Mardi 23 janvier, de 19 h à 21 h, Thierry Crouzet était à la librairie
Le Divan, à Paris (15e), pour présenter et dédicacer son nouvel ouvrage :
Le Cinquième Pouvoir - Comment Internet bouleverse la politique. Thierry Crouzet est l'une des figures marquantes de la blogosphère française. Il s'est fait largement connaître début 2006 avec son précédent livre,
Le peuple des connecteurs, et tient
un blog qui porte le même nom. Pas de rupture, en effet, pour lui, entre le papier et le Web : son site lui sert à fabriquer son livre, grâce aux interventions des internautes, et il le prolonge ensuite, dans la conversation caractéristique du Web 2.0.
Thierry Crouzet pourrait être tenu pour une sorte d'utopiste du Net (
même s'il se range plutôt parmi les "expérimentateurs") : il est, en effet, convaincu que le Web va changer profondément le mode de fonctionnement de notre société, en particulier sur le plan politique, et, pourquoi pas, révolutionner le monde. Selon lui, les problèmes fondamentaux auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui sont d'une telle complexité qu'il est inconcevable que des hommes politiques soient en mesure de les comprendre et d'y trouver les solutions adéquates. Il serait devenu impossible de prévoir les conséquences de nos décisions politiques. C'est ainsi qu'à l'époque de la crise du CPE, il stigmatisait à la fois les promoteurs du projet et ses détracteurs (qui descendaient dans la rue), car ni les uns ni les autres ne pouvaient prétendre anticiper ce que cette mesure allait donner comme résultats.
Crouzet est libéral, très libéral, dans un sens qu'aucun de nos politiques ne saurait représenter aujourd'hui. L'Etat est, selon lui, impuissant à relever l'essentiel des défis qui se présentent à nous. C'est l'intelligence collective qui, seule, pourra les affronter avec succès. Un travail collaboratif, qui a pour modèle ce qui se passe sur Internet - réseau vertueux sans aucun chef -, et qui réclame l'engagement de chacun, la reconnaissance de sa responsabilité pleine et entière dans le cours de notre monde.
Crouzet, en quelque sorte, étend au fonctionnement de la société tout entière les préceptes que Dan Gilmor appliquait initialement aux seuls médias d'information :
mes lecteurs en savent plus que moi, proclamait le célèbre journaliste de la Silicon Valley en 2004 dans
We the Media ;
c'est pourquoi j'ai tout intérêt à accepter la conversation avec eux, une collaboration constante avec eux dans mon travail. Fini le temps où le journaliste livrait, de son piédestal, tel un professeur, son article, que ses lecteurs se contentaient de recevoir sans broncher. Fini le mode de la leçon. Aujourd'hui, le journaliste est soumis à la critique permanente de son lectorat, dont il subit, que ça lui plaise ou non, les commentaires. Il doit tirer parti de ce nouveau contexte, et travailler "main dans la main" avec ses lecteurs, profiter de leurs conseils et même de leurs informations. De la même manière, le politique de demain, selon Crouzet, devra prendre acte du fait que les gens de la base sont plus compétents que lui, dans les divers champs d'action qui sont les leurs, et devra savoir tirer parti de ces compétences éparpillées à la base de la société. Le vrai pouvoir devra émaner de la base ; il devra être ascendant, et non plus descendant.
Crouzet, cohérent avec lui-même, assume le fait de ne pas voter. Car voter ne sert à rien. C'est donner un semblant de pouvoir à des gens qui ne savent pas (et ne peuvent pas savoir) ce qu'il faut faire. La politique doit se pratiquer autrement. Ségolène Royal, avec son approche "participative", est sur la bonne voie selon lui, mais ne semble pas décidée à aller suffisamment loin (voir
cette interview réalisée lors de la soirée au Divan par Christophe Grébert). Chacun doit participer, en tant que membre du Réseau, à son échelle et dans son aire d'action, à la vie politique. Et la société, à terme, doit même envisager de s'auto-organiser. Thierry Crouzet aime à citer - telle une métaphore - l'exemple de ces quelques villages anglais où les panneaux de signalisation ont été retirés, et où, paraît-il, les automobilistes se responsabilisent et conduisent finalement bien plus prudemment et sûrement qu'ailleurs. Y a-t-il la moindre once de réalisme dans le projet de société de Thierry Crouzet ? A chacun d'en juger. Loïc Le Meur en doutait encore le 22 janvier, dans
ce podcast, où le pape de la blogosphère renouait avec ses bonnes habitudes : des podcasts sympas et décontractés, qui avaient fait son charme et son succès, jusqu'à ces derniers temps, avant qu'il ne s'engage politiquement aux côtés de Nicolas Sarkozy, et que sa fraîcheur ne se perde un petit peu... C'est chez Loïc Le Meur que j'avais, pour ma part, découvert Thierry Crouzet, dans
un très bon podcast, en mai 2006.
Le pouvoir de la masse, c'est donc le cinquième pouvoir, qui se manifeste aujourd'hui sur Internet et dans les blogs, et qui constitue le vrai contre-pouvoir - le quatrième, celui de la presse, tendant à l'être de moins en moins, en tout cas trop rarement, soumis à des pouvoirs industriels et financiers qui entravent sa si précieuse liberté.
Pour revenir à la soirée-dédicaces de ce mardi, pas mal de beau monde s'y était donné rendez-vous : Carlo Revelli, fondateur d'
AgoraVox,
Christophe Ginisty, directeur général de PointBlog,
Rachid Nekkaz, candidat à l'élection présidentielle,
Quitterie Delmas, porte-parole des Jeunes UDF de Paris, Christophe Grébert, auteur de
MonPuteaux.com, sans oublier une petite équipe télé d'Arte.
En voici un aperçu d'environ vingt minutes. Il y est notamment question de la notion de "longue traîne" (
the long tail) ; on peut se reporter à
cet article de Chris Anderson, rédacteur en chef de
Wired, qui a la paternité de cette expression, pour en savoir plus.