« Très bien, merci » : un film d’horreur sociétale ?
Très bien, merci d’Emmanuelle Cuau est un film qui fait peur, qui donne des bouffées d’angoisse, bien plus que les films estampillés « horreur », style The Descent, Hostel ou encore
Le film culotté de Cuau commence comme un David Lynch, c’est le quotidien réaliste qui devient insidieusement inquiétante étrangeté. Alex, un comptable qui rentre de son boulot, marche dans la rue et s’arrête, curieux, devant un contrôle de police pour regarder la loi sévir, histoire de. Trois policiers interpellent des jeunes. Mince, ils sont djeunes et c’est le soir... Bingo ! Alors c’est tout de go papiers, mains sur la tête, fouille au corps... Mais c’est bientôt notre comptable, jugé trop curieux, qui devient... suspect et hop là, direction l’hôpital psychiatrique ( ! ), sans oublier des tutoiements (de trop) et des " Qu’est-ce que tu regardes ? Dégage ! "... et c’est alors le cauchemar, sur fond d’absurdité policière, qui commence.
Un véritable cauchemar éveillé où l’on assiste au déploiement d’une société de télésurveillance, quadrillage haute sécurité, qui, à force d’être bâtie sur la violence feutrée, la docilité pseudo-bienveillante et les plaisirs minuscules de politesse automatisée, finit par faire passer les moindres peurs refoulées, les moindres pulsions de révolte (légitimes parce que naturelles) et autres colères saines pour un signe de manque de contrôle de soi, voire de folie à mettre sous clé, et fissa ! Face à cette attitude bord-cadre (la liberté de regard et de libre arbitre qui va de pair avec la démocratie, la liberté et l’égalité...), voici donc une société hypernormée qui désigne bientôt, au nom d’un clientélisme ayant pignon sur rue, qui est sain d’esprit et qui a la santé mentale qui fait tache. Alex, habillé pourtant de manière boy scout attitude (costume et attaché-case de rigueur) fait tache dans le paysage parce que, comme Michael Douglas dans Chute libre, il choisit de s’indigner, de " dérailler ", de casser sa vie trop régulière et les conventions tacites qui la régissent en soupçonnant cette société de bannir trop souvent arbitrairement et d’abuser de son pouvoir - et de son devoir - de protéger en le transformant subrepticement en capacité de nuisance, avec pour arsenal l’artillerie lourde du flicage et du fichage façon Big Brother : exclusion, casier judiciaire monté de toute pièce, licenciement...
En fait, ce film " névrosé " et sociétal met en lumière un système pas vraiment bienveillant pour ses concitoyens, un univers de contrôle omniprésent et d’obsession normative, où chacun est à tout moment présumé... coupable. Ce système de " punition préventive ", cherchant à assurer une sécurité parfaite, qui s’abat sur notre " pauvre " Alex, fait penser à Minority Report de Steven Spielberg où chaque individu est quadrillé de caméras vidéo et de fichiers sophistiqués, style Souriez, vous êtes surveillé !, il est ainsi immédiatement identifiable via toutes les intelligences artificielles qu’il croise sur son chemin (affichage publicitaire, auxiliaire de police, vidéosurveillance...) : rêve d’un monde interactif, hyper-individualisé et transparent à lui-même, où les populations et groupes sociaux dits " à risque " (expression horrible) - djeunes de banlieues, parents paumés, toxicomanes, consommateurs occasionnels de psychotropes, gens du voyage, personnes connaissant des troubles psychiques (comme notre Alex ?) et autres précaires, " invisibles ", " intermittents de l’emploi "... - n’ont plus qu’à se fondre dans les angles morts de la surveillance générale, pour survivre encore un peu, jusqu’ici, tout va bien...
Très bien, merci un film qui fait d’autant plus peur qu’il est terriblement réaliste, on assiste moins à une descente aux enfers qu’à une spirale tragicomique qui fait froid dans le dos car cet Alex, comptable, qui se bagarre humblement contre l’imparable logique sécuritaire et contre la froide mécanique bureaucratique des choses, c’est nous, agresseurs ou victimes potentiels, pouvant être les jouets de la peur, de la culpabilité et de la paranoïa. De même, le chauffeur de taxi Béatrice (la jolie Sandrine Kiberlain), femme courage oscillant entre douceur et puissance brute, ça pourrait être nous. Ces personnages mis en situations ubuesques et cette observation kafkaïenne d’un monde où la liberté devient danger, c’est la description de ce que nous sommes, actuellement (?), et de notre époque troublée et troublante, l’air du temps n’étant plus libertaire mais au contraire, semble-t-il, autoritaire. Mais, on le sait très bien, la folie n’est pas forcément là où la société s’autorise à la décréter. Notre antihéros kafkaïen déboussolé (Alex/ Gilbert Melki) est-il victime de lui-même - sa santé mentale et son regard suspect -, de la société ou des deux ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un dysfonctionnement collectif ( les Etats-Unis et leurs villages Playmobil sécurisés ? Notre France mé-contemporaine et américanisée ? ) qui est à revoir urgemment sous peine de basculer définitivement dans un New York 1997 généralisé, avec des ghettos d’individus (rois ou exclus dans les angles morts de la vidéosurveillance) et de pensées (lisses ou au contraire critiques, poils à gratter) ?
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