et que tandis que tous les autres sont pris dans le tourbillon dérisoire de la vie moderne, eux se tiennent un peu à l’écart, un peu en marge, et observent ce qui coince, ce qui grince. Et ce que nous apprend Stephen King, c’est que ce n’est pas parce que ça coince, ou que ça grince, ou que ça fait un peu plus que grincer, qu’il faut détourner le regard. Au contraire.
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