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The new world order, mis en scène par Roger Planchon

A l’occasion de la remise du prix Europe pour le théâtre qui consacre cette année Harold Pinter, Roger Planchon lui rend hommage en mettant en scène The new world order, qui témoigne des désordres du monde. Interview de Roger Planchon

Dans le cadre de la remise du prix Europe pour le théâtre, qui récompense cette année l’œuvre de Harold Pinter, Roger Planchon présentait vendredi 10 mars en avant-première un spectacle : The new world order, composé de six courtes pièces du dramaturge, metteur en scène, poète et scénariste britannique.

Roger Planchon, auteur, comédien, metteur en scène, cinéaste, directeur depuis 1957 du Théâtre de la Cité de Villeurbanne, qui deviendra en 1972 le Théâtre national populaire, est sans doute la principale figure de la deuxième génération de la décentralisation. Derrière lui, des dizaines d’années de théâtre, des mises en scène marquantes de Brecht, de Molière, de Shakespeare, des créations d’auteurs contemporains, d’Adamov à Vinaver, mais aussi l’ouverture du TNP à Patrice Chéreau, puis à Georges Lavaudant. Au cinéma, il a réalisé Georges Dandin de Molière, Louis, enfant roi, sur Louis XIV, et Toulouse-Lautrec.

Dans une prison, deux tortionnaires discutent des tortures qu’ils vont faire subir à un homme aux yeux bandés. Un ministre de la culture, ancien chef de la police politique, s’adresse a une assemblée de journalistes serviles. Deux technocrates discutent autour d’un drink du nombre officiel de morts causées par leur politique. Deux femmes veulent rendre visite à un prisonnier, leur mari et leur fils, on leur interdit de s’exprimer dans leur langue. Un tortionnaire tourmente dans une prison un homme, une femme et un petit garcon, on laisse repartir l’homme, il ne reverra jamais les siens vivants, ou encore, huit bourgeois, huit apparatchiks, lors d’une soirée, bavardent de leurs privilèges, pendant que dans les rues, la guerre civile fait rage. En six tableaux, Roger Planchon restitue la force du texte de Pinter au travers d’une troupe de comédiens qui incarnent tous de façon poignante victimes et bourreaux. Planchon a su créer une unité entre ses courtes pièces, la mise en scène enlevée, des décors inquiétants concourent à rendre la position du spectateur inconfortable. Cet inconfort, cette gêne ne naît pas au contact d’un spectacle violent, car la pièce traite en effet essentiellement de la torture psychologique. Le spectateur, dans cette prise directe avec l’horreur de la manipulation et de la destruction mentale, est naturellement traversé par des questionnements universels, et c’est peut-être cela que Pinter cherche à susciter et qui est si magnifiquement rendu par Planchon et ses comédiens : face aux personnages, on se dit qu’il s’en faut de peu pour que tout bascule du jour au lendemain, qu’il s’en faut de peu pour être confronté à l’arbitraire.

On se sent fragile, et on perçoit aussi la fragilité de nos démocraties contemporaines. Que ferions-nous, en cas de conflit ? Quel camp choisirions-nous si un régime autoritaire accédait un jour au pouvoir ? On pense là bien sûr à Lacombe Lucien de Louis Malle et Patrick Modiano, mais ici, Pinter construit son texte en utilisant le registre de l’absurde, une absurdité si empreinte de vérité que les propos des bourreaux n’en deviennent que plus insupportables, universels, intemporels. Dans La conférence de presse, les journalistes interrogent le ministre de la culture sur la constestation, celui-ci répond : « La contestation est acceptable... si on la laisse à la maison. Je conseille de la garder à la maison. De la garder sous le lit. Avec le pot de chambre. C’est sa place. » Dans La langue de la montagne, un officier hurle sur deux femmes : « Maintenant écoutez bien. Vous êtes des gens de la montagne. Vous entendez ? Votre langue est morte. Elle est interdite. Vous ne pouvez pas parler votre langue à vos hommes. »

Roger Planchon a monté cette pièce dans l’urgence, spécialement pour le prix Europe, et depuis son arrivée, les répétitions se sont succédées dans la hâte au théâtre Gobetti qui abrite en grande partie la manifestation. Il est accompagné de Michel Bataillon, dramaturge et traducteur, qui a été pendant de nombreuses années son collaborateur au Théâtre national populaire de Villeurbanne. On lui doit une évocation de ces années au TNP en collaboration avec Jean-Jacques Lerrand : Planchon, un défi en province, chronique d’une aventure théâtrale, 1950-1972, paru aux éditions Marval.
Nous avons pu, à l’issue de la représentation, échanger quelques propos sur la pièce et l’œuvre de Pinter.

Pour rendre hommage à Pinter récompensé par ce prix, vous choisissez The new world order, qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Pinter reçoit le prix Nobel, il parle longuement de politique. Tout le monde dit que les prises de positions politiques de Pinter sont très importantes mais on ne joue pas ses pièces politiques, donc j’ai rassemblé ici six petites pièces politiques de Pinter pour faire une soirée avec.

Où se situe, selon vous, la force des textes de Pinter ?
Ce que je trouve très intéressant chez cet auteur et dans ces courtes pièces, c’est qu’il y a des auteurs qui parlent du fascisme, du terrorisme, mais ce sont des auteurs qui montrent ça de l’extérieur, il nous montrent la souffrance à l’état brut : des enfants qui meurent, des femmes violées ; lui, ce n’est pas du tout ça, c’est complètement psychologique. La plus belle pièce, que vous avez vue ce soir, est complètement psychologique, c’est un bourreau qui détruit la personne qu’il interroge, et ça, seul Pinter sait le faire.

Y a-t-il un rapport entre le choix de ces textes aux accents orwelliens et l’actualité du monde ? Est-ce pour vous un moyen de témoigner, d’avertir des périls qui nous guettent ?
Oui, ces textes sont très actuels, ils donnent la mesure de l’engagement de Pinter qui, dans l’évolution de son théâtre, s’est précisé : il nous invite à la vigilance.

La personnalité des personnages semble comporter des facettes multiples et ceci perturbe l’approche, l’idée que l’on voudrait se faire d’eux. Partagez-vous ce sentiment ?
Il y a toujours chez Pinter des couches successives. C’est-à-dire qu’on entend un texte, et puis, au bout d’un moment, on se rend compte qu’il est plus profond que ce qu’on croyait, et puis il y a des liens qui se créent entre les personnages, entre victimes et bourreaux, ce qui rend les choses très complexes.

La place de victime qu’occupent les femmes, dans les pièces, est différente de celle qu’occupent les hommes, comment expliquez-vous cela ?
Les femmes sont complètement brimées par les hommes, si elles acceptent de se taire, ça ira très bien pour elles, mais si elles ouvrent la bouche pour parler un tout petit peu politique, ça ira très mal pour elles, et ceci monte progressivement, lentement, au fil de la pièce.

Pinter a-t-il collaboré avec vous pour la mise en scène de ce spectacle ?
Non, vous savez qu’il n’écrit plus de théâtre aujourd’hui, il est malade. Pinter a vu de moi un premier spectacle, No man’s land, il y a vingt ou vingt-cinq ans de cela, et il a vu l’année dernière la dernière pièce qu’il ait écrite, qui s’appelle Célébration. Dimanche soir, il découvrira ce spectacle.

Comment les comédiens apprécient-ils les textes de Pinter ?
Tous les acteurs du monde qui jouent des textes de Pinter sont heureux car ses créations sont d’abord des pièces pour acteurs, d’ailleurs Pinter était un acteur au début de sa carrière. Savez-vous quels sont les auteurs les plus joués dans les écoles de théâtre ? Tchekov et Pinter.
Pinter, ça coule, c’est subtil, c’est fin. C’est un de mes grands plaisirs de théâtre, et si je devais faire deux choix d’auteurs, je retiendrais Pinter et Molière. A mon sens, il n’y a pas aujourd’hui d’auteurs qui soient de son niveau.

Quel est le sens de votre présence au dixième Prix Europe pour le théâtre ?
Le théâtre est art fragile, il a été concurrencé tout d’abord par le cinéma, puis par la télévision, il est essentiel pour moi d’être présent dans des manifestations comme celles-ci, d’envergure internationale et où, entre autres, la télévision parle de théâtre ; je suis là pour soutenir le théâtre.

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