Une brève Histoire de France : Avant maintenant
Depuis sa naissance en 843 et jusqu’en 1789, la Francie, puis la France se constitue lentement en une nation par une politique royale d’assimilation et d’annexions. La loi royale, sa langue s’imposent peu à peu aux provinces qui relevaient de sa Couronne mais qui avaient chacune leurs lois, leurs langues et parfois même leurs monnaies. En cela, le parcours de la France est assez atypique parmi les autres nations européennes. Seul Le Royaume-Uni suit une trajectoire assez identique alors que l’Italie et ce qui est aujourd’hui l’Allemagne vont passer tout un millénaire morcelées en des centaines d’Etats avant de s’unifier en l’espace de quelques décennies.
Unie sous le sceptre capétien, la France est alors un pur produit de l’ère médiévale. L’ordre social s’appuie sur deux piliers : l’obéissance au Roi et la soumission à Dieu par le biais de l’Eglise qui imprime sa marque de façon profonde sur la société et les moeurs.
Les nobles protègent et gèrent, les religieux prient et le reste fait vivre le sommet de la pyramide sans pour autant en tirer le droit de diriger et de décider.
La Fronde vient rompre l’équilibre en discutant la prééminence du Roi et son droit Divin à décider. La noblesse fautive est vite mise au pas mais le mauvais exemple venu d’en haut donne à penser et à réfléchir : si ceux qui sont censés montrer l’exemple se rebellent, pourquoi continuer à se soumettre sans rien dire ?
Les progrès et la diffusion de l’imprimerie mettent les livres à la portée des bourses de plus en plus modestes, les libelles et les livrets imprimés et agrafés vendus quelques sous se diffusant dans le pays par les colporteurs et les petits voyageurs de commerce. Le lent progrès de l’alphabétisation permet aux idées les plus iconoclastes de se diffuser et les progrès scientifiques mettent la Bible en porte-à-faux, ce qui atteint le pouvoir religieux. Si le livre Saint comporte des erreurs, comment croire en toute sa véracité ? Certains ordres religieux sont conscients de la menace et entament une lutte malgré tout perdue d’avance car s’ils arrivent à ralentir la diffusion du savoir, la boite de Pandore est ouverte depuis longtemps et rien ne pourra plus la refermer désormais.
Le royaume de France a connu, malgré les soubresauts des guerres, une presque parfaite continuité sociale, mise à mal par la Réforme puis par la Fronde.
Cette continuité s’est bâtie sur le monopole du pouvoir par la noblesse et le clergé, en tout cas sa partie la plus aisée et proche du pouvoir politique. Les curés de campagne et les évêques provinciaux sont eux plus attentifs aux revendications du Peuple qui croissent à mesure que le temps passe.
1789 est l’année ou tout bascule car elle est le point de convergence de diverses crises.
Il y a une crise financière endémique qui force le royaume à consacrer un tiers de ses revenus au paiement de sa dette. Cette crise a été aggravée par l’aide financière et militaire portée aux 13 Colonies anglaises en lutte pour leur indépendance. Louis XVI n’est pas homme à vouloir aider des rebelles qui en outrent rejettent l’ordre social établi en parlant Liberté et Démocratie. Mais cela nuit aux Anglais et quand on peut nuire aux Anglais qui ont annexé l’ensemble du premier empire colonial français à l’issue de la défaite lors de la guerre de 7 ans, il ne faut pas se priver.
1789 est une année où le blé atteint des records de cherté, suite à une succession de mauvaises récoltes. Le Petit Age Glaciaire est sur le point de se terminer mais personne n’en est conscient et les hivers ou la Seine se retrouve gelée complètement à Paris ne sont pas rares.
Ensuite, la royauté est en crise morale. Les frasques des anciens monarques dans leurs jeunesses sont encore dans les mémoires et si Louis XVI est protégé par sa bonne réputation, on ne peut pas en dire autant de sa femme. Marie-Antoinette a connu une longue période de popularité mais jugée trop frivole et dépensière, elle donne prise aux rumeurs et néglige de les faire dissiper rapidement, ce qui entache lentement sa réputation. Bien qu’innocente dans l’affaire du Collier, l’opinion publique l’estime coupable, forcément coupable, et le jugement final du Parlement de Paris dans l’affaire est une humiliation publique pour le roi.
Bien-aimé au départ et haï à la fin, Louis XV meurt de la variole et laisse le trône à son petit-fils. Jugé intelligent mais peu dégourdi, plus manuel qu’intellectuel, Louis XVI s’en remet à son conseil pour prendre les bonnes décisions mais les rares réformes proposées sont en général rejetées par les parlements au nom des traditions et le roi, qui écoute celles et ceux qui ne veulent rien voir changer, laisse la sclérose finir de gagner le pays.
En 1788 pourtant, la monarchie est au pied du mur. Le déficit chronique continue de grandir et les grandes banques rechignent à prêter l’argent nécessaire pour le bon fonctionnement du royaume, ou alors en montant les taux d’intérêts à des niveaux de plus en plus insupportables. Comme aucune réforme fiscale n’est possible par l’opposition systématique de la noblesse et du haut-clergé, Louis XVI est contraint de réunir les Etats Généraux pour trouver une solution, ce qui n’avait pas été fait depuis 150 ans.
Le Tiers Etat produit et la noblesse dirige sous le conseil du clergé. Cet ordre social va radicalement changer.
La grande bourgeoisie citadine y voit enfin l’occasion unique qu’elle espérait : celle de réformer le royaume en profondeur et non pas de l’abattre.
Il faut en effet rappeler que le but premier de la Revolution de 1789 est celui de réformer, pas d’instaurer la République et de renverser la monarchie. En 1789, les républicains sont rares et leurs voix ne trouvent que peu d’écho.
En revanche, face aux abus de l’absolutisme depuis le règne de Louis XIV, les penseurs et les philosophes ont trouvé dans la monarchie anglaise un modèle à imiter avec quelques adaptations : la place naturelle du roi est de régner mais la direction effective du pays doit être dévolue à un gouvernement issu d’une Assemblée représentative qui propose et vote les lois, le roi la promulguant et veillant à sa bonne application.
Cette évolution est pourtant inacceptable dans l’esprit des monarques et d’une partie de leur entourage. Leur pouvoir vient de Dieu par son Sacre et une telle réforme ferait du pouvoir royal la simple emanation du pays via ses représentants. Louis XVI ne veut pas d’une telle réforme mais ses hésitations, son manque de caractère et ses maladresses vont contribuer à faire de l’Assemblée des Etats Généraux le socle qui va vite devenir l’Assemblée Nationale qui se donne pour objectif de donner à un pays qui en est dépourvu une Constitution sur laquelle la nouvelle société et le nouvel ordre seront basés.
Cet événement inaugure une période assez chaotique pour le pays qui va mettre un siècle à s’en remettre et se stabiliser, naviguant entre divers régimes au gré des succès, des échecs, des grands mouvements sociaux et politiques ou des destinées personnelles.
Prise le 14 Juillet, la Bastille est immédiatement détruite. Ses pierres serviront à construire le pont de la Concorde mais aussi à enrichir Palloy, un entrepreneur qui s'est arrogé les droits de destructions sans demander l'avis de personne. Il fait tailler des Bastilles miniatures dans des pierres de l'ancienne forteresse pour les vendre. Les premiers Produits Dérivés de l'Histoire !
1789, 1792, 1804, 1815, 1830, 1848, 1852 et 1870 en constituent des jalons bien marqués, même s’il ne faut pas négliger les lentes évolutions sociales et politiques qui se déroulent entre. En fait, ces dates de Révolutions et de changement de régimes ne sont que les conséquences des événements internes et externes au pays qui se déroulent entre.
Cette véritable accélération de l’ Histoire par rapport aux mille années précédentes est la conséquence du développement de l’instruction, des moyens de communications et de transports.
S’il fallait 15 jours de malle-poste pour rallier Paris à Marseille en 1789, un siècle plus tard le chemin de fer couvre la distance en 15 heures. Et le télégraphe par fil déjà en opération délivre ses dépêches de façon instantanée dans les centres de réception sur tout le pays.
Il en découle un commerce plus rapide, pour les voyageurs une plus grande facilité de déplacement qui touche aussi les ruraux : le développement des lignes locales permet de vendre le produit de la ferme plus loin sur des foires plus prestigieuses, et le brassage des populations s’en trouve facilité car désormais les jeunes peuvent trouver leurs compagnes plus loin que leurs ancêtres sans grande difficulté. Il va en résulter un plus grand brassage génétique et l’augmentation de la taille des Français dans une proportion jamais atteinte depuis l’ Antiquité.
En 1794, les premières tours de Chappe font leur apparitions tous les 20 kilomètres entre Paris et Lille. La transmission d'un message prend une vingtaine de minutes mais les tours ne sont pas exploitables la nuit et par mauvais temps. Le télégraphe filaire mettra fin à l'exploitation commerciale de ces tours.
Les violents soubresauts politiques, militaires et sociaux de la fin du XVIIIè siècle font craquer l’antique carapace médiévale qui organisait le pays. Mais une fois l’ancien système à terre, il convient de le remplacer, et les premières années de la Révolution sont en majorité dévolues à cela.
Les députés des premières Assemblées ont une tâche immense devant eux et uniquement des principes généraux et vagues pour les guider, mais leur travail profond et patient va donner un résultat qui se se fait encore sentir aujourd’hui.
Réunis pour trouver une solution à l’ endettement massif et progressif du pays, l’ Assemblée Nationale met à bas les anciens privilèges dont jouissaient la noblesse et le clergé, parfois avec l’assentiment d’une partie de ces ordres, bien conscients des changements à apporter.
Ensuite, les principes des Lumières aident à reconstruire, souvent en simplifiant, les décombres anciennes.
Ainsi, l’administration du pays est simplifiée. Une ville pouvait dépendre d’une province pour l’administration, d’une autre pour la justice et d’une troisième pour le religieux. Les antiques provinces sont défaites et le pays est découpé en départements qui donnent à tous leurs habitants un lieu unique ou se référer pour les diverses procédures, à l’exception du religieux qui voit ses évêchés inchangés car relevant du pouvoir de Rome et non de Paris. Les départements sont taillés pour suivre un principe général : tout habitant devait pouvoir en rejoindre le chef-lieu en une journée de cheval. S’il avait un cheval bien entendu.
L’égalité de tous devant la loi est également prononcée. L’appartenance à une classe sociale ne permettant plus d’avoir aucun privilège de quelque sorte, et tous étaient désormais égaux devant le bourreau avec la tête tranchée.
La fin des nombreuses barrières sociales permet à une multitude de personnalités de pouvoir enfin exercer un rôle dirigeant dans la société sans condition de naissance, mais encore avec une condition de fortune : le suffrage des premiers scrutins est censitaire et seuls les citoyens masculins payant l’impôt pouvaient voter et être élus, ce qui réduisait le corps électoral à 4 millions de personnes à peu près sur un total de 28.
Il convient en effet de rappeler que 1789 n’est pas une Révolution populaire. Ses grandes figures, ses maîtres à penser et ses exécutants sont en grande majorité sinon en totalité membres des bourgeoisies citadines. Il n’est pas question alors de République, mais de réforme monarchique, et la religion catholique y trouve toute sa place.
Les paysans sont absents des classes dirigeantes, de même que les ouvriers et les gens du Peuple et des communs. En revanche, ces derniers sont très nombreux et profitent de façon indirecte des changements politiques, ce qui les incitent à soutenir la bourgeoisie agissante. Le rapport de force évoluera par la suite quand de grandes figures commenceront à utiliser et manipuler ces masses pour en faire leurs outils de conquête du pouvoir ou simplement pour s’y maintenir une fois la monarchie à terre.
La Révolution est aussi à l’origine de la plus grande opération d’éducation des masses, avec la généralisation des écoles communales.
Il faut dire que 1789 ne part pas d’une page blanche. Depuis Louis XIV, chaque paroisse est encouragée à prodiguer aux enfants du peuple des rudiments d’enseignement. Mais l’école en est payante, ce qui limite sa portée aux paysans et commerçants les plus riches et l’ Etat n’offre aucune incitation financière pour développer l’ éducation. Un siècle avant Ferry, l’enseignement est une priorité à offrir à tous les enfants au moins jusqu’à 13 ans mais les divers changements de régimes provoquent un grippage des rouages et une sclérose handicapante que Ferry résoudra de façon radicale.
L’action de la Révolution n’est toutefois pas que positive : avec le temps, des erreurs sont commises et ces dernières vont aider à faire basculer la situation en 1792.
La fin des privilèges ecclésiastiques laisse l’ Eglise sans aucune ressource. Pour y pallier, les législateurs pensent avoir la bonne idée en faisant des religieux des fonctionnaires de l’Etat. Mais la prestation de serment que cela induit ne convient pas à Rome qui estime que les prélats n’ont pas à se soumettre à une autorité civile. Le corps ecclésiastique se coupe littéralement en deux entre les prêtres assermentés et les réfractaires, qui sont officiellement privés de toute fonctions et qui se réfugient dans la clandestinité, aidés par une partie de la paysannerie qui n’accepte pas l’intrusion du politique dans la religion. Cela va fournir une raison supplémentaires aux Chouans de se soulever après la proclamation de la République et l’exécution de Louis XVI.
En effet, si en public le roi donne des gages à l’Assemblée, en privé il continue de consulter et d’écouter les réfractaires aux changements et sa politique est de gagner du temps pour laisser ses frères exilés volontairement réunir les monarchies étrangères contre la France et imposer le retour à l’ordre ancien de force.
Le pari est risqué car Louis XVI n’a pas conscience que les autrichiens et les prussiens, les plus à même d’intervenir militairement, n’ont pas l’intention de le faire gratuitement. Berlin et Vienne trainent des pieds car ils estiment que plus la situation de Louis XVI sera périlleuse, plus il sera enclin à accepter des compensations territoriales généreuses en échange : le Saint Empire ne fait pas mystère de son envie de remettre la main sur l’Alsace et la Lorraine, françaises depuis un siècle à peine.
Quand la position du roi à Paris devient intenable, il organise sa fuite, voulant rejoindre une forteresse de l’est pour retrouver de la liberté de mouvement et pour faciliter d’éventuels contacts militaires. Mal organisée, mal gérée, le fuite du roi est rapidement découverte et il est repris à Varennes.
Pour les royalistes du gouvernement, c’est la consternation. En une décision le roi se décrédibilise complètement face au pays qui lui retire sa confiance. Quand les prussiens exigent que le roi soit bien traité en prenant la ville de Paris en otage, ils ne font qu’exacerber la situation et dans leur grande majorité les Français estiment que la vie du Roi est désormais une menace pour eux.
Les luttes intestines pour le pouvoir retardent l’inévitable mais après une nouvelle émeute populaire, l’Assemblée n’a d’autre choix que de mettre le roi en accusation : sa correspondance secrète est révélée et son procès pour trahison commence après que la monarchie ait été déclarée abolie et le roi détrôné.
Celui qui est pour la loi désormais simplement Louis Capet est jugé. Sa culpabilité ne fait aucun doute et les députés la votent à une écrasante majorité. Ils sont plus divisés sur la peine à infliger mais la mort immédiate est votée à une courte majorité. S’étant vu refuser un appel par un scrutin devant le peuple, Louis Capet bénéficie d’une dernière nuit pour faire ses adieux à sa famille et pour régler ses dernières affaires avant d’être décapité en place publique.
Pour les révolutionnaires, il n’est plus question de faire marche arrière et la lutte contre les armées coalisées s’organise malgré les premiers échecs. Les armées sont en effet désorganisées et privées de leurs chefs, partis en exil ou bien écartés car suspects aux yeux des républicains. Cela permet aux prussiens et aux autrichiens d’entrer sur le territoire comme dans du beurre. Heureusement, les armées étrangères ne sont pas coordonnées et font à leur guise, ce qui permet à de petites unités de retarder leur avance. De plus, elles sont mal ravitaillées car les coalisés pensent naïvement que la république va s’effondrer aux premiers coups de boutoir. Valmy n’est qu’une escarmouche mais elle permet à la République de remporter une première victoire. Privées de nourritures et de munitions, les armées ennemies reculent, ce qui laisse le temps à la France de réformer ses régiments et de mettre à leur tête de jeunes talents qui vont rapidement monter en grade, les places de commandement étant désormais accessibles selon la compétence et non plus la naissance.
Vu de l’extérieur, la Révolution Française est vue comme un grand danger par les classes dirigeantes et comme un immense espoir par les peuples. Rois et Princes l’ont bien compris et s’affairent à limiter l’influence néfaste selon eux de l’exemple français. Les jeunes Etats-Unis voient en la situation une conséquence de leur propre libération du joug anglais et le Royaume-Uni estime dans son intérêt de ne pas laisser les Français gagner trop d’influence sur le continent.
A Paris, la situation est jugée périlleuse avec le danger des armées ennemies à l’extérieur et des armées royalistes en Vendée. Ce sentiment est partagé non seulement par les élus mais par le Peuple dans son ensemble, ce qui aide la gouvernement à proclamer la « patrie en danger ». L’essentiel des moyens de production est désormais convertie vers un effort de guerre total et les citoyens ne rechignent plus à s’enrôler volontairement dans les armées qui convergent vers Paris avant de partir pour les fronts du nord, de l’est ou de l’ouest.
Cela provoque un brassage de population tel que le pays n’en a encore jamais vu et cela renforce le sentiment d’appartenance à une seule et même entité, la France. Symbole de l’union de provinces autrefois disparates, un chant de guerre va se détacher des autres. Chanté par des volontaires marseillais, il va devenir l’hymne officiel du pays et bien avant l’Internationale, la Marseillaise va devenir le symbole de la libération d’un peuple sur ses oppresseurs, se diffusant dans tout le continent et même au delà.
Sur le plan politique en revanche, la situation se complexifie, se dégrade et se radicalise. Les luttes de pouvoir entre royalistes réformateurs et républicains ont laissé la place entre républicains enragés et conciliateurs, sans compter les ambitions personnelles qui troublent encore plus le jeu politique.
Officiellement, le but de la révolution est atteint avec la constitution de 1793 qui est une des plus libérales que le pays n’ait jamais connue. Mais en raison de l’état de guerre, elle est suspendue jusqu’à la paix et ne sera en réalité jamais appliquée.
Le jeu politique est enfin troublé par le peuple lui-même, qui se fait parfois manipuler pour favoriser tel ou tel camp. Dans les faits, cela force le pouvoir à aller toujours plus loin dans l’intransigeance et l’outrance, faisant fonctionner la Guillotine à plein régime. La Révolution devient incontrôlable et se met à dévorer ses propres partisans pour peu qu’ils soient sur le chemin du pouvoir et constituent un obstacle à éliminer.
Un palier est franchi avec l’instauration de la Grande Terreur, qui fait fonctionner la guillotine de façon permanente. La situation aux frontières justifiait sa mise en place même aux yeux des modérés pour protéger les institutions mais quand les armées repoussent les envahisseurs et reprennent la Belgique et les pays Rhénans, les plus conciliateurs constatent que le comité de Salut Public n’a aucune intention de lâcher du lest. Bien au contraire. Même les moins compromis comprennent que s’ils ne font rien, ils serviront de chair à échafaud car désormais, celui qui est jugé devant le Tribunal Révolutionnaire doit prouver son innocence pour s’en sortir, ce que dénoncent à mots couverts de nombreux juristes devant cette aberration judiciaire.
Juillet 1794 est le moment où tout bascule : Robespierre a de nouveau dénoncé publiquement un complot mais sans donner de noms, prélude à une nouvelle série d’exécutions massives. Les députés comprennent que cette fois, c’est eux ou lui et ses partisans du comité de Salut Public. Leurs mains qui ont hésité à tenter de sauver Danton et Desmoulins ne tremblent pas cette fois. Faisant fi de la légalité et bénéficiant de la complicité d’une partie de la garde nationale qui tient également à garder sa tête sur ses épaules, Robespierre et ses partisans sont déclarés « hors la loi » par un vote à la légitimité douteuse, ce qui permet son arrestation et son exécution immédiate sans jugement préalable. Il est vrai que le tribunal, sous Fouquier-Tinville, ne s’embarrassait plus non plus de légalité depuis longtemps, faisant parfois emmener à la mort de pauvres bougres enfermés pour des broutilles pour faire le compte d’exécutés requis.
L’annonce de l’élimination des ultras du comité frappe le pays de stupeur, comme un boxeur groggy qui voit que son adversaire est à terre mais ne comprenant pas qu’il a gagné. Un Directoire est mis en place, avec 5 Directeurs en théorie renouvelés en partie tous les ans mais le système n’empêche pas la corruption financière de discréditer la nouvelle institution rapidement. Les lois les plus sévères ou iniques sont abrogées mais le pays a derrière lui un fleuve de sang : les 17 000 décapités parfois pour rien ne sont qu’un détail comparé aux 100 000 morts de cette guerre civile qui ne veut pas dire son nom. Une des dernières victimes collatérale en est le pauvre Dauphin. Enfermé au Temple, il est devenu avec le temps un otage entre les factions révolutionnaires qui le gardaient au cas ou la monarchie reviendrait pour négocier une certaine immunité. Une fois la certitude de voir la république perdurer, son sort n’intéresse plus personne et il meurt de tuberculose à 10 ans.
Louis-Charles devient Dauphin à la mort de son frère aîné Louis-Joseph en 1789. Comme lui, de santé fragile, il va mourir de tuberculose osseuse.
Exilé à Dortmund, Le frère cadet de Louis XVI devient roi sous le nom de Louis XVIII, renouvelant après les capétiens directs puis les Valois l’enchainement des règnes de frères qui vont mettre fin cette fois aux Bourbons.
La fureur de la Terreur calmée, la France n’a pas d’autre choix que de continuer la guerre mais elle arrive à défaire les armées coalisées les unes après les autres et à les forcer à signer des traités favorables qui agrandissent le territoire en Belgique et qui forment des républiques soeurs afin de former un glacis défensif. L’image de la Révolution a été sévèrement écornée dans l’opinion publique mais le retour à la raison des dirigeants augurent de meilleurs lendemains.
Ayant mis à bas une monarchie millénaire, la Révolution a aussi servi de matrice à un mouvement de contestation politique et offert un mode d’emploi à destination des rebelles : elle montre, par l’exemple, qu’ une petite minorité décidée peut mettre à bas un régime dans certaines conditions.
Ainsi, le mouvement doit être animé par des dirigeants charismatiques et volontaires, capables de soulever les foules d’une capitale : les villes de province n’ont pas en effet le poids politique pour pousser une législature à se soumettre et même si le monde paysan est de loin majoritaire dans le pays, ses membres sont en grande majorité soit conservateurs et soutenant le pouvoir établi, soit trop passifs pour agir en personne. De plus, à l’époque, la lenteur des moyens d’information ne permet pas aux habitants des campagnes reculées d’être informés en temps réel. Même si la révolte gagne les esprits, le temps qu’ils soient informés de son déclenchement, la partie est déjà jouée.
Ce modèle de lutte va être reprise dans les révoltes citadines à venir, comme en 1830 pour chasser Charles X du trône et 18 ans après pour mettre un terme définitif à la monarchie en France avec l’exil forcé de Louis-Philippe.
C’est également avec le même schéma que les communards vont tenter leur révolution, la première à être vraiment d’inspiration populaire et non plus bourgeoise. Mais contrairement à 1830 et 1848, c’est un échec, dû à de nombreux facteurs comme une force militaire plus affirmée et professionnelle du coté Versaillais, un manque de soutien presque total de la province et aussi le fait que la Commune, malgré ses déclarations, ne regroupait qu’ une minorité du peuple parisien.
Cette accumulation de révoltes et de révolutions fonde une identité française propre : celle d’un peuple libre, exigeant et n’hésitant pas si besoin est à casser la légitimité qu’il a instaurée lui-même avant s’il estime qu’il est dans son intérêt de le faire.
Les choses se sont quelques peu civilisées et il n’est plus question de faire tomber des têtes, si ce n’est symboliquement. Cet esprit se retrouve en grande partie dans l’attrait des luttes syndicales et des grèves même si depuis les années 1980 les grands mouvements sociaux se font rares et perdent fortement en intensité, la faute à beaucoup de facteurs comme l’absence de réel modèle social alternatif pertinent après la fin du communisme, une certaine individualisation des comportements mais aussi la sclérose syndicale de centrales plus soucieuses de garder des mandats électoraux que de véritablement faire converger les luttes. Le caractère festif des manifs « ballons-merguez-sonos tousensembles-tousensembles-ouais-ouais » peut aussi en rebuter certains.
En 1815, la grande aventure napoléonienne s’achève de façon piteuse avec le dernier soubresaut des Cent-Jours qui fait perdre la Savoie que Talleyrand avait su conserver lors du Congrès de Vienne après la première abdication de l’empereur. Napoléon figure au Panthéon des dirigeants français par son charisme, sa volonté d’ aller toujours plus loin même si c’est ce qui a fini par le perdre. Les Français de l’époque lui sont gré d’avoir doté le pays d’un gouvernement fort et stable après les péripéties révolutionnaires mais l’essentiel de l’ héritage du Corse est ailleurs : créateur de la Banque de France, il dote le pays d’une monnaie forte qui va perdurer un siècle après le fiasco complet de l’ Assignat. Il termine le travail entrepris par la Révolution en unifiant enfin les poids et les mesures sur tout le pays, ce qui simplifie grandement le commerce. Mieux, le système métrique se diffuse dans l’Europe et par la suite le monde entier, sauf aux USA, au Libéria et en Birmanie. Même la Perfide Albion décimalise et métrifie une partie de ses unités de mesures.
Il aura trompé tout le monde, Dieu comme Diable. Talleyrand s'est copieusement servi durant ses offices ministériels mais il a toujours préservé les intérets du pays, souvent contre les intérets du monarque qu'il était censé servir.
L’empereur déchu laisse aussi le Code Civil qui est toujours en vigueur en France ainsi que dans une grande partie de l’Europe ou il avait été introduit pour moderniser les lois locales. Les princes revenus sur leurs anciennes possessions n’oseront pas toucher à ce que eux-même devront admettre être un grand progrès judiciaire et législatif. Napoléon aura aussi abrogé le calendrier républicain qui partait sur de bonnes intentions mais qui se trouvait moins précis et pratique que le calendrier grégorien remis en place.
Isolé sur son mouroir de l’Atlantique sud, dictant ses mémoires, Napoléon, dit-on, aurait fait preuve de prophétie en disant peu de temps avant de mourir : « Je laisse au berceau deux géants qui me vengeront (des anglais) : la Russie et les Etats-Unis d’Amérique. »
Les phrases historiques ont ce point commun que beaucoup sont apocryphes. Si celle ci est vraie, il aura fait preuve d’une grande lucidité géopolitique.
Car en ce début du XIXè siècle, le monde ancien termine son existence. Le régime a changé, revenu à une monarchie parlementaire mais c’est désormais sur le plan économique et social que le changement va maintenant se faire, avec la Révolution Industrielle qui, lancée au Royaume-Uni, touche la France et chamboule l’ordre social. Le progrès technique avec les premières machines automatiques pour le tissage nécessite du charbon et du fer en grande quantité. Deux ressources dont la France dispose de façon relativement abondante.
Les mines se développent dans le Nord, le massif central et la Lorraine et beaucoup de paysans saisonniers embauchent pour miner toujours plus en profondeur. La dureté et la dangerosité du métier va donner naissance au corporatisme minier exalté par Zola dans « Germinal ». Les mineurs sont conscient de l’importance de leur travail car sans eux, pas de rails, de chemins de fer, de poutres métalliques pour l’armature des ponts et des immeubles. Ils savent aussi la dureté de leur conditions et ils n’hésitent pas à manifester et à revendiquer de meilleurs salaires et conditions de travail, ce qui est très courageux à une époque ou l’armée ou la gendarmerie tire dans le tas le cas échéant.
Quelques mouvements, tels que la révolte des Canuts à Lyon, tentent de briser le progrès au sens propre en détruisant les ateliers de tissage qui selon eux vont les mettre au chômage. Soyons honnêtes, c’est ce qui se produit effectivement et les soyeux sont contraints d’abandonner leurs ateliers familiaux de la Croix Rousse pour les grandes industries ou ils touchent des salaires de misère. Mais face à une concurrence interne ou la soie tissée industriellement revient trois ou quatre fois moins cher que la soie tissée mécaniquement, la messe est dite de toutes façons.
La dureté des conditions de travail et les bas salaires marquent les temps, ainsi que la pollution au charbon qui rend l’air des cités ouvrières irrespirables parfois. Les ouvriers sont alors volontiers à l’écoute des harangueurs socialistes pour qui ils devraient avoir plus que ce qu’ils ont. La monarchie est tombée mais la bourgeoisie est devenue la nouvelle noblesse et l’ouvrier n’a à peu près aucun espoir d’élévation sociale. Cela suffit pour voir se développer les idées socialistes qui gagnent l’ensemble de la population ouvrière.
Malheureusement, cela ne suffit pas. Le monde ouvrier ne représente encore qu’un petit quart de la population générale. La grande majorité appartient encore au monde paysan, qui a gardé ses valeurs conservatrices. Ajoutez-y une atomisation des partis socialistes ou socialisants en 5-6 partis qui s’opposent en premier les uns aux autres en dispersant les voix ouvrières au premier tour des élections, ce qui donne de façon mathématiquement la victoire aux candidats de l’ordre établi en fin de compte. Il faudra attendre Jaurès pour voir ces chapelles unies et capables de peser sur la politique intérieure.
Cette frénésie de production n’a cependant de sens que s’il existe un marché des ventes capables de l’absorber. Le gouvernement à alors le choix entre revaloriser fortement la paye des ouvriers pour créer un marché intérieur mais le patronat s’étrangle à l’idée, justifiant déjà de la concurrence internationale pour repousser l’idée.
L’autre solution, c’est de trouver un marché, de préférence captif, ou la production nationale sera écoulée pour alimenter le commerce. Ferry, passé de l’enseignement au ministère des colonies, privilégie cette option et dote la France de son second empire colonial.
La justification politique de l’envoi de troupes outre-mer fait jouer la corde de la mission civilisatrice de la France et de son devoir d’aider les tribus nègres et asiatiques ( c’est le vocabulaire de l’époque, épargnez moi vos remarques !) à sortir de leur sous-développement chronique dont elles seraient incapables de sortir seules.
La vraie raison consiste à s’emparer de territoires relativement vierges pour s’en accaparer les richesses naturelles d’un coté, et pour y développer un marché captif de l’autre. Charles X avait profité d’un incident diplomatique pour mettre la main sur l’Algérie et l’ouvrir à la colonisation paysanne. Le Maroc et la Tunisie sont fortement incités à solliciter l’aide et la protection amicale de la France qui y envoie ses troupes pour mater les rebelles. C’est la même logique qui pousse à la colonisation de l’Afrique Equatoriale et plus à l’est de l’ Indochine et de la Polynésie. La France ne fait d’ailleurs rien d’autre que ce qu’ont fait les anglais et les espagnols avant, laissant aux belges, aux allemands et aux italiens quelques dépouilles. Après tout, même le petit Danemark s’est lancé dans l’aventure aux Caraïbes en s’installant aux Iles Vierges.
Affublé du sobriquet "Ferry-Tonkin", le ministre est contraint de démissionner après un scandale de renseignements illégalement réunis sur les opinions politiques et religieuses d'officiers supérieurs de l'armée. Il aurait adoré travailler pour Google je pense...
Cette frénésie de colonisation a pour inconvenient d’attiser les troubles diplomatiques européens qui peuvent survenir. Fachoda, la clé pour réaliser soit la jonction est-ouest en Afrique au profit des Français ou la jonction nord-sud en faveur des Anglais, échoit finalement à ces derniers mais la crise diplomatique a échaudé la population qui n’a pas hésité à réclamer à cors et à cris la guerre en Outre-manche. De même, l’Allemagne, partie trop tard pour cause d’unification tardive, tente de mettre la main sur le Maroc en y envoyant de gros navires aux canons ostensiblement pointés sur les ports. Les Anglais se mettent alors du côté des Français et le Kaiser doit battre en retraite.
Cela ne contribue pas à alléger une ambiance lourde depuis 1870 et la guerre franco-prussienne qui a fait tomber Napoléon III et l’Alsace-Moselle dans l’escarcelle germanique. Ferry, qui a lancé l’aventure coloniale, se voit critiqué à cause du dévoiement des troupes et du matériel qui selon certains devraient plutôt être utilisés pour reprendre Mulhouse, Strasbourg et Metz.
L’esprit de revanche ne va jamais se dissiper totalement et il va contribuer à jeter la France dans l’horreur de la Grande Guerre.
Les scènes de liesses populaires et de fleurs aux fusils sont en réalité rares et le plus souvent montées pour la presse. Mais la volonté de se battre est réelle car les désertions en ce début de conflit sont très rares. Les Français ont profondément conscience que la guerre est un péril mortel mais ils estiment devoir se battre pour la Nation. Cette conscience de faire partie d’un tout plus grand auquel on peut sacrifier sa vie n’est pas un vain mot. De nombreux étrangers présents sur le sol français estiment de leur devoir de se battre pour elle pour la remercier de les avoir accueillis.
Les immigrés italiens et espagnols y trouvent l’occasion aussi de montrer à leurs détracteurs racistes qui ne s’étaient pas privé de les villipender publiquement comme « voleurs de pains pour vrais Français » à quel point ils ont eu tort de les considérer comme des profiteurs.
Cela touche le monde minier mais aussi artistique avec Guillaume Apollinaire, né russe mais engagé volontaire et qui devient Français « par le sang versé » en 1916.
François Faber, coureur cycliste luxembourgeois célèbre de l’époque, aura la même démarche : « la France a fait ma fortune, il est normal que je la défende. ». Mais lui n’aura pas la chance de survivre, porté mort au combat en 1915.
1918 voit la fin du conflit, mais pas vraiment la paix. Les Anglais n’arrivent pas à contenir l’esprit revanchard français qui reprends l’ Alsace-Moselle mais qui impose aussi des conditions iniques de paix à une Allemagne en ruine politiquement et dévastée économiquement, laissant en germes les graines de la Seconde Guerre mondiale.
Le retour à la paix ne s’accompagne pas non plus des justes compensations et changements qui auraient dû faire évoluer la société bloquée sur les valeurs de l’Ordre moral qui caractérisait la Restauration de 1815 : les femmes, qui ont été d’un apport précieux dans l’industrie d’armement, sont renvoyées dans leurs foyers et alors que les Anglaises conquièrent le droit de vote dans la décennie qui suit, le Sénat repousse toute idée de faire des Françaises des citoyennes à part entière. De façon ironique, la gauche sénatoriale participe activement à ce bloquage : estimant qu’elles sont trop influencées par les valeurs morales de l’ Eglise, elles constitueraient une réserve de voix massive pour la droite conservatrice qui de son coté se garde bien de les détromper. Il faudra que De Gaulle, à la Libération, tape du poing sur la table pour mettre les sénateurs au pas.
L’influence de l’Eglise catholique (protestants et juifs ne représentent pas 5 % de la population au total, sans parler des musulmans que l’on peut presque compter sur les doigts de la main en métropole) reste toujours prégnante dans la société civile et dans la politique malgré la séparation, en 1905, des Eglises et de l’Etat.
Cette laïcisation à marche forcée est devenue nécessaire avec l’élection de Pie X qui se montre bien plus intransigeant que ses prédécesseurs mais il ne s’agit que du pinacle d’une lente détérioration des relations entre le catholicisme et la république : la Terreur a durablement marqué l’Eglise qui s’est politiquement enfermée dans un conservatisme à tout crin en réaction aux événements. Cette séparation n’allait pas de soi car le Concordat de 1801 offrait au gouvernement français l’avantage ultime de la nomination des évêques de France, ce qui permettait un contrôle efficace de la haute administration et de la politique de l’ Eglise.
Mais elle devient inévitable quand le Vatican rompt les relations diplomatiques avec la France pour protester contre la visite du président Français à Rome, ville dont le Vatican ne reconnait toujours pas l’annexion par l’Italie. De fait, le Concordat est dissous et les républicains ne peuvent qu’avaliser ce fait de leur côté. La séparation fait de l’ancienne fille ainée de l’Eglise un Etat laïc, neutre sur le plan religieux mais qui en même temps veille sur la possibilité de chacun de ses citoyens d’exercer ou non ses croyances. Du macronisme avant l’heure, presque…
Car la laïcisation du pays ne se traduit pas par un recul de la pratique religieuse. Les messes du dimanche matin font toujours le plein des églises et l’avis des curés reste respectueusement écouté. Ce n’est qu’à partir des années 60 que la pratique va commencer à fortement reculer auprès de la jeune génération.
Forgée dans l’adversité et le sang, l’identité et le sentiment national français est complétée par la domination sans partage de la langue du bassin parisien. Simple langue parmi d’autre, elle gagne en importance sur les autres langues régionales car elle est celle du roi et de la cour et elle se diffuse lentement dans la noblesse puis la bourgeoisie. Le peuple reste lui avec sa langue locale dans un premier temps. L’ édit de Villers-Coteret fait du français la langue officielle dans laquelle tous les actes administratifs et judiciaires doivent être rédigés en lieu et place du latin qui devient progressivement une langue morte, mais cette langue reste encore peu pratiquée.
Au départ, la Révolution n’entends pas changer cela : l’Assemblée prévoir même de faire traduire ses débats et ses lois dans les principales langues régionales pour une meilleure diffusion de ses travaux, mais le manque de locuteurs à Paris, de temps et le cout financier engendré font renoncer à ce projet. La levée en masse des troupes force à une francisation rapide des soldats qui doivent être capables de comprendre les ordres donnés.
Revenus dans leurs régions d’origine, ils vont participer à la diffusion du français auprès de leurs familles d’autant plus rapidement que les républicains ont compris que pour unir un peuple encore plus étroitement, une langue unique est indispensable : c’est donc en français que l’éducation va être prodiguée auprès des plus jeunes, ce qui en l’espace de quelques dizaines d’années va faire reculer l’essentiel des langues régionales qui demeurent majoritaire auprès des plus anciens avant que leur disparition n’en fassent des reliques du passé, ajoutant cependant au français de nombreux apports syntaxiques et d’éléments de vocabulaire.
La francisation à outrance a permis de renforcer le sentiment national, au prix d’une uniformisation du langage. A part en ce qui concerne le basque, le breton et le corse, les langues régionales n’ont plus en France qu’une valeur touristique en raison de leur faible nombre de locuteurs. Mais cela retire un frein énorme à la capacité de voyager des Français dans leur propre pays car partout dans l’Hexagone, il se sent chez lui et peut converser facilement avec les habitants du cru, ce que beaucoup de pays dans le monde n’ont pas.
Faire partie d’un ensemble plus vaste que soi, c’est ce qui a en partie permis la constitution du pays actuel. Un certain conservatisme des idées et des habitudes qui fait que le français rechigne au changement est une autre caractéristique. La réforme est toujours bonne quand elle affecte les autres, et pas soi-même. C’est ce qui explique aussi que loin de connaitre une évolution progressive, le pays semble préférer par nature le statut-quo jusqu’au point de rupture qui engendre un grand saut.
C’est une nature qui représente un défi sur une Terre devenue un grand village accessible en tous points en une ou deux journées à peine, et qui voit ses flux économiques et commerciaux changer d’années en années alors que le pays préfère un rythme moins soutenu.
C’est pourtant une obligation : l’économie du pays, autrefois tournée vers lui-même comme sur une île isolée est désormais prise dans la multitude des flux. Ce n’est pas vraiment une nouveauté pourtant : Rome commerçait avec la Chine mais les échanges étaient rares et couteux, limités aux produits de luxe. La lente croissance des moyens de transport et de communication vont lentement interconnecter les grandes régions et faciliter les échanges au prix d’une entrave aux moyens de production locaux : la France est capable de produire le fer et le charbon nécessaire pour son industrie. Mais ses capacités de production ne permettent pas de couvrir la demande et l’importation reste obligatoire pour alimenter les besoins. Les produits importés se révèlent moins cher à l’achat que l’exploitation locale car la géologie a fait que les mines françaises sont plus profondes et moins riches que celles des pays voisins, ce qui se ressent sur le prix de revient.
A la fin de la dernière guerre, le besoin d’intégration dans les flux internationaux se fait cruellement sentir : les moyens de productions ont été largement détruits et le niveau industriel du pays a reculé de presque 20 ans. Le pays peut produire sa nourriture mais les moyens de distribution internes font défauts, ce qui prolonge de 4 ans le recours aux cartes d’alimentation.
Les rations des soldats comportent des friandises et des aliments qui peuvent servir de monnaie d'échange dans les pays dévastés.
C’est un peu contraint et forcé que le gouvernement provisoire accepte l’aide américaine du Plan Marshall : afin de soutenir son économie dans la paix après des années de production intense pour couvrir les besoins militaires, les USA proposent une aide matérielle et alimentaire à grande échelle à tous les pays du continent, y compris ceux situés dans la zone d’occupation soviétique. Ces derniers déclinent l’invitation, l’URSS ayant parfaitement compris le sous-entendu et livre sa propre aide, qui sera toujours inférieure à ce que les USA sont capables d’offrir.
En attendant de pouvoir fabriquer ses propres engins, la France importe du matériel roulant de façon massive et laisse circuler sur son territoire les surplus alimentaires américains. C’est à cette occasion que les Français sont pour la première fois mis en contact direct avec l’industrie agro-alimentaire d’outre Atlantique. Les films de propagande du PCF tentent de montrer la chose sous un angle négatif mais dans la réalité, la population fait un plutôt bon accueil aux sodas, aux friandises et au blé du Middle West. Les hamburgers ? Ils viendront plus tard, dans les années 70 mais les boîtes de corned beef aident aux apports en viande dans l’alimentation.
Inclus dans l’offre et ne pouvant pas être une option, les écrans français voient aussi débarquer les films d’Hollywood de façon massive. En réalité, ce n’est pas une première car dès les années 20 les cinémas diffusaient de façon marquée les plus grands succès américains. La coupure forcée par la guerre et l’occupation allemande a donné une impression de manque et de nouveauté quand Charlie Chaplin revient sur les écrans après 6 ans d’absence.
La seule différence réside dans la quantité, ce qui place le cinéma français en état de concurrence immédiate face à Hollywood. Pourtant, ce n’est au final pas un mal car cela force les producteurs et les réalisateurs à se surpasser pour garder leurs places au soleil et les années 50 et 60 constituent un âge d’or du cinéma français.
Pendant que le pays regarnit ses étagères, les gouvernements de la IVè République ( ils ont une longévité moyenne de 6 mois…) renouent des liens diplomatiques aidés par la formation de l’ONU qui s’installe de façon définitive à New York, mais les relations les plus importantes pour l’avenir sont celles à nouer avec les puissances de l’ Axe vaincues, et plus particulièrement l’Allemagne.
La fondation de la CECA en 1951 met en commun la production de charbon et d’acier de 6 pays. Le but est de fonder un marché intérieur plus puissant mais aussi, en mêlant les moyens de production de nations naguère ennemies, de rendre toute idée de guerre future entre elles absurde. Et cela marche. Il est cruellement ironique de voir que Schumann et Adenauer vont réussir avec l’économie ce que Briand et Kellogg n’ont pu faire avec la politique.
Le symbole le plus fort de la reconstruction européenne est la signature, en 1963, du traité de l’Elysée entre la France et la RFA. De Gaulle s’est finalement laissé convaincre de la nécessité de marquer définitivement la fin de 70 ans de troubles diplomatiques qui ont engendré 3 guerres entre les héritiers de Charlemagne. Il faut dire qu’il apprécie aussi le fait que cette réconciliation permet d’éloigner la RFA de son alliance avec les USA, le général ayant toujours préféré voir les GI’s le plus loin possible du continent.
Conforté par son auréole de vainqueur et son image de marque, De Gaulle va conduire les affaires de façon efficace même si certaines méthodes ne sont guère avouables quand on y regarde de plus près. En revanche, enfermé dans son conservatisme social et son manque d’anticipation, il voit son pouvoir chahuté par les étudiants de 1968 qui rêvent déjà à un autre monde possible, poursuivant la tradition contestataire française même si elle se termine par un raz-de-marée gaulliste aux législatives suivantes.
Marqué par un mois de Mai chaotique, il abandonne le pouvoir suite à un rejet d’une proposition référendaire, ce qui constitue la véritable fin de la société de l’entre-deux guerres.
Désormais, l’évolution économique du pays fait du monde paysan une minorité pour la première fois dans l’histoire de la France. Il y a bien plus de citadins que de ruraux et la mécanisation de l’agriculture pousse les anciens journaliers à se reconvertir en usine. Mais des dizaines de milliers de petits bars et de restaurants ruraux perdent leur clientèle qui n’est remplacée par rien et sont contraints de fermer définitivement, ce qui inaugure un mouvement de désertification rurale, un mouvement qui ne commencera à s’inverser vraiment que dans les années 90 avec l’extension de la néoruralité, ou les citadins viennent chercher un cadre de vie plus agréable dans les petits villages de l’arrière pays, aux prix de l’immobilier bien plus abordable malgré l’accroissement des distances à parcourir pour se rendre à l’école ou au travail.
Né comme un pays rural replié sur lui-même, la France est devenue en un millénaire une nation industrielle et citadine à l’économie ouverte sur le monde, ce qui apporte beaucoup d’avantages et aussi quelques inconvénients.
Mais comme tous ses voisins européens, le pays ne peux plus se replier sur lui-même. La France y a gagné une paix militaire comme elle n’en a jamais connu avant mais elle ne peut plus prendre de décisions sans voir les conséquences frapper ses voisins immédiats. La hutte isolée a laissé la place à l’appartement dans un immeuble de 27 étages et si elle y gagne en isolation thermique, elle y perd en intimité.
S’il est vrai que l’Histoire commence il y a une seconde, on ne peut que constater que le passé du pays est bien chargé.
Ce qui augure de bonnes choses pour son futur.
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