Trentenaire de la mort de Truffaut, l’homme qui aimait les fables
La force de l’œuvre de Truffaut était sans nul doute de proposer un cinéma d’auteur à la portée de tous. Partisan d’un cinéma novateur mais vecteur de messages sociétaux et progressistes, il s’est voulu défenseur d’un septième art arborant un équilibre fragile mais subtil entre conservatisme et étendard des métamorphoses du Monde. Retour sur un pan global du cinéma à qui les institutions culturelles rendent hommage ce mois-ci pour honorer le trentenaire de sa disparition.
Prolifique, besogneux mais aussi self-confident, sont les termes qu’on longtemps employé se contemporains pour le désigner, de Godard à Hitchcock en passant par les acteurs sous sa direction tels que le mirifique Bébel ou la singulière mais non moins talentueuse Charlotte Gainsbourg. L’auteur et créateur, ambitieux de nature, révèle en septembre 1966 à l’occasion de la première de Fahrenheit 451, qu’il est difficile d’assumer le rôle de « cinéaste français qui a trente films restent à tourner au cours des années à venir ». Visionnaire, certes, mais pas moins mégalo et présomptueux, l’artiste s’arrêtera finalement à vingt et un, qui fut déjà une prouesse pour l’un des cinéastes les plus féconds de sa génération.
S’attarder sur ce Fahrenheit 451 justement, serait, au mieux une perte de temps, au pire un égarement. Ce film, bien que novateur, aventureux et risqué pour l’époque -1966, aube des effets spéciaux, début de règne monopolistique d’Hollywood-, ferait finalement pâlir de honte l’auteur dont l’adaptation sur le fil du rasoir de son œuvre n’est pas franchement une réussite. Entre effets spéciaux avant-gardistes mais grossiers et dialogues incertains, le long métrage s’égare dans sa pâleur alors que l’œuvre de Bradbury, parue une grosse décennie plus tôt, est haletante et se fait l’écho d’une génération sacrifiée partagée entre bénéfices du progrès et hantise des dérives hypothétiques d’une technologie totalisante.
De fait si certains films revendiqués par ce créateur comme d’avant-garde font pâlir de déceptions jusqu’aux plus ardent admirateurs du grand Truffaut, d’autres valent indubitablement le détour et participent avidement à la réputation du maître de quart de la Nouvelle Vague. Parmi eux, comment ne pas citer L’Homme qui aimait les femmes, réalisé en 1977 mettant en scène le brillant Charles Denner, glacial mais ivre d’un paradoxal amour insatiable. Ce film a été analysé par les critiques comme une autobiographie succincte, et morcelée. Car si Truffaut aimait la femme, il aimait surtout les femmes et ne s’est jamais privé de clamer le pluralisme de son amour incommensurable. Mais cet examen à la petite semelle, la défense des infidèles, des hommes à femmes n’est qu’une infime partie des vœux de l’intéressé.
Ce film est une réconciliation profonde entre l’Homme et les femmes. L’exégète n’est plus ici celui qu’on fustige, qu’on accable. Il eut été facile de dénoncer les démultiplicateurs de conquêtes, les infidèles, les détracteurs de morale publique. Et c’est là que le savant pied de nez orchestré par Truffaut opère avec brio. Charles Denner incarne un magistral Bertrand Morane qui se révèle être un esthète qui, de cet amas de conquêtes, tisse une toison d’or de laquelle il chérit et glorifie chaque fil. Il lance, tel un aveu de force, qu’il les affectionne toutes, mais nouveauté, en les encensant, pour un motif bien spécifique. Ainsi, tantôt une nuque en fuite, puis une cheville insolente demeurent les mobiles de ses amours sincèrement profonds mais dangereusement évanescents. Ainsi, le Truffaut n’est pas plus brillant dans sa quête de modernité à tout prix. C’est plutôt dans l’exploration fine de l’irrationnel et la défense du momentané qu’il se révèle être, en plus d’un artiste à l’œil aguerri, un penseur et analyste des maux du siècle.
La douceur demeure également l’apanage de ses chefs d’œuvre -mais aussi un critère de choix pour scinder diligemment les réussites et les échecs du cinéaste-. Ainsi, dans l’Homme qui aimait les femmes, se dégagent des actrices tout particulièrement, un teint et une légèreté qui ne peut laisser de marbre le spectateur, pris aux oripeaux, par la suave onctuosité et la blondeur insolente d’une Brigitte Fossey au regard perçant ou d’une Nathalie Baye à son firmament noyée dans une candide appréhension. Ce balancier constant mais inquiétant accompagne également les personnages dans leur vérité exprimée par le prisme de leur regard enivré posé sur un monde enchanté. Lorsque Bertrand ose en une phrase décrire sa dévorante passion de la femme plurielle en lançant « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le monde en tous sens et qui lui donnent son équilibre et son harmonie », c’est bien cette ôde au deuxième sexe qui est annoncée comme dessein avoué de son œuvre.
Le souvenir d’un Truffaut inégal mais presque toujours au sommet sonne donc dans toutes les mémoires à l’heure où de nombreuses expositions dont celle de la Cinémathèque de Paris dévoilent les scénarios mille fois annotés par l’auteur ou encore les manuscrits délicieusement jonchés de remarques fantasques et ingénieuses du maitre même. Des Quatre Cents Coups à La Petite Voleuse, ladite exposition retrace le parcours presque sans faute d’un cinéaste ambitieux et mégalo qui avait pour dessein d’être le premier des modernes dans un art qui était A Bout de Souffle. La cinémathèque propose dès lors une collection riche en forme d’hommage littéral qui se mue en une agile rétrospective, vitrine d’une douceur revendiquée et d’une adresse aérienne.
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