« The Ghost Writer » : un suspense hitchcockien signé Roman Polanski

The Ghost Writer (2010)*, adapté du roman de Robert Harris qui est aussi le coscénariste du film, L’Homme de l’ombre, raconte l’histoire d’un « nègre » (en anglais ghost writer) qui est engagé pour écrire les mémoires de l’ancien Premier ministre britannique, Adam Lang. Mais cette promotion - il y a à la clé un chèque de plusieurs millions de $ - n’est pas sans risques, le précédent rédacteur de ce livre autobiographique, et ancien bras droit de Lang, est mort accidentellement, dans des circonstances fort mystérieuses.
Alors que le duo Scorsese-DiCaprio Shutter Island remporte un gros succès en salles (en route vers les 2 millions d’entrées en France après deux semaines d’exploitation), The Ghost Writer ne démérite pas pour autant : il en est déjà, après une semaine en salle, à 323 969 entrées dans l’Hexagone et il bénéficie, en outre, d’un bon bouche à oreille. Lorsque le film a été honoré au dernier Festival de Berlin (Ours d’argent et Polanski sacré Meilleur réalisateur), j’ai pensé, comme bien d’autres, qu’il pouvait s’agir de lots de consolation pour rappeler à ce cinéaste, poursuivi par la justice américaine pour une affaire de mœurs vieille de plus de 30 ans, combien il est aimé et encore admiré par ses pairs, mais, après visionnage du Ghost Writer, et comme quoi il est toujours préférable de juger sur pièce, force est de reconnaître que ce thriller politique, mené de main de maître, est excellent. Prenant de bout en bout, il est d’ailleurs étonnant qu’il sorte au même moment que le dernier Scorsese (les deux films ont pour trame une histoire de paranoïa sur fond d’île maudite et de manipulation mentale) et, toujours au rayon des coïncidences ou des hasards de calendrier, il est impossible, à moins justement de vivre sur une île complètement isolée des nouvelles du monde, de ne pas faire le parallèle entre cette fiction et la réalité : le Premier ministre du film, sous protection rapprochée parce que harcelé par l’opinion publique et la meute des médias contre lui, fait bien entendu penser à la hargne dont ont fait preuve certains, comme s’ils s’imaginaient procureurs, pour enfoncer délibérément le cinéaste star Polanski ; et ce nègre, isolé dans une villa retirée en bord de mer pour écrire un bouquin n’est pas sans faire penser au cinéaste Polanski assigné à résidence, après avoir été arrêté sur mandat américain, dans son chalet de Gstaad, en Suisse - on dit d’ailleurs que c’est entre quatre murs qu’il a fini de superviser le montage de son dernier film.
N’étant ni procureur ni juge, je ne souhaite pas m’étendre davantage sur « l’affaire Polanski », cet article cherchant aucunement à alimenter la rubrique des faits divers (d’autant que je n’ai aucun scoop à annoncer) mais davantage, en tout cas je l’espère, à se faire la critique d’un film. Et par-delà la comparaison inévitable entre l’affaire Polanski et la trame paranoïaque du Ghost Writer, il suffit de connaître un tant soit peu la filmographie de ce grand cinéaste (Le Bal des vampires, Rosemary’s Baby, Le Locataire, Frantic,
Non seulement sa fiction est prenante - un homme politique britannique américanophile aurait, à ses dépens (?), servi les intérêts de
Enfin, ce qui m’a le plus intéressé dans le dernier Polanski, c’est que celui-ci, en même tant qu’il déroule admirablement son ruban filmique (du 5 sur 5 pour moi), nous donne aussi une leçon de cinéma et de narration. En nous montrant un écrivain-nègre qui travaille ses effets, coupe dans sa glose, cherche à accrocher le lecteur par des détails croustillants ou qui font sens, Polanski, dont le prénom est… Roman, dresse un parallèle entre le storytelling politique (ou de l’art de raconter une histoire) et l’art narratif cinématographique. A travers ce nègre, qui cherche à écrire un livre prenant, futur best-seller, on peut y voir un autoportrait à peine masqué de Polanski. Pour éviter la virtuosité vide, l’hagiographie sans intérêt, l’écrivain du film vient tremper sa plume dans le réel du personnage politique dont il a à raconter l’histoire (vie tourmentée, passé d’homme de théâtre ; « voilà le genre de détails qu’il nous faut dans les mémoires » dit-il au portraituré) et, bien qu’en interviews Polanski ne se considère pas comme un auteur mais simplement comme un raconteur d’histoires pour le public, on ne peut s’empêcher de penser que si ses récits au cinéma sont la plupart du temps aussi prenants, voire fascinants (et The Ghost Writer, grand film, ne déroge pas à la règle), c’est certainement parce qu’il y met beaucoup de lui-même et de ses tourments intérieurs.
* En salle depuis le 3 mars 2010
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