« The Fly » de Cronenberg au Châtelet : un opéra d’horreur romantique !

J’ai été voir l’opéra The Fly*, signé David Cronenberg et Howard Shore, samedi 5 juillet, 20 heures, au théâtre du Châtelet : 2e balcon, porte 15, rang C, numéro 39. Place à 40 €. Il s’agit d’une création mondiale.
Vingt-deux ans après la sortie du film culte La Mouche (1986), lui-même « remake » d’une honnête série B des 50’s (La Mouche noire (1958) de Kurt Neumann), Cronenberg téléporte son plus gros succès commercial sur la scène du Châtelet : du cinéma à l’opéra, voilà la dernière téléportation (réussie !) de notre maître du gore romantique, orfèvre en maïeutique et en métamorphoses à l’inquiétante étrangeté. C’est vraiment, comme on dit, de la belle ouvrage, avec un savoir-faire audiovisuel indéniable et une certaine candeur dans ce projet fort alléchant de fusionner codes de la série B, peinture de Bacon et réflexion métaphysique, via un chant universel semblant faire écho aux angoisses les plus contemporaines (une civilisation hyper-technologique où l’homme joue à l’apprenti sorcier avec les biotechnologies) et en même temps les plus profondes de l’être humain (la quête nietzschéenne d’une surhumanité, la crainte de la maladie, de la vieillesse, de la mort). N’étant pas musicologue, je ne suis pas en mesure d’analyser précisément le travail musical d’Howard Shore - compositeur pour Cronenberg (ils ont fait douze films ensemble), mais aussi du Seigneur des anneaux -, par contre, concernant ce spectacle à l’américaine, je vais essayer d’établir des connexions avec le « cinéma aux forceps » de ce réalisateur venu du froid.
Quand on arrive au Châtelet, on y voit un public assez jeune, plutôt branché, on devine que ce n’est pas forcément le public habituel du « sérail » opératique, le nom de Cronenberg attirant de toute évidence de nombreux fans de son « cinéma en trois dimensions ». En vente pour 10 €, on a le programme de la soirée. Une fois passées les 6 pages de pub rasoir, on découvre qu’il s’agit d’un livret très complet sur la genèse de l’œuvre – riche iconographie, photos du spectacle, envers du décor, clichés des films, affiches, portrait de l’auteur George Langelaan dont la nouvelle
On passe au 1er étage, on tombe alors sur des vitrines-clins d’œil que j’ai beaucoup appréciées. Les fétichistes et autres amateurs de cabinet de curiosités sont ravis : il s’agit, pour nous mettre dans le bain de cet opéra d’horreur romantique, de continuer la visite, style train fantôme, autour de la matrice de l’œuvre : on découvre des affiches rétro aux catchlines amusantes, du genre « Horror ! Horror ! Horror ! The Fly, for adults only », des photogrammes des deux versions ciné et le texte de Langelaan, à l’origine des films et de l’opéra, réédité au printemps 2008 (Flammarion). Sur un cartel, on y apprend aussi que l’idée de faire un remake scénique de
On entre alors dans la salle, on entend quasiment les mouches voler, bzzz ! De toute évidence, et c’est une excellente nouvelle, Cronenberg ne cherche pas, via cet opéra en deux actes (durée : 2 h 40, avec des surtitres en français et en anglais), à faire un remake plan par plan de son chef-d’œuvre cinématographique, de même qu’il ne fait pas un film déguisé - tant mieux : pas folle la mouche ! Sous forme d’un long flash-back (on n’a pas ça dans le film), nous assistons, façon
Le décor de Ferretti est superbe, l’action de l’opéra se situe, comme dans la nouvelle, dans les 50’s, contrairement au film des eighties qui, lui, incarnait la modernité dernier cri des 80’s (loft-laboratoire informatisé avec ordinateur parlant, télépodes high-tech, éclairages futuristes, néons, ouverture automatique des portes). Décorum racé et rétro-futuriste à souhait (tout en brique, en bois et en poutrelles métalliques), avec cet opéra on se croirait dans une vieille SF russe à
De même, l’appétit sexuel frénétique de Brundlefly (sur scène, on le voit au lit avec son amoureuse ou sauter une brave fille ramassée dans un bar) rappelle la scène sulfureuse de l’escalier dans A History of violence et, bien sûr, l’obsession de Cronenberg pour le corps, la chair, les mutations génétiques et le sexe : l’attirance de Brundlefly pour le côté obscur de la force (des insectes) évoquant, de par son pouvoir de fascination, l’attraction-répulsion d’Edie Stall (Maria Bello, A History of violence) envers son mari Tom Stall, un paisible père de famille doublé d’un tueur froid implacable (Joey Cusack). Oui, dans cet opéra travaillé par les délices et les affres de la chair, on reconnaît bien la patte du cinéaste fasciné par le corps humain et ses hybridations (Frissons, Rage, Chromosome 3, Videodrome, Crash, Le Festin nu, M. Butterlfly, etc.). C’est lorsque cet opéra, à l’instar du film de 86, retranscrit les craintes et les espoirs de l’humain trop humain qu’il vient se faire profondément émouvant - l’acmé émotionnel étant pour moi atteint avec la phrase suivante, prononcée par l’homme-insecte et d’ailleurs plus poignante dans le film que dans l’opéra, ça vient peut-être de la voix chantée qui a tendance à déréaliser la réalité crue) : « Je suis un insecte qui rêve qu’il a été un homme et qui a aimé ça », l’existence humaine étant vu ici comme un paradis perdu. Séquence émotion.
Bien sûr, tout n’est pas parfait dans cet opéra hybride. Par moments, bien que de qualité (une musique d’outre-tombe tout en volutes de cuivres et de basses qui s’enroulent sur elles-mêmes), la partition de Shore est un peu trop monocorde (pas assez de caractérisation des personnages et de variation des climats), mais, en même temps, ce long lamento post-romantique mixant Bernard Herrmann, Wagner et autres Strauss, avec par instants des accents de modernité dissonante à
* The Fly, les 2, 5, 8, 11 et 13 juillet au théâtre du Châtelet, Paris.
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