« Toy Story 3 » mérite-t-il son très bon buzz ?

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? A la célèbre interrogation de Lamartine, les créateurs de la saga Toy Story répondent par l’affirmative. Dans notre vie, on a tous connu ce moment où le surgissement d’un objet du passé fait revenir en notre mémoire des émotions liées à des souvenirs précis. Aussi, préfère-t-on garder précieusement ce vestige du passé de peur que celui-ci s’efface - cette attention au passé étant d’ailleurs tout à fait dans l’esprit Disney : « J’ai moi-même un penchant pour la nostalgie. J’espère que nous ne perdrons jamais certaines choses du passé » (Walt Disney). Ce retour du passé, c’est ce qui arrive à Andy, notre petit héros qui a bien grandi depuis les deux premiers épisodes, Toy Story (1995) et Toy Story 2 (1999). A bientôt 18 ans, il s’apprête à quitter le giron familial pour entrer à l’université. Sa mère lui demande de faire place nette dans sa chambre mais, alors qu’il le destine au grenier, le sac de ses jouets bien-aimés (Buzz l’Eclair, Woody le Cow-boy…) est mis sur le bord de la route en vue d’être emporté par les éboueurs. Branle-bas de combat ! La résistance s’organise, les jouets, livrés à eux-mêmes, parviennent à tracer leur route. Se retrouvant dans une école maternelle, les toys favoris d’Andy se voient bientôt entourés d’autres jouets qui ont l’air, de prime abord, fort sympathiques et de bambins, semble-t-il, adorables. Mais ces derniers s’avèrent rapidement destructeurs et les nouveaux jouets, dont une peluche rose parfumée à la fraise répondant au pseudo tout rond de Lotso, sont en fait manipulateurs, voire malfaisants. Sauve qui peut ! Pour Woody et sa bande, il s’agit d’échafauder fissa un plan pour échapper à cette garderie infernale.
Au tout début, on prend peur, l’entame de Toy Story 3 multiplie les personnages, les décorums insipides et les péripéties sans queue ni tête mais, comme pour certaines séquences des deux premiers épisodes, nous sommes en fait dans la tête d’un gamin, où tout est permis, jusqu’au n’importe quoi, donc. Peu après, le scénario se stabilise, on prend alors le temps de nous faire revisiter le foyer familial et l’antre (la chambre d’Andy) des jouets hauts en couleur. Le film commence alors vraiment et, pendant les 1h40 que dure ce film d’animation, on ne s’ennuie pas une seconde. Alors oui, bien sûr, il s’agit d’un Disney, donc d’une production américaine, bien sûr il s’agit d’une suite (avec Shrek 4, Twilight 3 et autres Predators on ne les compte plus), bien sûr il s’agit d’un film pour enfants, et de surcroît d’un film familial qui célèbre la sacro-sainte famille, bien sûr aussi le film peut être vu comme une énième rampe de lancement pour servir un merchandising Toy Story à tire-larigot et enfin, bien sûr, le design visuel du film n’a plus rien à voir avec les paysages aquarellés des Disney d’antan (Blanche-Neige, Fantasia, Le Livre de
Mais si l’on met de côté ces quelques résistances, somme toute légitimes, force est de reconnaître que Toy Story 3 réussit la gageure d’être encore meilleur que le précédent, pourtant très bon, et d’aller plus haut que les productions Pixar récentes (Cars, Wall-E, Là-haut) ; il peut même prétendre rivaliser avec les grandes réussites du genre que sont Nemo et Ratatouille car, comme eux, il ne s’épuise pas en route. A quoi cela tient-il ? Certainement à un scénario très bien construit, reposant sur une topographie des plus travaillée (la garderie est un terrain de jeu s’ouvrant idéalement à un récit gigogne multipliant les tiroirs narratifs), certainement également à un foisonnement assez jouissif de clins d’œil (mais ça, ce côté très référencé, on l’a aussi dans l’ultime Shrek qui pourtant fatigue sur la durée) mais, surtout, à l’émotion qu’il distille étonnement du début à la fin. Lorsque l’équipée de jouets est en passe d’être brûler vive par les flammes de la décharge, on vibre pour eux et on a envie qu’ils s’en sortent. Ce sont des jouets en plastique, et pourtant ils parviennent à nous émouvoir. Ce sont des personnages créés entièrement par ordinateur et, pourtant, le film possède une chaleur humaine que moult films, avec des acteurs en chair et en os, n’arrivent jamais à obtenir. Les créateurs de Toy Story (John Lasseter, Andrew Stanton, Lee Unkrich) parviennent à insuffler la vie aux figurines, notamment en insistant sur leur regard, « Ce sont les yeux, plus que toute autre chose, qui donnent l’illusion qu’un jouet est vivant. La direction du regard, le déplacement de la pupille vers le côté lorsqu’un personnage observe quelque chose sans se faire remarquer : c’est par ce détail, précisément, qu’on a une impression de présence. » (Lasseter, in L’art de Toy Story, éd. Hachette/Disney, 1996).
On pourrait même dire que Toy Story en arrive presque à faire mentir un Roland Barthes qui, dans Mythologies (Jouets, 1957), vante les objets artisanaux en bois au détriment des jouets industriels en plastique qui, selon lui, n’évoquent rien d’autre que ce qu’ils sont, à savoir de vulgaires bouts de plastique sans âme et sans histoire. « Le bois fait des objets essentiels, des objets de toujours. Or il n’y a presque plus de ces jouets en bois, de ces bergeries vosgiennes, possibles, il est vrai, dans un temps d’artisanat. Le jouet est désormais chimique, de substance et de couleur : son matériau même introduit à une cénesthésie de l’usage, non du plaisir. Ces jouets meurent d’ailleurs très vite, et une fois morts, ils n’ont pour l’enfant aucune vie posthume. » Faux ! En tout cas dans Toy Story. Ici, on a affaire à une histoire et à une mythologie des jouets ; ils ont chacun leur petit univers, tel l’astronaute naïf Buzz qui rêve toujours de sauver la galaxie. Bref, est à l’œuvre une poétique de l’objet qui, sur fond de parti pris des choses du quotidien, donne une âme et une vie aux objets. Les jouets ont du vécu ! Les peluches sont défraîchies, le nounours Lotso, revenu de tout, est râpé, et les jouets en plastique sont abîmés, le Gros Bébé à la paupière vacillante est d’une inquiétante étrangeté. C’est en ce sens que Toy Story 3 captive car, non seulement il répond haut la main à son cahier des charges de pur divertissement mais, en outre, il sait se faire plus profond, marqué même par une certaine tendance au mortifère, pas si éloignée d’un Tim Burton. Hommage aux jouets, Toy Story 3 vient parler à l’enfant (mort ?) qui est en nous, et il en parle avec pertinence car l’on sent bien que les auteurs du film se servent de leur propre passé pour viser l’universel. Andrew Stanton : « Nous avons de la chance, ce que les animateurs connaissent le mieux c’est leur enfance et leurs jouets. Nous ne sommes que des gosses qui ont grandi. » ; et on raconte qu’Unkrich et Lasseter se sont nourris du réel pour enrichir l’émotion du film : au cours d’un déménagement, le premier avait malencontreusement jeté un sac de peluches appartenant à l’enfance de sa femme et le deuxième, lorsque son fils est parti à la fac, a douloureusement senti qu’une page se tournait : « Personnellement, j’ai pu m’inspirer de l’authentique émotion que j’ai ressentie lorsque j’ai conduit mon fils à l’université. C’était une émotion très puissante. Vous vivez avec quelqu’un depuis sa naissance, et d’un seul coup, il s’en va. »
On pourrait s’étendre encore longuement sur les nouveaux venus (notamment Ken & Barbie qui, avec leur parade disco et leurs escapades fleur bleue de telenovelas, sont à deux doigts de piquer la vedette à Woody & Buzz !), on pourrait aussi s’attarder sur les nombreux gags (une crèche transformée en asile de pervers polymorphes, un Buzz se transformant en hidalgo, un clown triste hanté par un trauma d’enfance), on pourrait insister sur les renvois savoureux à plein d’autres films (de
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