Thomas Enhco, entre musique classique et jazz
Le jeune pianiste, que rien ne semble pouvoir arrêter, était au programme du Printemps de Bourges. Une occasion à ne pas manquer pour en savoir un peu plus sur ce musicien aux multiples facettes qui joue déjà depuis une vingtaine d’années.

Thomas Enhco vient de sortir un nouvel album intitulé Thirty qui fait référence à son âge, un cap symbolique ?
« J’ai toujours été, comme d’autres artistes je pense, fasciné, interpelé, par le passage du temps, et comme j’ai commencé à composer très tôt, vers l’âge de 6 ans, il y a vraiment eu plusieurs étapes dans ma vie jusqu’à maintenant : ce que j’écrivais quand j’étais enfant avait un parfum particulier, quand j’étais adolescent c’était un peu différent, puis entre 20 et 25 ans c’était encore différent. De même pour ces quatre dernières années : c’est le premier album que j’enregistre en partie avec un orchestre symphonique avec mon premier concerto pour piano.
Ce concerto a été une réalisation hyper importante et un défi pour moi qui n’avais jamais écrit pour orchestre avant, et qui suis fasciné par la musique symphonique. J’ai travaillé pendant un an pour l’écrire, et ensuite je l’ai beaucoup joué en concert avec des orchestres différents et à la Philharmonie de Paris il y a quelques mois. L’été dernier en l’enregistrant pour l’album, je me suis rendu compte que ça parachevait un travail de recherche sur la musique classique et sur la composition. L’album commence par cinq compositions solo qui sont plutôt récentes et qui sont aussi le point culminant de là ou j’en suis aujourd’hui, en tant que pianiste et musicien de jazz. 30 ans c’est symbolique musicalement pour moi. »
« Ecrire ce concerto m’a pris presque un an. Je l’ai commencé en 2016 alors que j’étais encore en tournée et parfois je ne pouvais pas du tout composer, mais je pensais à des idées de thèmes. J’ai d’abord écris la mélodie puisque pour moi elle est à l’origine de tout. Il y a trois mouvements et deux thématiques différentes par mouvement. Cela fait six mélodies autour desquelles je devais développer le concerto et toute son orchestration, tout en pensant à ce que je voulais raconter. Et, étant musicien de jazz, je voulais laisser une certaine place à l’improvisation pour les parties de piano. C’est ce qui fait son originalité : chaque interprétation est différente. »
- On a tendance à dire que la musique classique est quelque chose de sérieux, qu’en penses-tu ?
« C’est vrai, mais c’est le sens beau et noble de sérieux, de la même façon que construire une cathédrale c’est sérieux, que faire un film c’est sérieux. Mais ‘c’est sérieux’ ça ne veut pas dire que c’est chiant. C’est sérieux comme la musique de Mozart est sérieuse. Quand on écoute, quand on étudie ou qu’on joue la musique de Mozart, on se rend compte qu’il y a des moments qui sont très dramatiques, mais ce sont des drames d’enfant, des larmes d’enfant pour des choses qui ne sont peut-être pas si sérieuses que ça, mais c’est bouleversant parce que c’est tellement sincère et tellement naïf…
Dans la musique classique, il y a et ça demande une maîtrise totale à la fois du langage et de la technique instrumentale pour pouvoir interpréter ces choses là, donc c’est sérieux aussi par l’exigence que ça demande, pour bien la rendre, comme n’importe quel art savant, mais on peut aussi beaucoup rigoler avec la musique classique. »
- Et le jazz serait plutôt un divertissement ?
« Non, le jazz aussi c’est sérieux. Il y deux différences majeures. La première c’est l’improvisation. L’improvisation a totalement disparue de la musique classique. Autrefois les compositeurs improvisaient, mais plus maintenant. Dans le jazz, c’est la donnée numéro un : il n’y a pas de jazz si il n’y a pas d’improvisation, même si quelque chose qui a l’air d’être du jazz est complètement écrit, ce n’est pas du jazz. L’autre différence c’est le rythme. La science du rythme est totalement différente dans le jazz et dans le classique. Dans le jazz, on travaille vraiment sur le groove, les temps forts de la mesure sont les temps qui sont en l’air, ceux-là même qui sont sensés être les temps faibles dans la musique classique. C’est totalement opposé. Le jazz se rapproche de toutes les musiques qu’il a nourri, le rock, le R’n’B, le hip hop, le blues. Le jazz aujourd’hui a tellement évolué, en un siècle d’existence, que tous les musiciens de jazz ont une science de leur instrument et de la musique, même de la musique classique qui fait que c’est sérieux aussi. »
Extrait du dernier album : Owl and Tiger « Je prends beaucoup de plaisir à écrire de la musique qui est simple en apparence (ici : mesure à 4 temps binaire, harmonies pop) mais qui cache des détails complexes et des ambiguïtés (harmoniques, mélodiques, de forme) »
Photo vignette : Maxime de Bollivier
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