« The New Thing » : l’irrésistible ascension de Wu Ming
Mais qui est donc Wu Ming ? Vous avez droit à trois réponses. Un empereur chinois ? Perdu. Un philosophe taoiste ? Perdu. Une société secrète genre triade ? Encore perdu, mais vous vous rapprochez. Une start-up en informatique ? Nous avons dit trois réponses. Votre langue au chat ? C’est préférable.
Wu Ming est un nom de code. Bizarrement, ce nom est
quasiment inconnu en France, alors qu’il est synonyme de best-seller en
Allemagne, en Angleterre et surtout en Italie, son pays d’origine. En chinois, wu
ming signifie anonyme. En italien, il désigne depuis l’année 2000 un
collectif de cinq jeunes auteurs masqués (chacun s’appelant Wu Ming, de 1 à 5)
dont les livres se vendent comme des petits pains. Des livres, mais pas
seulement. Des scénarios de films, une revue (près de 10 000 abonnés), un site
internet en plusieurs langues, des interventions dans la vie publique sur une
pluralité de thèmes... En somme, un engagement qui n’est pas que de papier.
Nous ne retracerons pas ici l’histoire peu ordinaire menant à la création de Wu Ming. Il suffit pour cela de renvoyer l’internaute à la Wu Ming Fondation, le site du groupe, ainsi qu’au blog de Serge Quadruppani, directeur de collection aux éditions Métailié, lesquelles viennent de publier deux ouvrages de Wu Ming : New Thing de Wu Ming 1 et Guerre aux humains de Wu Ming 2 [1]. Afin d’aborder sommairement le travail de ce groupe et ses idées, nous nous appuierons sur le premier, le roman de Wu Ming 1.
Partager des histoires
Celui-ci prend pour contexte le New York de la fin des
années 60 et l’apparition concommittante du Black Power et du Free Jazz
(un temps désigné sous le nom de New Thing) [2] et développe une intrigue
autour d’assassinats en série parmi les jazzmen de la communauté d’avant-garde.
Le choix de ce thème reflète d’emblée les positions de Wu Ming quant au rôle de
la littérature :
L’acte de raconter des histoires maintient en vie les
mythes et la communauté qui les forgent. Pas de héros, pas de guide, juste des
repères solides pour comprendre le monde où l’on vit. Wu Ming 1 : « on
raconte l’Amérique, mais on parle de nous ici et maintenant, de nos guerres
sales, de nos mouvements, de notre mémoire des luttes ».
Partager le savoir
A ce titre, plus significative encore est la forme
« orale » du roman, constitué pour une bonne part d’interviews et
d’articles de presse (tous fictifs), derrière lesquels l’auteur simule
« une extinction de [sa] propre voix » et adopte partiellement le
langage du film documentaire, au point de clore son roman par un texte
explicatif qu’il intitule « générique » [3]. Celui-ci, outre ce que
comporte habituellement un générique de film (remerciements, sources des
citations...), constitue une véritable déclaration d’intention. L’auteur y expose
sa méthode et la base de son travail : le souci de ne pas traquer le
réalisme à tout prix (libertés prises avec les lieux de l’action notamment),
les sources d’inspiration des personnages et des événements, les références
cryptées, les emprunts et les détournements d’autres œuvres. Mais ce n’est pas
tout. Tout en payant ses dettes, Wu Ming 1 assène :
C’est peut-être la première fois qu’un romancier annonce
aussi clairement la couleur. La moelle de son roman, Wu Ming 1 l’a puisée dans
les réseaux du peer to peer : chansons, documentaires, films et
discours d’époque, parfois difficilement trouvables par les voies officielles.
L’économie de partage, voilà l’un des principes de Wu Ming, et si le collectif
assume aussi bien cette attitude c’est qu’il met ses idées en pratique :
tous leurs livres sont en effet téléchargeables sur leur site et comportent
dans la version papier une clause inspirée du copyleft, principe inverse
du copyright qui garantit toute liberté quant à l’exploitation d’une
œuvre par son public [4]. Voici donc ce qu’on lit au début de l’édition
française de New Thing :
Wu Ming nous introduit ainsi à une nouvelle conception de
la littérature dans son ensemble, qu’il s’agisse de sa vocation, de sa forme ou
des droits de ses auteurs. A l’heure où la question du piratage se pose cruellement,
notamment dans le domaine musical, il nous invite à considérer le problème
autrement. Il amorce une « NewThing », un nouveau truc, qui cherche à
dépasser les contingences matérielles pour se consacrer à l’essentiel :
donner du sens au monde dans lequel on vit. Voilà la littérature d’aujourd’hui.
Ca n’est qu’un début.
[1] Le seul autre texte traduit
en français est L’œil de Carafa (Seuil, 2001), ouvrage collectif.
[2] Voir Free Jazz. Black
Power (Folio, 2000) de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli.
[3] Signalons que l’idée formelle
du roman est inspirée de l’excellent ouvrage de Legs
McNeil : Please Kill Me : l’histoire non censurée du punk
racontée par ses acteurs (Allia, 2006). A lire absolument.
[4] Le copyleft est
particulièrement répandu dans le domaine du logiciel libre. Voir : http://www.gnu.org/copyleft/copyleft.fr.html
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON