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Trenet : centenaire a minima

Ce 18 mai Narbonne fête en solo le centenaire* de son prodigieux fils. Charles Trenet, qui entre deux guerres mit au rencard la chanson de grand-papa, révolutionna le genre et demeure inégalé, n'aura reçu qu'un hommage local, indice d'une France plus que jamais déterminée à renier son propre génie. Passons.

Le paradoxe Trenet

Depuis 1938, année où le duettiste Charles quitte Johnny (Hess) pour faire cavalier seul, avec en entrée fracassante : Boum, Je chante, Y’a d’la joie et Fleur bleue, la joie, le bonheur simple (et un tantinet réac) restent accolés à l’œuvre et à la personne, pourtant diverses, à dominante inquiète et mélancolique. Magie du rythme, du sourire inébranlable, ou de la pirouette – joker de sortie ? « Je me suis pendu cette nuit/Et depuis je chante… » ; « J’avais rêvé, car le ciel est gris/Mais mon rêve a du bon… »

L’essentiel de l’œuvre, sur ce mode, nous invite non pas à nous réjouir d’une réalité glauque, mais à la transcender, à l’édulcorer sans craindre l’artifice, jusque dans le quotidien : le chantre de la nature n’a-t-il pas chez lui des fleurs en plastique, un feu de bois électrique, une copie de la Joconde, un appétit qui le scotche des jours entiers à des repas trop arrosés, une passion pour le calembour à défier l’almanach Vermot ?

Méthode de survie

A l’origine de cette profession de foi, l’immense chagrin du petit garçon délaissé à 7 ans par une mère ensuite omniprésente (d’aucuns diront pesante). Du jour au lendemain l’insouciante vie de famille nombreuse va faire place au pensionnat, et à des larmes dont il semble que jamais le petit pensionnaire / orphelin de sa mère ne se remettra. D’où, sans doute, son refus définitif de s’attacher, de souffrir ; d’où sa culture du plaisir à tout prix, sa fuite perpétuelle d’une propriété à l’autre, d’un compagnon l’autre…

Quand je repeins le ciel / C’est pour qu’il soit bleu

Soucieux de cette discipline de défi à ce qu’il nommait la sinistrose, le solitaire, méfiant et assez misanthrope, s’ouvrait comme une carpe, machinalement, à la vue d’un objectif, et jusqu’à sa sortie de prison : non celle des « Pères » de Perpignan, mais, cinquante ans après, la vraie, pour adultes, où l’ont envoyé des prostitués mineurs (on l’était alors jusqu’à 21 ans), devenus dans l’imaginaire collectif innocents gamins abusés.

Ce coup, porté à l’homme et à sa carrière, entre en partie (avec l’absence d’engagement politique, et une gestuelle qui passe mieux la rampe que le petit écran) dans le refus de rendre à l’artiste l’hommage qui lui est dû.

Si, au moins, le fils de notaire avait pris la précaution d’indiquer par écrit, et sur papier timbré, son intention de léguer sa fortune à l’ADASS (« l’Assistance publique »), comme il le confiait volontiers, il y eût gagné une plaque, une rue de Paris, de ces marques de reconnaissance qui le rassuraient tant.

(Négligence responsable d’un héritage infernal et sordide**, et d’autant plus étrange qu’il confiait sur le tard penser chaque jour à la mort, dans sa petite chambre d’enfant de Narbonne, au mur de laquelle s’affichait son extrait de naissance ; et que l’argent n’était pas le moindre souci du milliardaire, qui s’était rêvé peintre et romancier…)

Une Route enchantée en héritage

Reste qu’avec lui, et lui seul, on s’envole. Comme les lectures de Proust (dont la Recherche parut en même temps que Charles) fixaient chez le jeune Marcel un souvenir, un paysage, nous sommes nombreux à retrouver à l’écoute de ses quelque mille chansons des fragments de l’édifice immense du souvenir. D’utilité publique, elles seront sans nul doute redécouvertes, voire enseignées.

*’Le fou cent ans’. Programme

**Midi libre 2012

 


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3 réactions à cet article    


  • Richard Schneider Richard Schneider 21 mai 2013 18:44

    Le « vrai » père de la chanson française aurait mérité au moins une émission à la télé ! Brel, Bécaud, Aznavour et surtout Brassens avaient une immense admiration pour le Fou Chantant.

    Bravo à l’auteur pour ce petit rappel.


    • Julie Dep Julie Dep 21 mai 2013 19:05

      Merci, Richard. L’auteur a passé autrefois du temps, et une émission tv, à montrer à la génération post-68tarde que ses chanteurs référents étaient eux aussi reconnaissants de l’héritage.


      Plus qu’un hommage télé, une plaque, une rue, un square s’imposent. Pensez qu’une dizaine au moins d’écoles primaires portent le nom de Pierre Perret... !

    • Richard Schneider Richard Schneider 21 mai 2013 21:06

      à Julie Dep,

      C’est toujours une petite déception que de constater que ceux qui s’intéressent ou aiment la « bonne chanson » française semblent avoir oublié l’œuvre de ce grand chanteur-poète-musicien ... Qui se souvient encore de ces chefs-d’œuvre que sont « La Folle Complainte » ? « Une Noix » ? « Que reste-t-il de nos amours ? » ... Des amis américains étaient tout surpris d’apprendre que « Beyond the sea » était une chanson de Trenet !
      Bonne soiré,
      RS

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Julie Dep

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