Une histoire de faussaire...

Dans un monde où tout est faux, où l'artifice devient la règle, où une sophistication clinquante s'impose partout, Georges Brassens nous régale d'une chanson où il dénonce le règne des objets, du matérialisme, et du tape-à-l'oeil...
Le texte s'ouvre sur la vision d'une "ferme" dans laquelle le "faux" semble une évidence, comme si nos sociétés cultivaient tout ce qui est factice.
Cette ferme qui "se découpe sur champ d'azur" paraît déjà illusoire, à travers ce fond bleu idéalisé...
"Chaume synthétique, faux buis, faux puits...", le décor accumule des éléments où le naturel n'a plus sa place...
Dans une vision cinématographique, nous découvrons la ferme progressivement, en même temps que le narrateur : après une vision globale, nous percevons, ensuite, toutes sortes de détails, et nous avons ainsi l'impression d'une proximité avec le poète...
Puis, apparaît "la maîtresse de céans" dont le vêtement s'accorde parfaitement avec le décor, puisqu'elle arbore une tenue de "fermière de comédie".
Tout est feint, comme dans une pièce de théâtre, une comédie, et les périphrases viennent souligner cet aspect surfait et suranné.
Dès lors, le poète paraît complètement décalé, lui qui se présente, dans toute sa simplicité, avec "un petit bouquet" fade et terne, devant les "massifs de fausses fleurs", aux couleurs éclatantes.
Après avoir foulé "le faux gazon", le narrateur qui parle à la première personne, dans une sorte de confidence, est invité à rentrer dans la maison... Et, là encore, le décor se caractérise par nombre d'éléments factices : " Un genre de feu sans fumée,
un faux buffet Henri II, La bibliothèque en faux bois, Faux bouquins achetés au poids, Faux Aubusson, fausses armures, Faux tableaux de maîtres au mur..."
L'adjectif "faux" revient comme un leit-motiv, en début de vers, soulignant l'omniprésence de l'artifice...
De plus, les objets se multiplient dans une énumération dénonciatrice de mots souvent au pluriel : on entrevoit un monde envahi par le matérialisme...
Même les livres semblent faire partie du décor, et ne sont sûrement pas destinés à être lus, ils perdent leur fonction essentielle, ils ne sont plus outils de culture et de connaissances.
A nouveau, la fermière apparaît affublée de parures diverses qui relèvent de l'imposture :
"Fausses perles et faux bijoux
Faux grains de beauté sur les joues,
Faux ongles au bout des menottes..."
Et même le piano semble factice, puisqu'il joue des "fausses notes"...
Le comportement de la dame qui enlève "ses fausses dentelles" est, également, dénuée de sincérité : elle feint la pudeur, et n'hésite pas à mentir, jouant le rôle d'une vierge, tout en dévoilant ses appâts, attitudes totalement contradictoires.
Le vocabulaire de la fausseté se diversifie : "faux, simulateurs, artificiels", comme pour souligner une propagation des mensonges et de l'artifice...
En contraste, on voit apparaître la sincérité des sentiments éprouvés par le poète : "La seule chose un peu sincère Dans cette histoire de faussaire... C'est mon penchant pour elle".
Georges Brassens laisse entrevoir, aussi, une sorte de déception sentimentale, quand la dame se laisse séduire finalement par un autre, "un vrai marquis de Carabas", allusion à un personnage du Chat botté, archétype de l'imposteur qui emprunte un faux titre de noblesse...
Brassens oppose, ainsi, habilement ses sentiments à ce monde matérialiste et factice qu'il vient d'évoquer.
Face à cet univers factice dans lequel nous vivons souvent, ce qui importe vraiment, l'essence de la vie, ce sont les sentiments que nous éprouvons... voilà le message que nous délivre ici le poète.
Convoquant Cupidon, Vénus, des dieux antiques, Brassens ironise sur le mauvais tour qu'ils lui ont joué... "Faux jeton, faux témoin", des expressions familières sont utilisées pour les désigner, avec humour.
Et la chanson s'achève sur une note d'authenticité, de tendresse, et d'humour, encore : le poète nous confie le vrai bonheur qu'il a, malgré tout, ressenti en séduisant la dame.
On retrouve dans ce texte tout l'univers de Georges Brassens : culture, références littéraires, mytholgie, jeux de mots, expressions familières, tendresse, dérision...
On retrouve une simplicité, une modestie, un refus de l'artifice, un besoin de sincérité, toutes ces qualités qui ont tendance à s'effacer dans un monde voué à la modernité. Brassens, lui, nous rappelle qu'il faut privilégier l'essentiel : la vérité des sentiments.
Quant à la mélodie, elle nous entraîne avec légèreté dans cette ferme de pacotille, où le poète ne se sent guère à sa place et semble comme happé par un vertige d'objets.
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2016/04/dans-cette-histoire-de-faussaire.html
Vidéo :
Le texte :
http://www.brassens-cahierdechanson.fr/OEUVRES/CHANSONS/faussaire.html
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