En entrant ce matin par le portail du lycée, aprés une semaine de vacances, je fus surpris par le paysage qui s’offrait à moi : Les murs extérieurs ont été fraîchement blanchis, ma salle de classe n’est plus reconnaissable de propreté. Non seulement les murs ont été repeints, mais de plus toutes les tables sont neuves et un bureau clean avec une chaise rembourrée, qui remplaçait l’ancienne bringuebalante et peu sûre, avec son pied-bot qui tirait toujours d’un côté.
Cela nous changera complètement des murs tachés de tags et de graffitis de toutes sortes et mêmes des plus obscènes, par lesquels certains élèves annonçaient leur nouveau flirt, ou se vengeaient d’une fille moins facile en écrivant son nom accompagné de vocables humiliants. En commençant mon cours de la journée je constatai également que tous les élèves sans exception étaient présents et écoutaient attentivement ma leçon sur la dérivation lexicale à base nominale. Je jetai un oeil par la fenêtre repeinte aussi et recarrelée à neuf, dehors on n’entendait aucun bruit sauf le gazouillis des oiseaux dans les eucalyptus de la cour soigneusement élagués. Pas un élève dehors ni derrière les tamaris, ceux qui n’avaient pas de cours étaient rassemblés, me dit un élève, dans une salle de permanence où quatre professeurs de différentes matières les aidaient à résoudre leurs exercices et leurs devoirs. Le proviseur n’était point visible, mais on sentait sa présence partout car tout le monde veillait à accomplir son travail avec un entrain exemplaire sans nul besoin d’y être poussé, ne sommes-nous pas la meilleure des nations révélée aux hommes ?
A neuf-heures moins cinq la sonnerie retentit et mes élèves sortirent respectueusement en se pressant toutefois pour rejoindre sans perdre une minute le professeur suivant dans l’autre bloc. Je sortis pendant ces cinq minutes et remarquai que toute la cour avait été transformée de fond en comble, ci et là des chaises ont été installées sous les arbres pour les élèves qui n’étaient plus autorisés à sortir dans la rue pendant les récréations, un tableau d’affichage annonçait les différentes activités prévues pour le mois de Mai. Parmi ces activités des représentations d’"Antigone" de Jean Anouilh, des conférences données par des enseignants universitaires dans différentes disciplines dans le cadre de la formation continue, tête de proue de la très réussie charte décanale de l’enseignement , qui, en dix-ans à peine a réduit de moitié le nombre de nos analphabètes. D’autres intervenants proposaient des sujets juridiques pour accompagner les enseignants et les fournir en conseils de toutes sortes et les assister dans les disciplines réfèrant à ce domaine. Il y avait même des annonces de conférences qui me laissèrent sans voix, comme si j’étais dans un rêve fantastique, telle cette intervention de Philippe Meirieu himself sur " la pédagogie différenciée et ses applications dans les milieux défavorisés",ou encore une projection d’extraits de la filmographie de J.Y.Cousteau et tant d’autres.
J’étais aux anges ! Tout ce que disait "Le matin du Sahara" est donc vrai, nous sommes en plein progrès, notre enseignement se porte à merveille ! L’arabisation galopante a eu finalement beaucoup d’avantages pour nos élèves, les séances de traduction les avaient bien motivés, ils sont devenus plus instruits dans toutes les langues enseignées. Les élèves peuvent affronter, grâce à la judicieuse politique de nos responsables éclairés, toutes les branches que leur permettra leur orientation et ce en pleine confiance, munis d’un solide bagage scientifique et linguistique à toute épreuve (c’est le cas de le dire !). Je me promis de revenir noter les dates plus tard car les cinq minutes d’inter-cours se sont écoulées. En revenant je jetai un regard furtif du coté des terrains de sport ,"mon Dieu !! un vrai terrain bien équipé avec de vrais vestiaires !" j’avais hâte de terminer la leçon pour aller voir de plus près cette merveille. "Où étai-je donc pour ne pas avoir entendu parler, il est vrai que je sortais rarement, convaincu que j’étais que rien n’allait jamais changer . Quelle erreur ! me dis-je ,fort honteusement".
A la deuxième séance je reçus une autre classe aussi disciplinée et motivée que la première. La séance de lecture se passa bien les élèves lisaient sans balbutiement ni saccades le texte de Khair Eddine sans rire des termes berbères utilisés dans ce récit, tels que "amzil" ou " timzguida n’tgadirt et sans prononcer "souve" pour dire "souvent" ni "marchant" pour lire "marchent" etc... Lorsque je leur posai les questions de compréhension presque tous les doigts se levèrent avec insistance pour répondre aux dites questions et lorsque je demandai d’écrire les mots incompris et de les expliquer à l’aide des dictionnaires fournis par la bibliothèque même du lycée ce fut une véritable ruche car tous les élèves participaient spontanément à la séance.
A dix heures Je sortis pour rejoindre la buvette et là encore je restai éberlué devant le changement opéré. Une nouvelle salle accueillante avec de vraies éponges, pas les anciennes amincies par l’usage des derrières osseux des anémiques de jadis, un percolateur de café et des confiseries de toutes sortes pour les collations en plus du thé conventionnel, un service impeccable . Curieusement il régnait dans la nouvelle salle une ambiance bon enfant de personnes bien cultivées où des groupes formés par affinités discutaient de leurs problèmes de classe et des différentes manières d’aborder certains sujets, ils profitaient de cette pause-café pour échanger des points de vue didactiques ou d’ordre professionnel sans qu’aucun syndicaliste ne se mette à faire sa propagande. Manifestement il n’y avait plus de problèmes à discuter ni de dossier de revendications à défendre car, comme me l’apprit l’un de mes collègues étonné de mon étonnement, on avait résolu tous les problèmes en suspens, tous les licenciés ont été réintégrés dans leur fonction d’origine avec dédommagement des années de chômage et des frais judiciaires. Et ce n’était pas encore la meilleure des nouvelles comme j’allais l’apprendre illico. "Hier, me raconta un autre collègue, le ministre des finances a pris la parole de façon impromptue mais décontractée des hommes sûrs de leur succès et malgré tout restés modestes. Il a annoncé une hausse des salaires de 50% avec effet rétrospectif à partir de Janvier 2009 et les syndicats qui n’ont plus de raison d’exister se sont auto-dissous unanimement dans un communiqué commun diffusé deux heures après le discours du ministre "Je ne regarde jamais la télé répondis-je, et encore moins les chaînes nationales !" c’est alors que je regrettai d’avoir toujours été sceptique vis-à-vis de notre lucarne nationale dont nous avons désormais des raisons d’être fiers .
Les bonnes volontés du cher parti indépendantiste qui a été reconduit dans ses fonctions à la primature après les dernières élections de juin, en application des principes démocratiques, a continué ses chantiers de reconstruction d’un Maroc nouveau, comme l’a annoncé notre "pravda" nationale l’agence maghrébine et arabe de presse. Décidément ces Arabes sont très ingénieux, ils réussissent tout ce qu’ils entreprennent. Toutes les volontés se sont unies, pour remettre la motrice de notre enseignement sur la bonne voie et on peut dire qu’ils ont frappé un bon coup cette fois-ci ! La preuve était devant (ou derrière) mes paupières décilées par l’allergie à la craie blanche, mais j’allais maintenant pouvoir enfin faire valoir mes droits au remboursement intégral des soins contre l’allergie à l’auréomycine que je me plaquais par défaut dans l’oeil pour soigner l’intolérance à la craie blanche ; avec laquelle je traçais des signes de moins en moins visibles pour moi sur le tableau noir de mes cauchemars diurnes !!
J’en étais là de mes joyeuses observations lorsque soudain j’entendis une voix féminine qui m’appelait...je me retournai du coté d’où venait la voix et j’entrevis entre mes paupières mi-closes le visage de ma femme qui m’appelait... "aziz...lève-toi Il est 7.00h" C’était l’heure de me lever pour aller au lycée ... ! Ah que ferait-on si nos rêves étaient cryptés et qu’on ne pouvait les décrypter qu’avec des cartes magnétiques prépayées vendues exclusivent dans le bureau central du parti jacobin qui nous colle aux fes !!
aziz. 25/4/09