Stromae, le minable formidable
Stromae, c’est la belle histoire (belge) des derniers temps. Un courant d’air frais qui a fait claquer la porte du slam. Un inconnu pas illustre, mais illustré par l’universel « alors, on danse » : universel par le succès (3 millions de ventes, trois semaines en tête des charts de 6 pays européens en 2010) comme par le sujet (les amours, les emmerdes et le temps qui passe). Stromae (« Maestro » en verlan), c’est le cousin rappeur qui a bien tourné : pas le genre à tagger le Thalys, ni à chercher la gare du Midi à quatorze heures. Celui-là n’a que 28 ans et deux ans de carrière, mais dispose déjà de la maturité d’un quinqua. Avec son grand corps pas malade mais qui bouge tout seul quand le flot du flow se met sur « on », ses mimiques à la « non, Jeff, t’es pas tout seul », sa chaloupe bourrée même à jeun, d’aucun voient déjà en lui le Brel de l’électro. Le grand Jacques qui se serait réincarné en Paul. Serait-ce possible alors ? Ouais, c’est quelqu’un qui me l’a dit.
Paul, c’est Paul Van Haver, né en 1985 à Bruxelles d’une mère flamande et d’un père Rwandais. Ce dernier, volage et absent, périra durant le génocide. La maman élève le fiston propre sur lui, aux dents blanches et aux chemises à carreaux. Il compose de la musique dès 11 ans, puis entame des études de technicien de cinéma. De cette double formation découlera sans doute sa capacité à tout faire lui-même, lui et quelques copains : ses textes, sa musique, ses clips, sa propre production.
Début 2000, il fait un petit tour par le rap, mais claque la porte très vite : il a déjà compris que c’est fini, trop daté. Il passe à ce qu’il est convenu d’appeler l’eurodance.
Pour soigner sa com. et chercher l’originalité, il donne des leçons de solfège et de musique sur Internet (les fameuses « leçons de Stromae, musicien à deux balles »).
L’oiseau est un faux dilettante : il maitrise tout comme un vieil iguane au soleil (répartie dans l’interview et clin d’œil final aux caméras compris).
Stromae, c’est d’abord un look, une dé-marche. Une dégaine mi Tom Novembre mi Christophe Salengro (le Président de la République de Groland), oreilles décollées incluses.
Un look sage et étudié, aux vêtements de collégien des sixties, version premier de la classe, pour trancher avec le concours de lunettes noires et de cuirs cloutés des rappeurs ordinaires.
Mais surtout un phrasé, une expression corporelle extraordinaire au service des mots, une « brélitude » étonnante chez un « gamin » de cet âge. Le retour de la chanson de geste, en quelque sorte.
(Ici en démonstration sur France 2 à « ce soir ou jamais ».)
Stromae, c’est ensuite des textes, qui naviguent à cent mille lieues des rappeurs ordinaires. Chez le maestro, pas de gros 4x4 noirs aux vrombissements de V8, pas d’histoires de shit, de meufs, de keufs et de pétage de rondelles dans les caves.
Stromae a un coup d’avance sur tout.
A 28 ans, il distille sa petite musique entêtante sur la vie et les choses qui vont avec. Comme un quinquagénaire revenu de tout. Un désenchantement léger, un pessimisme poli, une noirceur dépolie. Les filles qui s’en vont, les divorces, les pensions alimentaires, les huissiers qui frappent à ton huis. Les bitures pour oublier. Les gens qui attendent que ça passe, mais ça ne passe pas, parce que « quand tu crois que c’est fini, ben y’en a encore ».
Ce qui frappe l’oreille à l’écoute, même chez les vieux cons blasés comme moi, ce sont les noces glacées et contre nature, en noir et blanc, entre des textes noirs et des musiques blanches, aspirant à la clarté, à la légèreté de la dance.
Il y a presque toujours chez ce loustic un zeste d ‘autodérision, qui vient décanter le léger et le corsé.
A écouter en particulier le superbe « Formidable » et son « t’étais formidable, j’étais fort minable », on croirait Desproges revisité par l’électro, les sons cubains et la rumba congolaise, qui reviendrait avec une version chantée de son « certes, on peut être légèrement déçu par les grands fléaux que sont les cancers du poumon, les femmes infidèles et les défaites répétées de l’AS St Etienne, mais la déception, la vraie, la profonde, celle qui peut vous faire perdre le goût des Bordeaux graves, celle-là ne peut venir que d’un ami ».
Pessimiste raisonné et raisonnable, Stromae tranche avec son époque.
Ni futilité ni naïveté, il explique calmement que dans la vie, « il n’y a ni méchants ni gentils ».
Dans la vraie vie, son seul côté « Dolce Vita », c’est de siroter des amaretti et de rouler en Fiat 500.
Et alors ?
Et alors on danse, epicétou.
- - - - - - -
-Stromae, « Racine carrée », nouvel album à paraitre le 19 aout 2013, Universal
-Crédit photo : S. Sainton
47 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON