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Un esprit de résistance à Périgueux

Préhistoire, croquants, truffes, troubadours... et une ville : Périgueux. Tout près de la tour gallo-romaine de Vésone, une maison d’édition entretient son aura, les Éditions Pierre Fanlac. C’est par le plus grand des hasards que nous avons rencontré, en flânant dans une librairie au crépuscule précoce d’un soir d’hiver, Bernard Tardien, gendre du fondateur de la maison, qui vivifie avec son épouse Marie-Françoise l’œuvre de leur beau-père et père mort en 1991, au terme d’un demi-siècle de travail. Je m’étonnais auprès du libraire de constater que la maison d’édition dont je parlais à mes élèves des quartiers Nord de Marseille dans les années 1980, quand ils se rêvaient en Jacquou, existait toujours. L’éditeur était l’autre client encore présent. Nous avons pris rendez-vous pour faire ce que chacun peut faire, visiter l’atelier, voir, sentir, toucher les livres.

Pierre Fanlac était un imprimeur passionné de typographie, un éditeur distributeur ambulant, un auteur passionné (vingt-quatre ouvrages publiés, certains chez Seghers), qui a surmonté toutes les difficultés financières par la mobilisation d’une énergie étonnante. Issu d’une famille de tisserand, berger, cheminot, à dix-sept ans il publie un recueil de poèmes de ses camarades de lycée, Mosaïques  ; quelques années plus tard, en 1937, l’un d’eux, Roger Vrigny, recevra le prix Fémina. En 1944, à Paris, il lance avec Jean-Paul Lacroix et Gabriel Macé (futur rédacteur en chef du Canard enchaîné) un journal satirique, L’Essor : clandestin jusqu’à la Libération, le tirage atteindra près de 120 000 exemplaires en 1947. C’est cette même année qu’André Gide lui confie l’édition de L’Immoraliste, que Pierre Fanlac compose à la main en choisissant la limpidité des caractères Garamond corps 14. Au fil des années, de retour à Périgueux où il maçonne de ses mains son atelier, il réalise l’une des premières éditions du Vieillard et l’enfant de François Augieras en 1949, imprime et édite des œuvres de Giono, René-Guy Cadou, Jacques Réda (rédacteur en chef de la NRF et auteur), Etiemble, Elie Faure, Maurois et tant d’autres. En 1989 encore il travaille au plomb pour son ami proche Pierre Seghers, choisissant des caractères Nicolas Cochin corps 18 pour leur harmonie avec l’œuvre Poèmes pour après, avec des gravures d’Antoni Clavé. Quatre pages à la fois, les moyens manquent pour remplir suffisamment les cassetins où sont rangés les caractères. Le choix du papier est soumis à des exigences aussi élevées : selon l’œuvre, un peu selon les moyens du moment aussi, ce seront les textures, les couleurs et les parfums d’un pur chiffon, d’un papier de châtaignier, de Hollande, Alfax Navarre, pur fil Lafuma, parchemin d’Annam, vélin d’Angoumois, vélin d’Arches... Pas étonnant que ces livres soient cotés.

Aujourd’hui bien sûr la numérisation est acceptée. Mais on garde la tradition du grand papier accompagné d’une gravure pour tirage de tête. L’atelier, adapté aux nécessités de la commercialisation d’aujourd’hui, reste animé par les piles de volumes stratifiées au cours des années. Ils sont tous là, les ouvrages, les bois gravés, un peu pêle-mêle. Plus de deux cents sont encore au catalogue, sur un inventaire de plus de six cents publications. Bernard et Marie-Françoise Tardien nous expliquent qu’il y a deux situations : parfois les livres sont un succès d’édition, comme l’érudit et audacieux guide Dordogne-Périgord, primé, plébiscité et réimprimé l’année-même de sa sortie (1993), ou le bel ouvrage Truffe et trufficulture, de Jean-Marc Olivier (INRA), Jean-Charles Savignac (président de la Fédération des trufficulteurs) et Pierre Sourzat (spécialiste de la truffe et photographe) qui rassemble des connaissances croisées de botanique, géographie, technique, écologie, gastronomie... ou encore le livre pour enfants sur la préhistoire, plus vendu en anglais qu’en français. Parfois le succès est apprécié en termes de renommée : Les juifs en Dordogne (1939-1944), ou l’iconoclaste Malraux et la Résistance, ou des essais : L’homme et la danse d’Elie Faure, 1975, Comment lire un roman japonais d’Etiemble, 1980, De l’Imperfection d’Algirdas-Julien Greimas, 1987, traduit en italien, espagnol, polonais.

Parmi les nouvelles publications, poèmes, romans, figure un ouvrage fidèle aux exigences de qualité, de lucidité et à l’esprit de résistance qui caractérisent la maison : son auteur est un préhistorien professeur à la New York University, sur les chantiers de fouille depuis plus de trente ans, et présente, dans L’Affaire de l’abri du poisson, patrie et préhistoire, une analyse très critique de ce qui s’est passé dans le vallon de l’Enfer aux Eyzies, quand en 1912, sous la voûte d’un abri sous roche, un bas-relief représentant un saumon a été attaqué à coups de ciseau, vandalisme motivé par un projet de revente à un musée... allemand, dans un contexte de fort sentiment anti-allemand, mais on apprend que les coupables ne sont pas ceux auxquels on avait pensé jusqu’à maintenant, et que l’exportation lucrative de pièces du patrimoine cache bien des manipulations et bien des complaisances.

Au fond de cette maison aux mille et un tableaux, à la place du jardin potager, l’atelier nourrit toujours la tradition de Pierre Fanlac et l’appétit des amateurs de beaux livres.


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2 réactions à cet article    


  • Briseur d’idoles (---.---.168.138) 6 mars 2007 12:58

    Un site Résistant


    • pingouin perplexe (---.---.9.18) 6 mars 2007 14:13

      Bon article, s’il en est. Oui, cette région, dans laquelle j’ai vécu pendant quelques temps, et que j’ai beaucoup appréciée, s’est effectivement illustrée en matière de résistance et de vies sauvées. Il est clair que le Périgord peut en être fier, et qu’au cours des discussions, on réalise bien vite que la mémoire de cette époque là ne s’est pas perdue. Un écrivain aurait aussi déclaré, à propos du Périgord « on croirait que l’Homme y est né ». Ceux qui y sont allés connaissent bien, et cela ne saurait surprendre au vu du charme si exceptionnel des périgourdines smiley J’ai par ailleurs le souvenir que des questions relatives à la numérisation s’y posaient déjà, notamment par rapport aux archives. Il est fort probable que les ressources de Xsane et du logiciel libre y aient été appréciées smiley

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