Tribute to Patrick McGoohan
Il est né en 1928 aux Etats-Unis à New York, de parents irlandais qui immigreront, par la suite, en Angleterre, à Sheffield exactement. Cette ville du nord, industrielle fut un des points de chute de la diaspora catholique irlandaise, main-d’œuvre bon marché par excellence. En 1937, George Orwell déclara à propos de la cité industrielle : « Sheffield, je suppose, qu’elle pourrait être appelée à juste titre, la plus hideuse ville de l’ancien monde ».
Hideuse, certes, mais un bouillon de culture où prolifère une bactérie
de talent : Joe Cocker, Def Leppard, les leaders de Pulp, l’acteur Sean
Bean, l’inquiétant Donald Pleasance, ainsi que Bruce Dickinson, Iron
Maiden qui consacrera une chanson au « Prisonnier » sont tous
originaires de Sheffield. C’est aussi dans cette industrieuse cité que
se déroule l’action du film Full Monty. C’est dans cette ville
catapultée de son XIXe siècle sordide, digne de Dickens que notre «
Suprem Unknown » a grandi entre misère humaine et foi catholique. Sa
mère le destine à la prêtrise. Il abandonnera cette voie pour devenir
acteur, il n’en restera pas moins fortement imprégné par sa foi
catholique et cela influencera indéniablement ses choix de carrières.
Il débute sur les planches dans les années 50. Il incarnera «
Star Buck » dans le Mobby Dick d’Orson Welles, ce dernier avoua
avoir été intimidé par le talent du jeune acteur. Les deux personnages
ne manquent pas de points communs : un certain style, un génie atypique
et fulgurant, un culte autour de leur personne, ainsi qu’un certain
goût pour les mystères et les trompe-l’œil.
Pour cette période de gestation de notre comédien, remarquons le film Hell Driver de Cy Enfield, où il incarne un ténébreux et
machiavélique conducteur de camion aux côtés de Stanley Baker
(réalisateur et interprète du monolithique Zulu), Herbert Lom (qui
sera cristallisé peu après dans le rôle du commissaire Dreyfus de la
panthère rose), Sid Harris (le Francis Blanche anglais fidèle serviteur
des comédies Carry on...), Ainsi que, que Jill Ireland (Madame
Charles Bronson), David Mac Callum (cultissime agent très spécial Illya
Kuryakin) et... un beau gosse aussi rustique qu’honnête, avec un
fort accent écossais : Sean Connery.
Notre acteur a une particularité, né aux Etats-Unis, de parents irlandais, et
ayant grandi à Sheffield, il a un accent neutre et il peut jouer aussi
bien les Britanniques que les Américains. C’est sur cette
caractéristique que certainement les producteurs de Dangerman ont
fait leur choix concernant le rôle de John Drake, agent secret de
l’Otan dans la série. Quatre saisons, plus de 70 épisodes entre 60 et
68, sur une idée originale du légendaire Ralph Smart, un scripte de
George Markstein, deux poids lourds du monde de la série britannique
des sixties. Drake est, à l’origine, un agent indépendant intervenant sur
des cas sensibles, voire douteux. Les premiers épisodes veulent le
présenter comme un savant mélange d’espion et de privé à la sauce
Chandler. Il hérite du style narratif du genre en faisant de l’espion
le propre conteur de ses aventures.
C’est sous l’influence de Mc Goohan que le personnage et la serie
évoluent. Il le fait boire plus modérément, évite de lui faire sortir
son arme pour un oui ou un non afin de « dézinguer » de l’agent double
et ne le fait pas rejoindre l’héroïne dans son lit. Et cela sous le
prétexte qu’étant catholique, il ne veut pas se faire le propagandiste,
aux yeux du public, de ce genre de vice. Il transforme Drake en un
moine soldat multi-facettes, au service de l’Otan et plus tard dans la
série au service du MI9.
Avec l’affaire Profumo et le succès de l’adaptation de Dr No à l’écran,
le style « Spy » explose dans les sixties, avec des séries comme : The Avengers, Department S, Men of the Uncle, la trilogie Harry Palmer avec Michael Caine. Dangerman se place dans le style aventure
d’espionnage subtil, intelligent et sacrément proche de la réalité. Il
est vrai que toutes les crises géopolitiques, les tensions
diplomatiques, les affaires d’espionnage et faits divers de l’époque
sont illustrées dans la série. Comme dans l’épisode Journey Ends Halfway qui s’inspire de l’affaire du Dr Petiot. Such Men are Dangerous nous décrit les rapports étroits de la pègre et l’extrême
droite au milieu des années 60. The Mercenaries aborde le cas
des « affreux » ou soldats de fortune en Afrique. The Man on the Beach nous décrit une île qui ressemble trait pour trait à l’Haïti
des Duvalier. Pour cet épisode, il est accompagné de la sulfureuse
Barbara Steele, éternelle déesse des enfers de la Hammer Production. Il
faut souligner aussi que tout le petit monde des acteurs de télévision
de l’époque va faire une apparition dans Dangerman : Delhom Elliot,
Lois « Money Penny » Maxwell, Donald Pleasance, John Lemesurier, Ronald
Fraser, etc. Et souvent avec récurrence jouant ainsi deux personnages
différents dans une même saison.
C’est là, que McGoohan va se lancer dans ses premières réalisations. Au
fil des saisons, et grâce aux talents conjugués des différents
réalisateurs, comédiens, techniciens et scriptes, on en oublie les «
décors bidons » redondants, les cascades à « deux balles », les
bagarres mimées péniblement, pour être pris sous le charme indéniable
de la série. Car il y a une ambiance dans Dangerman. Drake a affaire
non pas comme dans James Bond à des mégalos maîtres du monde, mais à des
« ouvriers spécialisés » de l’espionnage, à des laborieux du
renseignement, petits agents, minus gangsters, maquereaux,
fonctionnaires corrompus. Les femmes ? Ce ne sont pas des vamps, mais
des femmes mariées, qui, pour un gigolo, vendent des renseignements à
l’Est, et des comtesses, ex-tapins qui enfument le network. Bref du
tout-venant de l’espionnage, c’est du renseignement qui sue dans sa
chemise et qui sent le tabac.
Quatrième saison, 1967 : deux épisodes se déroulant au Japon, Mc Goohan
travaille déjà sur le projet du Prisonnier. Il donne sa démission et
quitte le costume de John Drake.
On retrouve la même « dream team », sur le projet du Prisonnier que sur Dangerman, Mc Goohan, Markstein, Smart et Chaffey. À l’attention de
ceux qui s’acharnent à démontrer quelques points de concordance ou
clins d’œil entre les deux séries, je dirais que le monde de la série
de l’époque est un « Village », et que les castings sont assez
standards : vous cherchez un vieux marin, vous prenez Frederik Piper,
un playboy sulfureux et diabolique : Peter Wyngarde. Vous cherchez un
décor baroque, pour une ville de la riviera italienne, comme dans Dangerman View from Villa ? Vous choisissez le village délirant de
Portmeiron Gwynedd sur la côte du Pays de Galles.
Il y a un parfum de vacances dans ce « Village », quelque chose de
léger, festif, oui ! Une société très festive. Une fanfare, jouant
uniquement « La Marche de Ratzinski », des costumes chamarrés, Boating
style ? Ou bien quelque chose d’estudiantin anglais, tous avec le même
uniforme et aux couleurs de l’institution. On peut faire du bateau au «
Village », mais vous ne quitterez jamais la plage, une « nef des fous »
! Il y a dans ce carnaval perpétuellement surveillé, par ces sphères,
ces rôdeurs, rebondissant sur le rivage, quelque chose de Jerome Bosch,
nous sommes bien là dans son Jardin des délices. Tout le monde est
apparemment heureux, aussi heureux et enthousiaste que les candidats
d’un show de la télé-réalité.
Seize épisodes, c’est une oeuvre artistique télévisuelle indiscutable. Un
condensé d’Orwell, Huxley, HG Wells, Dante Allighieri, influencé dans
son esthétisme par un Fahrenheit 451 de Truffaut. Mais aussi dans
cette générale surveillance, il y a du Huis clos de Sartre. Aussi,
on reconnaîtra dans le singularisme et l’absurdité, le héros de L’Etranger de Camus. Encore, dans le pathos des habitants du village,
il y a du Thomas Mann, de La Montagne magique.
C’est là une critique acerbe et non sans ironie de notre société «
moderne » ne pouvant qu’offrir le plaisir en compensation d’une
inaccessible et parabolique liberté abstraite. L’obsession sécuritaire,
pour rassurer et pour compenser le fait que la science par son
observation n’a pas tout expliqué et résolu. Alors, on contrôle, on
épie, on analyse, non plus la nature, mais l’humain. La paranoïa comme
équilibre et moteur d’une société. Pour le village du Prisonnier,
un numéro est bien mieux qu’un nom, au moins on peut vivre dans
l’illusoire certitude d’avoir une place et évoluer dans un ordre. Idée
merveilleusement oppressante ! Être un numéro sans histoire, sans
passé, sans géniteur, sans mémoire.
Once Upon a Time, l’avant-dernier épisode du Prisonnier, a pour sujet
justement la mémoire. Le n° 2, interchangeable à volonté durant le
cours de la série, est incarné par Léo McKern. Un « John Falstaff » qui
s’est mis en tête de faire céder le n° 6 grâce à une confrontation
psychanalytique et le faire régresser pour le faire avouer. Un épisode
théâtral, trois acteurs, McGoohan, Mac Kern et Angelo Muscat, le fidèle
serviteur muet du n° 2. Un affrontement rhétorique sans merci, frôlant
le théâtre d’avant-garde. Le n° 6 avoue ! Une pirouette ! Il a
démissionné par « paresse ». Il tient et domine ici le n° 2 qui
devient lui-même prisonnier et dépendant de la réponse du 6. Y avait-il
vraiment « information » à divulguer ? Tout cela nous apparaît comme une
farce, la prison représentée par le village perdrait ici tout son sens
d’exister. Le château de carte s’est effondré. Une mascarade de plus.
C’est le moment pour le n° 6 de connaître son triomphe.
Fall out, le dernier épisode, n° 6 a dépassé le système. Il est
reçu parmi les élus, on lui rend son individualité. Plus de numéros, mais
Monsieur. Le combattant de la liberté a vaincu et cela au son des
trompettes ironiques de All its need is Love par les Beatles. Il
est reconnu et apprécié pour son combat. Il est mis sur un trône,
invité d’honneur, aimé, respecté.
Il ne s’agit-là d’un traquenard qui a pour but d’aliéner sa subversion
par la glorification. Il n’est en fait pas plus écouté que ça, son
discours est couvert par les acclamations et les applaudissements de
juges masqués. C’est une mascarade, un rituel, le système honoré pour
mieux aliéner, il n’y a plus de prophètes ou rédempteur ou sauveur
possible, il n’y a que des idiots égocentriques étouffés à coups de
reconnaissance. C’est le moment précis pour le n° 6 de rencontrer
le n° 1 qui se trouve dans une fusée. Il s’approche d’un homme
masqué en toge qui tient une boule de cristal où se reflète le visage
du prisonnier. Ce dernier arrache le masque, une grimace simiesque
apparaît, il arrache encore, et il découvre son propre visage. Le
n° 1 c’est lui. Une farce, un leurre pour appâter son ego. Il
s’aperçoit alors qu’il a été attiré à l’intérieur de la fusée pour être
envoyé lui et sa subversion dans l’espace. Avec l’aide de Léo Mc Kern
et d’un autre prisonnier, il entame un carnage dans les rangs de ses
geôliers, cela sur l’air écœurant All its need is Love, Its easy
! « Un » n’existe pas, « un » c’est vous, il n’y a plus de
contrainte, de loi ou de tabou, il faut faire table rase, détruire le
système, détruire le village, tuer et éliminer toute survivance du
passé. Il fuit enfin ce « village », le prisonnier retourne à son
domicile londonien, il y retrouve son confort, la porte se referme sur
lui automatiquement comme au village. Il n’est pas plus libre, tout
autant sous contrôle, sa révolution lui a juste permis de changer de
cercle, de changer de geôle. Le prisonnier n’est qu’un idiot
égocentrique.
Cette parabole met en évidence l’interdépendance existant dans
notre société si moderne entre notre envie de révolte et la volonté
d’ordre. Mc Goohan cyniquement et pertinemment en dénigre son héros, en
le rendant corruptible et violent. Il nous montre l’impasse
dialectique de notre système oscillant entre révolution et autorité,
carnaval et contrôle d’identité.
L’ésotérisme et la complexité du dernier épisode déconcertèrent une
grande partie des spectateurs, un sentiment mêlé de déception,
d’interrogation, et un certain ressentiment à l’encontre de Mc Goohan,
qui part tout d’abord en Suisse pour se remettre de ses émotions, puis
à Hollywood. On le voit tenir des rôles divers et variés comme celui
d’un agent britannique dans Ice Station Zébra, il tient le rôle de
Fouquet dans une adaptation du Masque de fer. Mais c’est en 1974 qu’il
entame sa troisième contribution à une série culte : Columbo.
By Dawn’s early Light est sa première apparition. Il incarne un
général dirigeant une école militaire à l’image de West Point, il
participera à l’écriture du scripte et recevra un Emmy Award pour son
interprétation. Cela sera suivi du génial et théâtral Identity
crisis, où il est réalisateur et acteur. Il y incarne un agent double
qui élimine un maître chanteur joué par Lesley Nielsen, Columbo le
démasquera, mais la CIA interdira à ce dernier de l’arrêter. On
reconnaît là l’empreinte de Mc Goohan, déconcertant son public, certes,
mais révélant une facette ignorée du sujet. Columbo en échec : MAJONG !
À la fin de la saison 5, les producteurs, à court d’argent, pensent
arrêter définitivement la série. Ils confient la direction de «
l’ultime Columbo » à Mc Goohan. C’est un chef-d’œuvre, où encore une
fois il s’amuse à mettre en échec l’enquêteur à l’imperméable crasseux.
Comme s’il trouvait drôle que l’on fasse "fermer sa gueule" à Socrate.
Pour jouer le suspect il fait appel à un « agent très spécial » Robert
Vaughn. Encore la marque de fabrique Mc Goohan est là, déconcertant, un
jeu de miroir troublant, faux-semblant, bref, un chant du cygne plus
que réussi, pour ce prestidigitateur de la réalisation et de l’écriture
du scripte. Il participera en tant qu’assassin à deux autres Columbo : Agenda for Murder qu’il met en scène et réalise avec son ami
Peter Falk et Ashes to Ashes. Il conclut sa collaboration à la
série par la réalisation de l’avant-dernier épisode, Murder with to
many Notes.
On apercevra sa silhouette longiligne dans Braveheart et d’ailleurs il
me tira, par son interprétation, de la torpeur que m’avait procurée
l’incarnation du héros écossais William Wallace par Gibson.
Il prêta sa voix à un épisode des Simpson. Il fut pressenti pour le
rôle de Gandalf dans Le Seigneur des anneaux, mais les compagnies
d’assurances ne suivront pas. J’aurais aimé voir cet acteur catholique
servir un tout aussi catholique Tolkien. On parla aussi de lui pour
Harry Potter. Bref, Mc Goohan n’est pas oublié ou cantonné au seul rôle
du prisonnier. Depuis des années, on parle d’une adaptation de la série
culte à l’écran. Cela me refroidit un peu quand je vois ce qu’on a fait
de Mission impossible et des Avengers. Je suis pris d’un
certain désespoir quand des rumeurs parlent d’un Amicalement vôtre
avec Ben Styler. Ne touchez pas au Prisonnier ! Par contre, je
verrais bien Mc Goohan incarnant un Talleyrand, un diable boiteux, un
évêque relaps ?
Ainsi, revenons en conclusion sur le catholicisme de Mc Goohan en le
rapprochant d’un autre catholique anglo-saxon : Graham Green. Il y a
dans John Drake quelque chose de Rollo Martins, le héros du Troisième Homme. J’aurais bien vu un jeune Patrick Mc Goohan tenir le rôle
masculin dans The End of the Affair. Ou bien en Thomas Fowler du Quiet American, Mc Goohan aurait dépassé dans l’interprétation,
d’un vieux journaliste, expatrié et cocu, un Michael Caine étant sans
surprise, le remake de lui-même. Aussi constatons dans l’absurdité et
la facétie d’un Prisonnier, le goût du retournement d’un Green. Un
style concis mêlant culpabilité et colère, vérité et trompe-l’œil, une
éternelle circonvolution obsessive autour d’un sujet, où chaque angle
d’observation dénie le précédent. Ni à gauche et ni à droite, mais
athée rencontrant Dieu. Que de bizarreries chez ces deux artistes ! On
s’en trouvera à chaque ligne décontenancée, remis en question dans le
plus profond de son âme. Leur foi en absolu ne fait que constater le
paradoxe total de la condition humaine, l’interdépendance des opposés.
Harry Lime & Rollo Martins, un démon & un ange, le n° 2
& le n° 6, un homme & une femme, un jeune & un vieux,
Columbo & le suspect, une histoire.
McGoohan est Culte. Mais, faites attention à ne pas l’idolâtrer, ce
serait vexer cet Irlandais, catholique et quelque peu facétieux.
‘EZEKIEL CONNECTED DRY BONES.
I HEAR THE WORD OF THE LORD’
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