« The Reader » : un baiser au lépreux
Ceux qui avec Claude Lanzmann s’inquiètent de l’impact des fictions ayant pour cadre ou prétexte les camps nazis seront ici doublement choqués. Le piège, à leurs yeux induit par la narration romancée, inviterait à supposer aux auteurs ou complices de l’innommable une lueur d’humanité ; à se demander par quelles manipulations des hommes ou des systèmes les ont endoctrinés ; à leur souhaiter, qui sait, une quelconque rédemption… « Piège » qui fonctionne d’autant mieux avec « The Reader »* que le monstre est blessé, nous apitoie, nous émeut. Et on n’est pas forcé de le regretter.
Blé en herbe et règlements de comptes post bellum
Michael Berg (David Kross), fils de bourgeois berlinois, a 15 ans en 1958. Lycéen chrysalide, entre grâce et acné, entre prince Charles et Rimbaud, il vit avec Hannah (Kate Winslet), prolo illettrée au regard intense et de 20 ans son aînée, le dépucelage et la liaison dont rêvent ses congénères. Leur histoire, qui durera quelques mois, évolue en douceur ; bientôt c’est lui qui enseignera, à celle qu’on devine parfois meurtrie jusqu’à la panique, et avide de savoir, les grands textes : Schiller, Homère, Shakespeare, Tolstoï, Tchekov…
A cette histoire d’amour précoce, à la Colette, le « lecteur » qu’on retrouve en 1965 étudiant en droit, bien dans sa peau, honnête, bon camarade, doit peut-être l’équilibre et la sérénité qui plaisent aux filles de son âge. Quand, en cours de stage, il retrouve Hannah, sur des bancs d’assises, accusée avec d’autres « sélectionneuses » des camps d’extermination, c’est plus qu’un peu de sa vie qui vole en éclats.
D’une intransigeance l’autre
La génération de Michael est celle des Fassbinder, qui n’auront de cesse de rejeter en bloc celle d’avant, avec la même fermeté qu’avait été condamné en 40 tout un pan de la population. Après les « tous pourris », « tous purs » : peuple, magistrats, pseudo-repentis… Personne pour décrypter un embrigadement qui s’adressait aux proies les plus faciles : enfants, analphabètes, ou de ces bœufs obéissants dépourvus de libre arbitre, qui trouvent loyal de faire le travail, quel qu’il soit, pour lequel ils sont payés. Le film de Stephen Daldry est un plaidoyer pour le savoir, sans lequel pas de citoyenneté, le dernier qui a le mieux crié l’emportera toujours ; et la plupart de ses contemporains seront, au gré du calendrier, des damnés en puissance ou de braves types.
*Tiré du roman éponyme de Bernard Schlink
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