Un film « Hors-la-loi » ?
« Mon film n’est pas politique, c’est une épopée avec une forme romanesque qui emprunte au film de gangster et au western. S’il pousse les familles à discuter de l’Algérie, de la colonisation… Alors tant mieux ! » (Rachid Bouchareb, in Metro n°1858). Pas convaincu par les propos du cinéaste franco-algérien cherchant à balayer les polémiques que soulève son film en mettant en avant qu’il s’agit, non pas d’un film politique, mais d’un film romanesque. D’une part, parce que son film repose sur une trame historique, basée donc sur des faits réels, et d’autre part, parce que la politique, ou le politique, s’immisce partout, y compris dans un roman, dans un policier ou dans un mélodrame. Hors-la-loi est un film politique, c’est d’ailleurs pour ça qu’il dérange, et c’est aussi pour ça, entre autres (indépendamment de ses qualités cinématographiques, j’y reviendrai), qu’il est intéressant à regarder : parce qu’il interroge le passé colonial de
Hors-la-loi est la suite d’Indigènes, Bouchareb ayant la volonté, via une trilogie s’apparentant à une fresque, de traiter l’Histoire qui lie
Mêlant classiquement les petites histoires et la grande Histoire, dans la lignée de films américains ou américanophiles récents (Munich de Spielberg, Mesrine de Richet, Carlos d’Assayas), Hors-la-loi ne manque pas de souffle. Tout d’abord, précisons qu’il bénéficie d’une interprétation solide. Les trois acteurs principaux sont à fond dans leurs personnages, et le reste de l’équipe (Bernard Blancan, Thibault de Montalembert, Jean-Pierre Lorit), question qualité de jeu, n’est pas en reste non plus. L’émotion passe. Malgré les divergences idéologiques et les soubresauts de l’Histoire, cette histoire de fratrie soudée émeut et c’est peu dire que le rapport intense de ces fils à leur mère est, par moments, des plus poignants. Certes, on pourra toujours reprocher à certains d’en faire trop. Par exemple, Jamel Debbouze, excellent en ersatz de Charlot dans les bidonvilles de Nanterre où les ouvriers algériens cohabitent avec les rats, se la joue un peu trop Joe Pesci à la longue, surtout lorsqu’il devient un caïd ayant fait fortune dans les bouges et les clubs de boxe de Pigalle. De même, concernant certains personnages, il y a certains détails qui frôlent l’artifice, la volonté esthétisante du réalisateur pouvant alors nuire à la lisibilité de son propos - faire un film fort et sérieux sur des événements politiques. Un exemple, autant on comprend l’œil crevé de Messaoud (il revient borgne de la guerre d’Indochine), autant, lorsqu’il entre dans un salon parisien feutré pour servir de protecteur à son frère Abdelkader venu rencontrer le colonel Faivre de
Il y a certaines scènes remarquables dans Hors-la-loi. L’attaque du commissariat est prenante ; la fusillade nocturne finale opposant les membres du FLN aux forces de police a une beauté crépusculaire qui rappelle combien ce combat pour la liberté est pavé de zones d’ombre, de morts et de sacrifiés disparaissant dans la nuit noire ; et toutes les scènes intimistes (notamment la visite de la mère en prison pour voir Abdelkader ou encore les pleurs de Messaoud, travaillé par sa conscience, devant sa mère alitée) prennent aux tripes ; signalons que c’est souvent là, dans ces drames personnels locaux pouvant prétendre à l’universel, que Bouchareb est à son meilleur – revoir certains films de ce réalisateur s’attachant à traiter de sujets délicats (la lâcheté, la désillusion, le déracinement, le sacrifice) pour s’en convaincre : Cheb, Little Senegal, London river. Maintenant, historiquement, le film présente l’originalité de ne pas traiter directement de la guerre d’Algérie du côté du front, à l’inverse de films comme
Ce que Hors-la-loi montre très bien, c’est que la lutte des Algériens pour l’indépendance est lancée telle une machine de guerre que rien n’arrêtera, et l’on se rend vite compte que la répression, qui tente de canaliser une force « naturelle » qui pousse tel un bulldozer, finira toujours par profiter aux opprimés et nuire à l’image des oppresseurs. D’ailleurs, le colonel Faivre, ayant combattu du côté des résistants et du gaullisme contre la botte nazie, n’est pas dupe, on l’entend à plusieurs reprises déclarer : « Des Algériens ? On va en tuer mais, à la fin, ils gagneront. » Les deux camps ne se font aucun cadeau. Bouchareb, de par cet état des lieux montré, parvient à ne pas caricaturer son propos au point qu’on réduise les forces en présence à un combat « des gentils Algériens contre les méchants Français ». C’est pour ça que les détracteurs du film, d’où qu’ils viennent d’ailleurs (évitons de stigmatiser tel ou tel camp politique), devraient aller le voir avant de lui faire un procès d’intention. Quelques exemples d’une vision nuancée : le colonel Faivre, de
Maintenant, soyons clairs, malgré ces nuances, Bouchareb épouse dans ses grandes lignes la cause algérienne (le film commence par la monstration d’un drapeau français pour finir sur un drapeau algérien) mais, après tout, ce qu’on demande à un artiste c’est d’avoir un regard, un point de vue, d’autant plus qu’il ne s’agit pas ici d’un documentaire mais d’une œuvre de fiction inspirée de faits réels. L’artiste n’est pas historien, l’art n’a pas à courber l’échine face à l’Histoire, il n’est pas tenu à la neutralité, il a le droit de s’engager, de prendre parti. Maintenant, ceux qui s’opposent à Hors-la-loi, parce qu’il repose en effet sur un passé douloureux qui fait encore débat (
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