Une critique du livre « La Grammaire en s’amusant » de Patrick Rambaud
Le refrain a certes quelque chose du mérycisme « tout fout le camp », mais puisque les jeunes semblent encore et toujours plus rétifs à la correction langagière et orthographique, il fallait bien en rajouter une couche. Car les tenants de l’éducation officielle se complaisent dans les jargons et le charabia et avant Patrick Rambaud, comme lui-même en fait part en introduction de son livre, personne n’avait su présenter la chose grammaticale avec attrait et clarté. Le prix Goncourt 1997, pour son roman historique « La Bataille », et récent auteur de « Chronique du règne de Nicolas Ier » (1) s’est attelé à la tâche. Hélas, on découvre très vite ce que l’auteur aime surtout, bien au-delà de la grammaire : la pédanterie et le monologue (pour l’occasion déguisé en dialogue).
Les vacances avaient pourtant bien commencé mais notre auteur (du moins le narrateur) a eu l’idée de jeter un œil sur le cahier de devoirs de son fils de sept ans. Oh stupeur ! il y découvre - sans cela nous aurait-il peut-être épargné ce livre ronflant de mépris et boursouflé de prétention - que l’enfant a répondu « plat » au lieu de « mât » dans un QCM et il en est « consterné ».
Certainement, vouloir démontrer l’utilité d’un minimum de connaissances grammaticales afin d’être en mesure d’exprimer clairement une pensée est une entreprise louable. Mais encore faut-il se fixer un sujet, s’y tenir et ne pas prétendre s’adresser à un jeune enfant comme à un archétype caricaturé d’une jeunesse qu’on méprise. En l’occurrence, les réflexions de l’enfant de sept ans ressemblent plus à celles d’un adolescent quelque peu blasé.
Il y a des « tendresses » déplacées et qui sonnent faux. Patrick Rambaud en abuse en quasi permanence au début de chacun de ses prétentieux « exposés » tous azimuts où il étale l’érudition à la truelle à gâcher. Ainsi le jeune garçon est tour à tour un jeune cornichon, un bougre, un paltoquet, une petite nature, un indigne marmouset, etc.
Autre exemple à propos de la clarté du langage qui est en fait : « (...) la politesse, te dis-je ! La politesse ! Et d’abord vis-à-vis de ce que tu as dans la tête, bougre de mulet (...) ». Il semble donc que la politesse n’implique pas le respect quand on s’adresse à un enfant de sept ans.
Dans l’album concept The Wall (Pink Floyd, 1979) Roger Waters avait mis en scène un tel genre d’enseignement, en particulier dans les paroles du morceau The Happiest Days of Our Lives (2) précédant le mythique Another Brick in the Wall.
Il apparaît vite que le recours à l’enfant (personnage « Lui ») est surtout utile à Patrick Rambaud (représenté par le personnage « Moi ») comme faire-valoir et pour mieux soliloquer. Quant à l’érudition, à part quelques anecdotes sans doute originales, elle a la valeur d’un double euro en chocolat. Dans La Grammaire en s’amusant on apprend ce genre de choses :
« Les hommes des cavernes n’étaient pas très futés, ils commencent par inventer des armes et tuent pour vivre (...) ils n’ont pas de mémoire et pas d’avenir, ils dorment, ils chassent, ils mangent, ils se reproduisent par instinct mais ne connaissent pas encore les mots (...) ».
Quand on copule chez les prix Goncourt, il faut le dire haut et fort, c’est par amour de la littérature et de la grammaire. Par ailleurs, il serait intéressant de proposer un stage de survie en forêt profonde à notre futé écrivain afin d’observer les stratégies misent en œuvre par quelqu’un ayant surmonté les bas instincts.
Nous avons aussi droit à quelques poncifs d’usage courant comme celui de l’apprentissage du latin et du grec qui permet de « mémoriser des mots compliqués » et assure ainsi la réussite dans les études de médecine d’un jeune issu « d’un lycée boiteux de la région parisienne ». Les langues anciennes au secours des banlieues, seul un grand génie méprisant pouvait y penser !
Quel rapport y a-t-il entre tout cela et la grammaire, demanderez-vous ? Aucun, sinon la prétention sans borne de l’auteur à embrasser et rendre compte de l’humanité tout entière et dans (presque) toutes ses manifestations depuis la Préhistoire jusqu’aux usages du réseau Internet. A chaque fois, en quelques courts paragraphes, Patrick Rimbaud nous livre ses conclusions définitives, univoques et sans appels, basées sur le-monde-de-quand-j’étais-petit.
Vous l’aurez compris, dans ce livre, il est très peu parlé de grammaire. Seulement quatre chapitres sur huit y sont plus ou moins consacrés, mais on y apprend des choses révolutionnaires : la phrase simple type est composée d’un sujet, d’un verbe, d’un complément. Le verbe est très important, on peut le mettre à une forme du passé, au présent ou au futur, il y a des modes permettant soit d’affirmer soit de supposer, de douter, d’insinuer, bla-bla-bla-bla.
Comme partout ailleurs, l’auteur ne peut s’empêcher les digressions. D’abord il mélange allègrement grammaire de base avec conseils d’écriture littéraire en convoquant Anatole France, George Sand et Alfred de Musset (rappelons tout de même que l’âge de son « interlocuteur » correspond à la classe de CE1). Puis dans un passage sur les propositions subordonnées, on constate alors que la hiérarchisation sociale de l’auteur (même s’il fait dire la chose par l’enfant) est d’une limpidité grammaticale, chacun est à sa juste place : « La maîtresse à l’école elle est plus principale que le surveillant qu’est plus principal que monsieur Antoine en blouse grise qui balaie la cour quand y a des feuilles ou des papiers de goûters. »
Bref, gageons que ceux qui voulaient apprendre la grammaire aient refermé le livre avant d’en arriver aux rares chapitres traitant du sujet - et on pourra avantageusement leur conseiller quelque ouvrage spécialisé, comme le Bescherelle, grâce auquel ils auraient gagné un temps considérable - ; quant aux autres, croyant n’avoir jamais vu de chevilles aussi enflées que celles de Patrick Rambaud, il ne seront pas forcément rassurés d’apprendre que ce dernier « a longtemps édité des parodies pour se moquer des écrivains à falbalas, prétentieux, vides ou boursouflés (...) ».
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(1) Les bonnes feuilles ont été publiées dans un numéro de janvier 2008 du journal Le Point. Le journal titrait « La cour : le sarkozysme est-il une monarchie ? » et proposait une série d’articles constituant une apparente satire du nouveau pouvoir. La satire était en fait un éloge déguisé.
(2) « When we grew up and went to school
There were certain teachers
Who would hurt the children any way they could
By pouring their derision upon anything we did
Exposing every weakness
However carefully hidden by the kids (...) »
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