Une ode à la liberté
Le 18 juin à 20 heures précises débutera dans le théâtre de verdure de Matten (Canton de Berne) la première des 21 représentations* de la saison 2009 du « Wilhelm Tell » de Friedrich von Schiller. Organisé chaque année depuis 1912, ce spectacle est joué par des habitants d’Interlaken et des communes environnantes où ils sont employés, commerçants, artisans ou collégiens. Des amateurs par conséquent, mais surtout des acteurs et des figurants épatants car particulièrement motivés. Ce n’est en effet pas une simple pièce de théâtre qu’ils jouent, mais la fondation de la Confédération Helvétique qu’ils commémorent à leur manière lors de chacune des représentations...
Tout le monde connaît, peu ou prou, la légende de Guillaume Tell, condamné par le bailli de Küssnacht, Hermann Gessler, à atteindre d’un trait d’arbalète une pomme placée sur la tête de son fils Walter pour avoir refusé de saluer sur la place d’Altdorf (chef-lieu du canton d’Uri) le chapeau symbolisant la domination de l’empereur d’Autriche, Rodolphe 1er de Habsbourg, sur les états forestiers (Waldstätten) jusque là autonomes. Le jour-dit, Tell, contraint par la soldatesque autrichienne, se soumet à cette exigence et transperce la pomme d’un tir magistral. Mais Gessler se rend compte que l’arbalétrier a dissimulé un deuxième carreau. Questionné, le tireur avoue que ce carreau était destiné à tuer le bailli si par malheur Walter avait été atteint. Saisi par les Autrichiens, Tell est emmené en bateau pour être emprisonné au château de Küssnacht. Mais une tempête se lève sur le lac des Quatre-Cantons et Tell, libéré de ses chaînes par les Autrichiens pour sortir le bateau de la tourmente, parvient à s’échapper puis à tuer Gessler auquel il a tendu une embuscade. Le soulèvement des Waldstätten peut commencer…
C’est cette histoire, bâtie comme de nombreux autres récits épiques sur la cristallisation de faits réels et de mythes, que raconte un Schiller rongé par la maladie dans sa célèbre pièce en mêlant la légende de Tell à la réalité de la révolte contre l’envahisseur autrichien, symbolisée par l’acte fondateur de la Confédération helvétique : le serment du 1er août 1291. Ce jour-là, sur la prairie du Rütli au bord du lac des Quatre-Cantons, des représentants des cantons d’Uri, Schwyz et Unterwalden se réunissent et, par l’intermédiaire de leurs chefs Walter Fürst, Werner Stauffacher et Arnold de Melchtal, prennent, entre autres engagements, celui « de s’assister mutuellement et de se porter secours envers quiconque tenterait de leur faire violence et de porter atteinte à leurs personnes ou à leurs biens. »**
Habités d’un devoir de mémoire
Dès sa création à Weimar en 1804, la pièce a connu un succès qui ne s’est jamais démenti et qui, tout naturellement, s’est perpétué en Suisse où elle fait désormais figure de monument national bien qu’elle ait été écrite par un Allemand. Son bicentenaire a même donné lieu en 2004 à Schwyz à une représentation exceptionnelle sur la prairie historique du Rütli par la troupe du Théâtre national allemand de Weimar, venue tout spécialement de Thuringe. Mais cet évènement mis à part, le grand moment reste, année après année, le « Tellfreilichtspiele » d’Interlaken que l’on vient voir de très loin, parfois même des antipodes ! Il est vrai que le thème de la liberté est universel.
L’action se passe sur une vaste scène en plein air adossée aux contreforts boisés du mont Rugen. Sur fond de forêt se dressent des maisons médiévales en bois et les murs imposants d’un château en construction. Le spectacle débute par le retour du bétail, descendu de l’alpage. Conduits par les vachers et les chevriers, les animaux traversent la scène au son des clarines, sous les yeux et les clameurs joyeuses des villageois et de leurs enfants. Suivront peu après les chevaux de Gessler et de ses hommes, venus ficher en haut d’un mât le chapeau de l’humiliation…
Ce spectacle, nous l’avons vu deux fois à plusieurs années d’intervalle, mon épouse et moi ; et nous sommes sortis enthousiasmés de chacune des représentations, bien que n’étant pas germanophones. Car au-delà d’une simple pièce de théâtre, c’est une véritable ode à la liberté, colorée, foisonnante, intelligente et superbement interprétée, qui est célébrée année après année par les 170 habitants d’Interlaken présents sur la scène et habités d’un devoir de mémoire sincère et communicatif. Quant aux spectateurs, pas de souci pour eux : si la vaste scène de verdure est exposée aux intempéries, les 2300 places assises sont toutes couvertes, confortables et offrent une vue parfaite sur le village médiéval. Les lumières des tribunes ne sont pas encore éteintes que déjà résonnent les clarines du bétail sur les pentes du Rugen…
La liberté n’est jamais acquise
Le plus étonnant dans le personnage de Guillaume Tell tient sans doute au fait qu’il ait été élevé, bien que très probablement imaginaire, au rang de champion de la liberté dans notre monde occidental (y compris par les révolutionnaires français, russes et espagnols) au côté de figures aussi puissantes et charismatiques que Jeanne d’Arc, Robert Bruce ou George Washington. Sans doute parce que Tell constitue un archétype de ce héros dont nous rêvons tous, à la fois rebelle et juste, déterminé et intuitif, prêt à offrir sa vie pour sa liberté et celle des siens sans la moindre arrière-pensée. Bref, un héros de la force tranquille, au service de la paix et de la tolérance, dont l’image reste toujours d’actualité.
À cet égard, je laisserai le mot de la fin au conseiller fédéral Christoph Blocher en citant cet extrait du discours qu’il a prononcé lors de la Fête nationale 2004 en référence au 200e anniversaire de la pièce : « La liberté – que ce soit en 1291, en 1804, ou de nos jours – n’est jamais acquise, il faut la reconquérir sans cesse. Qu’il soit mené par des hommes aussi sages et éclairés que le vieux baron d’Attinghausen dans le drame de Schiller, ou aussi rebelles que Guillaume Tell, le combat pour la liberté est un constant recommencement. »
Une vérité que nous devons tous, prenant exemple sur M. Blocher, méditer jour après jour, sans jamais relâcher notre vigilance !
* Quatre d’entre elles, au début et à la fin du cycle, sont réservées au public scolaire.
** Extrait du pacte de 1291 conservé aux archives de Schwyz.
Liens :
Extrait du spectacle (Apfelschuss)
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