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Un cœur simple, mais émouvant

Marion Laine signe une adaptation du conte de Flaubert « Un cœur simple » inégale, mais aussi fidèle et touchante.

A la lecture de certaines critiques, on pourrait croire que l’adaptation d’Un cœur simple de Flaubert par Marion Laine est un petit film mièvre, et même cul-béni à bien des égards. Pourtant, il n’en est rien. Certes, Un cœur simple n’est pas un chef-d’œuvre. Mais cette adaptation est tout sauf une trahison. Marion Laine connaît bien Flaubert et sait que la voix de ce grand auteur ne se réduit pas à un éclat de rire sardonique, au contraire d’un Claude Chabrol réalisant Madame Bovary de Flaubert. Ce fameux roman certes réaliste et ironique, mais aussi poétique et contemplatif à bien des égards, s’était transformé entre les mains du réalisateur en une histoire froide, maussade, satirique et cruelle - un film de Chabrol, donc.

Comme Emma Bovary, le personnage de Félicité dans Un cœur simple soulève bien des problèmes d’interprétation. Ce personnage est une bonne, au sens professionnel, mais aussi au sens le plus fort du terme : elle incarne la bonté à l’état pur, la miséricorde la générosité, le sacrifice. Mais Félicité n’a reçu aucune instruction, Félicité ne sait rien, Félicité ne connaît rien, Félicité ne comprend rien. D’ailleurs, la surdité qui la touche semble souligner ce problème d’ « entendement ». Elle incarne ce « demi-siècle de servitude » que les maîtres exploitent sans vergogne. Il y a bien sûr un message social très simple chez Flaubert : Félicité vaut bien mieux que sa maîtresse, non par son intelligence, mais par son cœur. Mais il reste un doute pour de nombreux lecteurs : Flaubert garde-t-il le mordant de Madame Bovary dans Un cœur simple, vingt ans plus tard ? L’auteur se moque-t-il de Félicité lorsqu’il rappelle la profonde crédulité et sa terrible naïveté ? L’ironie est bien difficile à repérer dans Un cœur simple.

Marion Laine a décidé de ne pas appuyer sur la discrète et subtile ironie du narrateur, qui, de toute façon, a bien plus souvent pour cible la maîtresse que la bonne. Elle éveille plutôt la compassion à l’égard de son personnage, joué par la magistrale Sandrine Bonnaire. Mais la manière dont elle filme le visage de Félicité permet de rappeler toute la profondeur et l’énigme du personnage. Félicité est, en effet, avant tout, un visage, celui de l’amour, rayonnant face au bonheur de Clémence, la fille de sa maîtresse, ou encore de son neveu Victor, mais aussi celui de l’idiotie, du retard mental, du regard ébahi et un peu vide, du sourire figé par le néant. Sandrine Bonnaire a peut-être trouvé ici le rôle de sa vie, un rôle faisant bien sûr hommage à sa sœur handicapée Sabine, où l’ignorance est belle, car elle est aussi pure et simple. Félicité s’est attardée dans l’enfance, d’ailleurs elle reste une vierge éternellement, et ce retard est à la fois charmant et repoussant. Le personnage est fait d’ambivalences, émeut dans ses jeux innocents et naïfs et dégoûte lors de ses rêveries mystiques, notamment lorsque, sur le chemin de la décrépitude, elle se travestit en pucelle virginale et fleurie « gueulant » sa beauté.

De même, la relation entre Mme Aubain (Marina Foïs) et sa bonne éclaire le conte de Flaubert en proposant une réflexion sur la gémellité entre ces deux femmes ternies par le malheur. Même taille, même visage un peu dur, les deux actrices, finalement, se ressemblent assez. La hiérarchie entre les deux femmes se réduit progressivement à force d’essuyer des coups, malgré la froideur et le terrible égocentrisme de Madame, pétrie de conventions. Ne nous méprenons pas, Un cœur simple souligne la bêtise et la cruauté de la bourgeoisie de l’époque, et non pas celle de Félicité, Marion Laine l’a bien compris, pas comme certains critiques des Cahiers du cinéma !

Il est néanmoins regrettable que certaines scènes soient particulièrement ratées, surtout lorsque la réalisatrice use de ralentis saccadés particulièrement gênants (l’envol du perroquet Loulou est vraiment digne d’un mauvais clip des eighties !). Forcément, user d’effets spéciaux « à la française » dans un film plutôt naturaliste et champêtre qui n’est pas sans rappeler le très beau Lady Chatterley de Pascale Ferrant par moments, c’est embêtant !

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Un cœur simple, mais émouvant Un cœur simple, mais émouvant

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1 réactions à cet article    


  • Argo Argo 8 avril 2008 16:13

    Merci pour votre article,

    J’hésitais à aller voir ce film, en dépit des ses acteurs que j’aime bien, tant j’avais lu que sa réalisatrice s’était "très librement inspirée" du roman de Flaubert, voire qu’elle avait "pris beaucoup de libertés par rapport à l’auteur". Certains allant même jusqu’à affirmer sans sourciller "Et c’est tant mieux". 

    Vous nous montrez le contraire, j’irais donc le voir. Un scénario écrit par Flaubert, Stendhal ou Maupassant, j’en veux bien un tous les jours.

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