Un an après, quid de l’expo Godard à Beaubourg ?
(Retour sur l’expo Voyage(s) en utopie, JLG, 1946-2006, A la recherche d’un théorème perdu / 11 mai-14 août 2006)
"J’ai toujours aimé toutes les situations, vivre toutes les sortes de cinéma : aussi bien les films ratés, les films pas faits, les films faits contre les producteurs, les films faits tout seul, les films faits à deux, les films faits en 16, en 35, en vidéo." ( JLG )
"Le clou qui dépasse attire toujours le marteau." ( proverbe chinois )
"(... ) Je pense personnellement qu’il s’agit d’une exposition qui marque son temps. En ce sens qu’elle prend acte d’une sorte de catastrophe généralisée où elle inscrit à la fois la commande du Centre Pompidou, le monde d’aujourd’hui, et le propre travail de Godard. Visiter ainsi une sorte de « contre-exposition » en plein cœur de l’institution muséale est une expérience des plus provocatrices et stimulantes." (Antoine de Baecque, in Libé, mercredi 28 juin 2006)
GODARD A SQUATTE BEAUBOURG !
Alors oui, un an après, qui de l’expo Godard à Beaubourg ? Foutage de gueule ou bien exposition marquante d’un grand de l’art d’aujourd’hui ? Souvenons-nous tout d’abord de l’entrée en matière de cette expo, annoncée par sa plaquette (1re page) : "Pour beaucoup, le nom de Jean-Luc Godard est devenu aussi mythique que celui de Picasso. Tous deux ont imposé une révolution du regard au XXe siècle. Poursuivant une démarche originale depuis les années 1960, et tout en se nourrissant inlassablement des grandes oeuvres du passé, Godard a changé notre manière de voir et d’écouter un film. Son style, reconnaissable entre tous, remet en question de façon radicale la narration classique et joue, sur l’image et dans la bande-son, de citations de philosophes ou de poètes, de tableaux et d’extraits de films. Il est devenu une signature de la modernité."
En plein battage médiatique cannois 2006, je me souviens être allé faire un tour du côté de Godard à Beaubourg. Alors, disons-le tout net, il y avait plus de monde sur la Croisette que dans la galerie Sud bric-à-brac du Centre Pompidou, littéralement squattée par JLG. Pourtant, il s’en passait des choses dans cette chambre 237, euh ... pardon, dans cette galerie habitée, « hantée » par le maître de Rolle. En quelque sorte, cette expo aurait très bien pu s’appeler : « Dans la tête de Jean-Luc Godard ». De ce fait, certains ont été intrigués, d’autres écoeurés ou fascinés. Prenons-en pour preuve un échantillon de notes lues dans le livre d’or de l’expo : « Godard, tu me lis ? ... Car je n’ai rien compris !!! » ( Gascon ), « Les mines perplexes des visiteurs peuvent-elles faire partie du "concept" de l’ exposition » ou encore « Tout simplement un régal ! » ( Diane ). Godard à Beaubourg : tout un programme, quoi ! Bref, il n’y a pas de doute, on est bien chez Godard ou bien dans un JLG. D’ailleurs, à l’entrée de l’expo, toujours dans le cahier d’or, quelqu’un, visiblement conquis, a écrit : « Ah ! Godard... » ou encore « un poète à bout de souffle est encore un poète » (facile !) pendant que d’autres, plus remontés semble-il, s’en donnaient encore à cœur joie, plus que jamais : « Fumiste ! Aucun panneau pour remercier Leroy Merlin ni citer les grands cinéastes honteusement volés » ou encore « Exposition incompréhensible et prétentieuse. Quelle escroquerie ! Et quel gâchis, de temps, d’argent ». Un visiteur est même venu barrer certains commentaires en écrivant en lettres majuscules « ENCULE » ou « SALOPE ».
Bon, ces désaccords sont selon moi en osmose avec ce collage « grandeur nature » de JLG, signé : « Voyage(s) en utopie. JLG, 1946-2006, à la recherche d’un théorème perdu ». Cette expo Godard, en tant qu’amateur d’art et de cinéma, on en était au courant depuis longtemps, on avait appris également la mésentente née entre JLG et le commissaire d’exposition initial, Dominique Païni - aussi y entrait-on avec une certaine perplexité. A l’entrée de l’expo, un panneau nous annonçait que « certaines images peuvent heurter la sensibilité du public ». Mince ! Un Godard hardcore ? Franchement, concernant le maître de Rolle, on s’attend à tout. En fait, on l’aura deviné, toutes ces citations du livre d’or sont un montage de remarques divergentes qui reflète bien, à mon avis, le collage(s) de France - grandeur nature - de JLG à Beaubourg, un musée imaginaire foutraque à cheval entre Malraux, le Bazar de l’Hôtel de Ville et l’installation mi-arty mi-je-m’en-foutisme intégral. On a constamment ici le cul entre deux chaises et, au fond, comme dans un certain nombre de films signés Godard, on ne comprend pas tout dans ce chantier, quelque chose nous échappe en partie, un "je-ne-sais-quoi", quoi. Ouais, l’expo Godard Voyage(s) en utopie, au lieu d’être un film de JLG projetté sur un écran, est en fait une oeuvre qui se déploie dans l’espace. En ce sens, à Beaubourg, Godard faisait figure, encore une fois, d’artiste total (expression, je vous l’accorde, un tantinet démodée), véritable as du sampling nous menant merveilleusement en bateau, ou plutôt... en train.
Alors, prenons ensemble, si vous le voulez bien - amateurs ou détracteurs de JLG -, le petit train électrique de JLG qui transporte balles de tennis, oranges et bananes - décidément, il y avait vraiment à boire et à manger dans cette expo-laboratoire ! - et voyageons, en utopie (?), dans les arcanes de la pensée godardienne qui fonctionne par montages, par télescopages, par multiples associations possibles et par fulgurances. Il semblerait ici que tout fut laissé en plan, dans une sorte de foutoir touffu (câbles apparents, tableaux de maîtres ou repros accrochés à la va-comme-je-te-pousse, abondance de déchets, objets laissés au sol, stylos sur les tables, livres "crucifiés", téléviseurs éparpillés, éteints ou allumés, cartons manuscrits au feutre, etc.). Des tuyaux, des câbles pendouillaient un peu partout. On croisait pêle-mêle, dans une sorte de jungle médiatique, des plantes vertes, des tasseaux, des palettes, des échafaudages et beaucoup de télés écran plasma estampillés Samsung. Le soir où j’y suis allé, eh bien j’ai pu suivre sur une téloche LCD inclinée à plat l’entame du match FC Barcelone-Arsenal (d’ailleurs, il y avait plus de monde devant cet écran que devant Don Quichotte de Welles, hélas pour lui !) et, chose encore plus curieuse, à travers les baies vitrées de l’expo JLG - dont l’oeuvre est, selon moi, « l’ art en même temps que la théorie de l’art. La beauté en même temps que le secret de la beauté. Le cinéma en même temps que l’explication du cinéma » (Godard à propos d’Elena et les hommes - 1956, Renoir), eh bien on pouvait assister à un tournage avec de gros moyens, des régisseurs, des machinos, sur la place de la Fontaine Stravinsky, le tout dirigé par Régis Wargnier, il s’agissait de Pars vite et reviens tard, d’après Fred Vargas. Et alors là, on était à fond dans du Godard, à croire que celui-ci l’avait fait exprès - c’est bien connu, chez JLG, il n’y a pas vraiment de hasard ... -, on était dans une mise en abyme totale du cinéma combinant un tournage très calibré d’un certain « establishment » ayant pignon sur rue et une expo borderline signée Godard, faite avec trois francs six sous, sachant que JLG a, semble-t-il, gardé une partie du pognon de Beaubourg pour financer son prochain film, un vrai hold-up ! Ce soir-là, on était bien en plein paradoxe. Bienvenue chez JLG, donc, ou l’art du paradoxe.
Et malgré cette escroquerie « abracadabrantesque », le trublion Godard arrive quand même à retomber sur ses pattes et son expo vaut d’être vue car il s’y passait des choses, du mouvement, de la lumière en ce sens qu’elle était et est, dans le souvenir, ouverte sur le monde, contrairement aux apparences - à savoir les nombreuses citations, les nombreux livres (crucifiés par un clou planté dedans) et les images d’images qui pourraient donner l’impression que Godard, phagocyté par ce trop-plein, tournerait à vide. Ce qui est peut-être, malgré tout, et à certains égards, le cas. Je veux dire par-là qu’on avait l’impression d’un discours grognon, s’intéressant à des problématiques quelque peu émoussées dans le champ de l’art contemporain, comme cette idée d’opposer des régimes d’images pour en montrer, visiblement, des "hautes" et des "basses". Regard quelque peu passéiste, ouvertement mélancolique et plutôt manichéen consistant à distinguer deux catégories d’images, celles d’hier qu’on admire (Paradjanov, Clair, Cocteau, Bresson, Melville, Godard, Leenhardt, Lang, Donen, Ray, Welles...), voire qu’on "fétichise", et celles d’aujourd’hui, vouées à la consommation frénétique style zapping de soirée câblée, ces images que l’on consomme en cuisine comme un steak Charal (films américains spectaculaires du genre le blockbuster guerrier signé Ridley Scott La Chute du faucon noir, Barocco de Téchiné avec Adjani et Depardieu - il y a pire tout de même ! -, Eurosport, séries américaines, pornos gays et hétéros...), bref moult images audiovisuelles mercantiles et oubliables, des déchets, des scories vouées à la décharge. La charge est un peu lourde tout de même, ça passe mais c’est une critique facile, limite à la papa-maman !
LE¨POUVOIR DES IMAGES, LES PUISSANCES DU CINEMA ?
Godard à Beaubourg, certes, était en roue libre, il s’agissait bien d’une exposition freestyle (loin du minimalisme de l’expo Claude Closky juste à côté) mais, quand on sait que Godard est au cinéma ce qu’est un Picasso (cf, avec raison, la plaquette) pour la peinture ou un Miles Davis pour le jazz - à savoir un constructeur/destructeur de son médium -, alors il faut voir ce chantier bord-cadre comme un laboratoire d’idées sans cahiers des charges. Soyons francs, question arts plastiques, son côté « esthétique du (parent) pauvre » et « work in progress » n’a rien de novateur. Des Kurt Schwitters (cf. son fameux Merzbau, 1933) ou plus récemment des Paul McCarthy ou des Thomas Hirschhorn (avec des expos-installations sur un mode cheap, déceptif, voire idiot) sont déjà passés par là mais ce qui se joue ici, avec JLG, c’est bien une interrogation passionnante sur et autour de la puissance (ou non) du cinéma dans notre contemporanéité. Réflexions (désenchantées) sur "le pouvoir des images et les puissances du cinéma".
Il s’est bien passé quelque chose dans cette expo. Au-delà d’une critique un peu facile du statut des images, on l’avait l’impression d’un espace habité, hanté, d’une présence, comme si on allait croiser JLG derrière une cimaise en train d’ajouter au marker un erratum sur un mur ou de retirer un clou trop enfoncé dans une cimaise, comme si Godard citait non stop et avec facétie dans cette exposition ce fameux proverbe chinois : "Le clou qui dépasse attire toujours le marteau". On devinait aisément le geste de l’artiste, sa main écrivant, raturant ou collant des morceaux, des pages de magazine, recherchant un peu à l’instar de la culture chinoise visant l’immédiateté, le premier jet, la première pierre, la fulgurance, la vitesse d’exécution, comme si, encore une fois, Godard recherchait à se référer à la peinture (le trait net, clair et simple, le coup de pinceau précis, la tache de couleur, le geste) ou bien à la photographie - oui, on avait l’impression d’une place-habitat encore chaud(e), d’un "ça a été" installationiste à la Roland Barthes, je me réfère bien sûr ici, vous vous en doutez, à la puissance de l’image photographique. Comme on le sait, d’après Barthes, par nature toute image photographique est la trace d’une forme de vie et d’existence qui n’est plus, la trace de tout ce qui n’est plus. Cette puissance, selon Barthes, tient au "punctum", "à ce qui me point". Et dans son expo, on aurait dit que Godard, in situ, voulait rendre manifeste un "punctum spatial" de ses idées, en quelque sorte.
Pour résumer dans un premier temps : l’expo Godard, c’est Darty (ou Ikea !) rencontrant Orson Welles via Walter Benjamin et l’industrialisation de l’œuvre d’art. A l’ère de la reproductibilité technique puissance 1 000, des images Canada Dry, des mass media et de la mondialisation capitaliste galopante, peut-on encore croire au pouvoir des images, à la puissance du cinéma, de son aura ? Godard semble très perplexe, c’est le moins qu’on puisse dire et nous aussi, en quittant cette expo digne de Sherlock Holmes.
Alors, faisons-nous un peu plus Sherlock Holmes. Tentons l’enquête en suivant les traces de JLG déposées par-ci par-là dans son Voyage(s) en utopie. Godard a refusé d’emblée tout « fétichisme » autour de son oeuvre, ici vous n’avez pas vu, sous-verre, des photos archivées, classées, numérotées ou encore une paire de lunettes à grosses montures de JLG, non rien de tout ça, pas de gardiens de musée croisés, pas de référence non plus au fameux « cube blanc » minimaliste de la plupart des grandes expos institutionnelles mais, au contraire, une certaine saleté (un lit de prison cache même des gravats, des tasseaux, des planches, etc.), un vrai capharnaüm d’arrière-cuisine, un je-m’ en-foutisme apparent et dionysiaque. Le lettrage, sur les murs, est tracé à la va-vite, on voit les lignes de construction, on a un cimetière de téléviseurs éventrés qui rappelle les automobiles à la casse de Week-end (1967), le seul film de Godard de la période sixties ouvertement cité dans cette expo. On découvre des tuyaux, des fils, des câbles électriques qui pendent, librement, impression d’une prolifération, d’une contamination. On croise un peu partout des plantes vertes, des palettes, des grillages, des échafaudages laissés en plan et des télés, notamment des écrans posés horizontalement, comme si notre regard était invité à glisser sur eux ; des images couchées, putassières, crapoteuses, comme pour mieux s’en défaire. Le son, aussi, est à l’image du visuel.
On est bien dans une œuvre de Godard. Une vraie cacophonie, une vraie confusion des genres. On entend des enchevêtrements de voix, d’accents, de langues étrangères puis des sonneries, des cris ou encore des bruits sourds, d’outre-tombe venant d’enceintes encastrées dans les murs ou provenant de télés écran plat dernier cri où « se joue » du grand (bonus !) et du moins bon (malus !) cinéma. Tel un "petit médecin de campagne" (in Entretien avec Serge Daney), JLG, dans ce Vrai Faux Passeport (2006) jouant sur des rapprochements comparatifs d’images de cinéma et de télévision tirées de l’album du XXe siècle, semble dresser un diagnostic face aux images distribuées à satiété. Du porno vient rencontrer du Welles, du Ridley Scott (La Chute du faucon noir exposé sur un lit bourgeois style appartement-témoin de chez Ikea !) ou encore du Godard himself ou "détourné" - on reconnaît par exemple Eddie Constantine alias Lemmy Caution, mais pas directement Alphaville. C’est joyeusement bordélique. Il y a des mots partout, sur les écrans, sur les murs plus ou moins blancs, par terre ou encore sur un petit train électrique où il est écrit « CARGO » et qui traverse deux salles de l’expo, avec pour cargaison des balles de tennis et de faux fruits (orange, bananes). Un vrai marché ! Un vrai embouteillage !
Plusieurs solutions sont possibles. Les « godardiens » seront rapidement conquis car ils s’y retrouveront aisément, c’est une expo qui, semble-t-il, est hantée par Walter Benjamin, on l’a déjà noté, notamment son fameux texte : L’ OEuvre d’ art à l’ ère de sa reproductibilité technique. D’ailleurs, par moments, Godard rejoint les problématiques d’un artiste conceptuel comme Joseph Kosuth, notamment connu pour avoir exposé une chaise, une photo de cette chaise et l’agrandissement photographique de la définition du mot « chaise ». JLG expose souvent une œuvre et sa copie ou l’image d’une image. Par exemple, une marionnette inspirée de Modigliani pose près d’une reproduction figurant un visage de femme peint par ce même peintre ou bien encore un tableau original de Matisse, mal éclairé (volontairement, pour désacraliser) - La Blouse roumaine, 1940 - côtoie une copie-collage scolaire de cette même peinture. Il est fort possible, par contre, que les non « godardiens » auront plus de mal à s’y retrouver et il se pourrait qu’ils soient même tentés de visiter cette expo Godard - et pourquoi pas ? Voilà bien une expo « free style » ! - comme autrefois les héros de Bande à part traversant le Louvre, à toute berzingue, en neuf minutes quarante-cinq secondes. A vos marques donc !
Pour autant, il y avait bien quelque chose qui se jouait dans cette galerie Sud de Beaubourg. Il est selon moi difficile de résister à la musicalité de JLG. C’est une expo hybride qui fonctionne par boucles répétitives, par litanies, par entrelacs de mots, d’images et de sons qui viennent nous rappeler que JLG a bien une écriture, une langue qui lui est toute personnelle, tour à tour malicieuse ou plus grave, voire fulgurante. Le côté One + One de l’expo fonctionne bien. On est bien dans une sorte d’équation mais sans canevas apparent et c’est cela, je crois, ces chemins de traverse complètement assumés qui font la force du « collage grandeur nature » de Godard/Beaubourg. Un projet bâtard, un essai impur. Cela relève tout à la fois d’un bricolage foutraque digne du BHV de l’hôtel de ville tout autant que de l’art poétique qui se méfie des conclusions et du mot « fin ». Bref, c’était un chantier ouvert, un squatt pour tous et pour personne - par moment, l’occupant Godard s’efface complètement pour laisser place à ses hôtes (les références sans révérence + nous, les visiteurs, et, à l’extérieur, les sans-abris dont on voyait, à travers "l’aquarium" qu’est Beaubourg, les tentes installées au centre de Paris). On se déplace dans ce collage/montage comme notre œil peut se déplacer dans un all over gigantesque de Jackson Pollock. C’est-à-dire que l’on peut s’y retrouver mais aussi bien « s’ y perdre » à volonté et je crois que c’est justement cette réversibilité des sensations, des idées, des impressions - à l’ œuvre dans (la pensée à) l’œuvre de JLG à Beaubourg - qui fait que ce cinéaste plasticien est bel et bien, comme les plus grands artistes de son temps (un Picasso ou un Miles Davis) un passeur.
Par exemple, moi, je suis « entré » dans cette expo par le biais de l’enfance, l’enfance de l’art mais pas seulement, de la rémanence, aussi, via les maquettes, les cahiers, les boîtes à images illuminées et le petit train électrique godardien. Ce sont les allées et venues facétieuses de ce jouet trublion qui m’ont fait m’interroger sur l’entrée en gare de la Ciotat, sur le cinéma, sur les histoires hollywoodiennes (les gares de westerns) et sur la grande Histoire. Tchou ! Tchou ! Puis, j’ai croisé cette phrase collée deux fois sur des chaises longues, l’une bleue, l’autre rouge : « L’enfant crée - par sa présence au monde - un père et une mère au sein de la filiation. Par conséquent, il devient révélateur de l’existence humaine, figurant ainsi comme chapitre de l’histoire » et je me suis mis alors, en tant que simple figurant ou figure, à rêver, à divaguer et peut-être à « dérailler », qui sait. Et, toujours en référence à l’enfance, ouais, tel un enfant gâté mais définitivement rebelle, JLG semblait vouloir casser tous ses jouets dans cette expo s’apparentant tour à tour (...de magicien) à un terrain (nouvelle) vague ou à un cimetière de voitures vraiment cassant. C’est bien Week-end, comme le signalait Alain Bergala (in Godard au travail, aux éditions des Cahiers), l’un des plus fins connaisseurs et analystes de l’oeuvre godardienne, qui semble être le fil conducteur de cette exposition hautement réflexive. Toujours concernant Les Cahiers et cette expo, on peut aussi se référer au texte très intéressant de Jean-Michel Frodon, Expositions : Godard et Varda dans l’espace, in Les Cahiers n° 615, septembre 2006, pages 68 à 71. Bref, oui, c’est bien Week-end de God-art (!) qui était particulièrement évoqué dans cette expo "après la catastrophe". Ce film est une mise en abyme du cinéma de Godard, on y croise la mise en scène de la fin de la société de consommation (cf. le fameux travelling le plus long du cinéma où l’on voit une société vide et avide pressée de prendre robotiquement, telle un petit soldat, la route des vacances, difficile ici de ne pas penser à cette sortie mémorable en Mai 68 de JLG : "Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travellings et gros plans - vous êtes des cons"), la fin de l’histoire ("un film trouvé à la ferraille") et une forme sioux des hippies (Juliet Berto, style Hair, armée). Avec ce film "zanzibar", Godard quittait le cinéma "commercial" et ne fera plus jamais du cinéma de la même façon, en quelque sorte.
Pour JLG, via ce film prémonitoire et cette expo-fourre-tout - comme si le monde, via internet, allait bientôt s’apparenter à un four à micro-ondes gigantesque, voiture-balai XXL de la consommation tous azimuts des images d’images ! -, la catastrophe a eu lieu, il n’y a plus que des images dérivées d’images, les monstres de la consommite aiguë ont définitivement triomphé, via le capitalisme américain et autres, et les hommes, à part quelques voyants et encore..., sont condamnés à l’ennui et à vivre ou à survivre dans un monde définitivement désenchanté où même l’art, un certain absolu de la spiritualité, a perdu sa fonction et les oeuvres, encore admirées, de leur aura. Elles brillaient encore quelque peu dans la pénombre (De Staël, Matisse, Hartung...) de l’expo,... mais pour combien de temps ? In fine, cette expo, c’était un voyage romantique et mélancolique donc, et parfois mélancomique - ouf, le clown génial n’est pas encore mort chez JLG, l’humour est encore certainement pour lui, via "le cinéma dans le quotidien et le quotidien dans le cinéma" (Daney), une des meilleures façons de supporter la cruauté de la vie et autres. Et, via ce texte sur cette expo hors limites, profitons-en, au passage, pour passer un p’tit bonjour à son chef de gare borderline, un certain... JLG !
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