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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Tours et détours de la vilaine fille », ou le retour à la bonne (...)

« Tours et détours de la vilaine fille », ou le retour à la bonne littérature

Mario Vargas Llosa, journaliste et romancier péruvien plusieurs fois candidat au prix Nobel de littérature, homme politique, candidat aux élections présidentielles péruviennes de 1990, infatigable défenseur des droits civils et des valeurs républicaines, est l’un des écrivains les plus connus et les plus lus du panorama littéraire sud-américain et mondial.

Dès 1966, date de la parution en France (aux Éditions Gallimard) de son premier livre, La ville et les chiens, qui lui valu un grand succès auprès du public et de la critique, Mario Vargas Llosa nous livre avec régularité des textes ou bien des prétextes pour nous faire découvrir tant de merveilles de l’Amérique latine ainsi que pour partager avec ses lecteurs les difficultés dans lesquelles se débat encore aujourd’hui son peuple péruvien.

Disons-le tout de suite : avec Tours et détours de la vilaine fille, son dernier roman (octobre 2006), dont litre original en espagnol est Travesuras de la nina mala, Mario Vargas Llosa nous a réconciliés avec la littérature. Et il l’a fait avec ce roman, apparemment prolixe mais énergiquement efficace, où il a réussi à mixer des techniques d’analyse introspective classiques dans une écriture rapide, essentielle, au rythme purement littéraire. Bref, en ce texte, il a magnifiquement combiné le meilleur du roman traditionnel (1). Inventions démesurées, atmosphère exotique, passions tumultueuses, fonds historiques, tout se passe nettement devant nos yeux sans que l’action narrative n’assume de valeur idéologique ni qu’elle mène à un quelconque moralisme.

La vérité est que, à soixante-dix ans, Mario Vargas Llosa a envie de revoir son rapport avec le temps. Sans tomber dans le roman historique, genre intéressant mais bien loin de ses choix, il a recherché un autre équilibre dans le chaos de la vie, d’une vie très mouvementée et imprévisible comme la sienne. C’est pour cela qu’il a entrepris une sorte de traversée, revisitant ses souvenirs d’enfance et ses utopies de jeunesse. En quatre cents pages d’une extraordinaire densité, Mario Vargas Llosa entre dans la vie d’un couple qui se métamorphose au cours des cinquante dernières années du XXe siècle. Il entre dans la fiction, pour y retrouver le plaisir de raconter une histoire d’amour fou, la réinventer, la moduler selon ses vœux.

Grâce à sa passion pour la littérature, Vargas Llosa a gagné son pari. Il a dessiné une autre relation entre la fiction et le réel. C’est très exactement ce que l’on peut observer dans son Tours et détours de la vilaine fille. Car Vargas Llosa connaît très bien l’art de fasciner son lecteur en fouillant dans sa propre expérience et en choisissant des cheminements narratifs souvent déroutants, sans pour autant tomber dans l’insolite. A ce propos, on serait tenté de croire que certaines scènes, d’un érotisme particulièrement marqué, n’ont rien de maléfique ni de sordide, tant elles sont très bien insérées dans une progression narrative fluide et séduisante.

Doué d’une excellente imagination et d’une rigueur expressive qui n’ont pas d’égales, Mario Vargas Llosa met ces qualités au service de la prise de conscience que le mal (la petite fille) est impossible à concevoir, et qu’il faut en tirer les conséquences. Autrement dit, l’inhumaine petite fille chilienne serait donc dans l’humain bon garçon Ricardo, interprète par contrat à l’Unesco , à Paris, et traducteur de textes que presque personne ne lit.

Du Cuba de Castro au Paris des existentialistes, du Londres aristocratique et raffiné des années 1970 au riche et orgiaque Tokyo, les deux amants, sortis de leur Pérou natal, se poursuivent pour se rencontrer, et aussitôt après ils se perdent pour se rechercher. L’amour devient une sorte de jeu cruel et brutal, avec des trahisons, des mensonges et manipulations, mais terriblement beau et exaltant.

Il apparaît trop évident dès les premiers chapitres qu’il s’agit d’un rapport assez faible, à cause des caractères fortement individualisés des deux héros ; elle, les yeux « couleur de miel », sexuellement attrayante mais distante, cynique et motivée par une vie sans attaches, n’aimant que le voyage et la richesse, lui, trop sentimental, amoureux jusqu’à la folie (il tente un suicide), n’aimant que Paris et la bonne compagnie de Paúl, de Juan Barreto, de Solomon Toledano et surtout de son oncle Ataúlfo, qui lui donne toutes les informations sur Lima et sur l’évolution sociale et politique de la ville. Le lecteur suit quand même le développement de l’histoire avec curiosité, soucieux de voir si un amour fou peut engendrer de la joie. En vain, car la conclusion s’avère tragique : la petite Lily de Miraflores va bientôt mourir, captive d’un cancer qui la détruit, lui ôtant la parole et la mémoire. Maintenant son corps n’a plus rien à dire. Pas même sa taille mince mais élancée, et son cou qui ne finissait pas.

Plutôt vague et approximatif dans presque tout le livre (2), le portrait de cette femme se dessine mieux à la fin du roman, laissant percer l’image d’une femme fière et profondément sincère et humaine.

A Ricardo/Mario Vargas Losa, il ne reste que l’écriture, faire de la littérature, parler aux gens le langage de la simplicité et de la sincérité, convaincu que toute histoire racontée est efficace si elle sert à faire prendre conscience des misères et des grandeurs de la condition humaine.

Sur ce point, Mario Vargas Llosa n’a jamais dévié. Il a bien fait.

1.La parenté avec Flaubert est ici incontestable. Mario Vargas Llosa a toujours dit sa passion pour le Flaubert de L’Éducation sentimentale, auquel il a consacré un essai, L’orgie perpétuelle.

2.Au début, Ricardo rencontre la « vilaine fille » sous le nom de Lily, puis sous le nom d’Arlette. Elle réapparaît mariée à un diplomate sous le nom de Mme Arnoux. Elle va épouser, ensuite, un éleveur de chevaux, M. Richardson ; on la retrouve au Japon sous le nom de Kukito, maîtresse d’un riche homme d’affaires. Adolescente, guérillera, aventurière, maîtresse, contrebandière, elle fait du mensonge son style de vie.


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7 réactions à cet article    


  • (---.---.244.155) 26 janvier 2007 17:12

    Merci pour cette chronique, vous m’avez donne envie de lire ce livre, que je vais aller acheter de ce pas.


    • (---.---.215.93) 26 janvier 2007 20:42

      « Disons-le tout de suite : avec Tours et détours de la vilaine fille, son dernier roman (octobre 2006), dont litre original en espagnol est Travesuras de la nina mala, Mario Vargas Llosa nous a réconciliés avec la littérature. »

      oui frangione et ça fait du bien de le lire

      moi j’ai adoré et... j’ai fini trop vite le livre.je l’aurai voulu multiple. une histoire, un style et un climat trop rares en ces temps de disette...mario vargas nous fait vivre les désillusions du héros apatride, son attachement à ces racines, son amour pour paris, son désenchantement, son manque d’assurance, son manque d’ambition, son amertume, sa condamnation à un destin terne, ses rêves voués à l’échec, son désespoir parfois, mais aussi sa patience, son fantasme et son amour fou avec une simplicité qui rime avec esthétique. j’ai aimé aussi la fuite perpétuelle de la belle, ses mensonges, son entetement, son égoisme et ses rêves de gosse. et aussi l’espace dans le roman avec une géographie cosmopolite, le récit qui est ancré dans des circonstances reconnaissables par beaucoup, avec des références familières, clin d’oeil à tous les biquets de la terre. et une écriture transparente, avec des tas de nuances, de la tristesse à l’ironie, de la sensibilité et de la profondeur. tout est bon, y’a rien à jeter. vous revenez quand avec un autre pareil ?


      • Sam (---.---.203.131) 27 janvier 2007 09:10

        A Ricardo/Mario Vargas Losa, il ne reste que l’écriture, faire de la littérature, parler aux gens le langage de la simplicité et de la sincérité, convaincu que toute histoire racontée est efficace si elle sert à faire prendre conscience des misères et des grandeurs de la condition humaine.

        Comme quoi on peut être un grand écrivain et un foutu réac d’ultra-lib.

        C’est pas une nouvelle, mais venant d’un être qui scrute les âmes si bien, ça déçoit. Fortement.


        • Gary (---.---.98.2) 28 janvier 2007 00:17

          « ... infatigable défenseur des droits civils et des valeurs républicaines » ????

          Hé, hé... Il est plutôt membre de la Trilatérale.


          • Sam (---.---.225.165) 28 janvier 2007 20:50

            Gary

            Vargas Llosa ?..Tu plaisantes.. smiley


          • liz (---.---.51.17) 8 février 2007 16:30

            beaucoup de plaisir à lire ce roman, à cause de la thématique de l’amour obsessionnel et destructeur (belle de seigneur), à cause de la toile de fonds historique sur le Pérou et des allers-retours pérou /paris du narrateur. c’est drôle, je viens de lire « Tango » d’Elsa Osorio et je me suis retrouvée sur les mêmes chemins. âme sud américaine ? En tout cas infiniment plaisant m^me si MVL est un foutu libéral.


            • francescobi 18 décembre 2010 13:37

              Se lit avec plaisir et intérêt, curiosité, passion par moments, on y trouve ça et là quelques belles intuitions, quelques bonnes remarques. Mais ce n’est pas un grand livre à mes yeux. La structure est répétitive, et il ne se dessine guère de résonances entre les diverses amitiés qui scandent le roman, entrecoupées toujours par les apparitions également répétitives de la vilaine fille. Reste une vraie qualité d’évocation de personnages (y compris secondaires) dont la personnalité nous tient en éveil. Et l’ambiguité entre la niaiserie d’un narrateur qui se laisse vampiriser, victime d’un état de dépendance plutôt pathétique, et la beauté d’un amour absolu. En ce sens, la personnalité secrète de la vilaine fille et son humiliation originelle de « pauvre » créent un personnage que l’on ne souhaite pas juger en dépit de sa manière puante d’instrumentaliser les gens, ce qui est intéressant. Quant à la langue, dans la traduction française du moins, elle raconte efficacement sans nous plonger dans un état de conscience particulier. Bonne lecture, mais j’attendais (naïvement) davantage d’un auteur si célébré.

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