Tomboy tente et réussit un cinéma, ultra rapide au tournage, de facture légère, le plus souvent en lumière solaire… Une réussite cinématographique. Une fiction avec des morceaux d’ethnologie dedans, comme la guerre des boutons. De nos jours, le champ de bataille n’est plus le même.. Quoique d’autres films sont à faire sans doute.
Sur le fond, Tomboy surfe sur l’esprit du temps sans rien déranger, bien au contraire… Discrétion sur un sujet dont on dit toujours qu’il est difficile de l’aborder avec discrétion, alors qu’on ne fait que l’aborder avec discrétion. L’aborder avec discrétion signifie en dire toujours la même chose.
Nous affichons une sympathie immense à celles et ceux qui ne se sentent pas bien dans leur sexe, ou dans le genre associé à leur sexe. Cela paraît le pire des malheurs. Tomboy nous en offre un épisode, pendant les vacances avant le CM2. Laure qui vient d’emménager dans une petite cité de banlieue se fait passer pour un garçon dans un groupe d’enfants, composé de 5 garçons environ et 1 fille.
Le film a cette qualité de ne jamais commenter. On ne sait pas, on ne saura pas les raisons de cet acte, apparemment non réfléchi. Laure est une fille manquée, ou un garçon manqué, comme on veut : elle a plutôt des garçons comme amis, apprend-on au détour d’une réplique de sa mère. Pour bien passer pour un garçon, elle « travaille » un gestus masculin de son âge, cracher, rouler les épaules, enlever son T-shirt… C’est un engrenage… il faut « organiser » le mensonge jusqu’au bout, qu’il reste crédible pour les camarades de jeu, pour la sœur… Cela pourrait être une sorte de comique de situation, ce qui serait appréciable, cette forme de comique étant assez rare. A ceci près que ce n’est pas comique… c’est sérieux et grave… L’autre fille de la bande tombe amoureuse du nouveau qui « n’est pas comme les autres » lui dit-elle tout de même une fois. Ils échangent des petites bises sur les lèvres, et de longs silences de solitude à deux dans le bois.
La situation n’est pas tenable éternellement. Dans le temps des vacances, les institutions semblent en sommeil et on peut avoir l’impression qu’on est libre entre soi, dans un monde où les humains vivent leur relation sans intermédiaire, de personne à personne. La rentrée approchant, l’amoureuse n’a pas vu le nom de son amoureux dans la liste des élèves de CM2. Eh oui !
Viendra la découverte de la vérité et la remise en ordre. C’est la mère qui se rend compte que sa fille s’est fait passer pour un garçon. Elle en pleure ! et décide, sans discuter avec son enfant, de réaliser l’aveu, le grand aveu (le coming out, si vous préférez), auprès des enfants trompés. Tomboy est contrainte de mettre une robe ! (Le genre va affirmer le sexe). Et, accompagnée de sa maman, va dire et montrer qu’il est une fille. Entre deux visites d’aveu, la maman se baisse et se met plus bas que son enfant pour lui expliquer avec force et d’un ton sans réplique que c’est pour son bien et qu’il n’y a pas d’autres solutions.
Le film a un côté « ethnologie tendre », façon guerre des boutons : mais que font les enfants quand ils s’ennuient entre eux, que les institutions les lâchent un peu (ni famille ni école) ? Cependant, il ne porte pas vraiment question. Il surfe sur une ambiance de temps, par la lourdeur du ressenti sur ce genre de sujet, et aussi par cette domination absolue de la mère sur l’enfant.
Il y avait beaucoup de solutions : tout d’abord, alléger l’affaire, en rire et trouver l’attitude de l’enfant maligne, ingénieuse et pas si grave… On ne rêve pas d’avoir ce qu’on a déjà. On rêve d’avoir ce qu’on n’a pas. Cela va de soi. Déculpabiliser, en quelque sorte.
La susceptibilité de celle et de ceux qui ont été trompés semble avoir été Le problème. S’il fallait la ménager, il fallait et il aurait sous doute suffi de prendre un peu de temps, de les faire participer à la découverte, de la leur dire par tranches, la leur faire avaler cuillérées après cuillérées, avec des jeux et distractions entre les cuillérées. Que la mère aide à ce travail peut paraître plausible et avantageux pour l'enfant. La mère aurait pu aussi piloter, donner les conseils, et laisser faire sa fille.
Tout d’abord, dire quelque chose dans le genre : « Vous savez, j’ai un secret à vous dire… » qu’ils cherchent un peu, puis « je vous ai un peu menti, mais c’était pas contre vous…" (…) puis "le nom que je vous ai dit, c’est pas mon nom…" un temps... (…) je ne m’appelle pas Mickaël, je m’appelle Laure… » et enfin « je suis une fille »… En dialogue avec la bande d’enfants… ne pas tout dire soi-même, partager l’aveu…
Cette façon de faire, si elle avait été adoptée par la mère, aurait cassé le lien entre le film et la société qui voit dans l’insécurité sexuelle, appelons cela comme ça, la source de la pire des souffrances, de la plus grande des subversions et la justification des plus fortes dominations sur les individus.
Comme dans la guerre des boutons, où les « ennemis », mis en pension par punition, tombent dans les bras l’un de l’autre, Tomboy développe la subversion, et ses détails dans la durée, mais orchestre le retour à l’ordre.
La question du début revient à la fin : « Comment tu t’appelles ? » et la réponse est (enfin si on me permet cette redondance) la bonne : « Laure ! »