Val Paradis/Alain Jaubert

Il y a d’abord la plume, qu’on découvre avec un étonnement qui se mue vite en un enthousiasme séduit. « Oui, c’était toujours la nuit sur l’océan noir et vide, vent léger, sud sud-ouest, pleine lune, odeurs fortes, algues, goudron, mazout, fer rouillé, poisson, un saxo gémissant pas très loin, et j’étais débout, mouillé, grelottant dans la tiédeur de l’été, au bord du quai, appuyé des deux mains à la coque rouillée d’un liberty chilien vide(...) » Un rythme surprenant, chaloupé, comme la démarche de ces marins qu’Alain Jaubert décrit avec une affection particulière et où l’on décèle son amour profond de la mer, des bateaux, du monde maritime.
400 pages d’une richesse sensuelle qui racontent une longue nuit d’escale à Valparaiso, port de tous les plaisirs, de tous les dérapages. Créateur et réalisateur de la série « Palettes », (une cinquantaine de fictions courtes qui décortiquent les tableaux de Fragonard, Bacon ou Poussin sur la chaîne Arte depuis 1989), Alain Jaubert a été journaliste scientifique au Nouvel Observateur, chroniqueur musical et enseignant, avant d’embarquer dans l’aventure d’un premier roman qui respire l’appel du large. Deux ans de service militaire dans la marine ont certainement dû servir de toile de fond pour ce livre qui, selon son auteur, « n’est pas autobiographique mais où tout est vrai. » Cela faisait des années qu’Alain Jaubert écrivait des nouvelles, des fragments d’un roman, sans jamais aboutir à quelque chose de fini. Val Paradis est né du fait qu’il disposait, la soixantaine venue, d’un peu plus de temps.
Puisant dans des nouvelles écrites il y a 20 ans, Alain Jaubert révèle dans ce roman l’amitié entre deux jeunes marins, Roger et Antoine, embarqués sur le même navire, et faisant escale dans un port mythique. L’action se déroule dans les années 50, lors d’une seule nuit : nuit de folie, de « cuite » légendaire, de confidences, de rencontres, d’agapes et de ripailles. Nuit calorifère où deux jeunes hommes s’en donnent à cœur joie et savourent un festin inoubliable. Alain Jaubert sait aussi magnifiquement parler des arts de la table, et sa description d’un oursin en bouche affole les papilles gustatives du lecteur. Nuit nébuleuse, nuit sans fin où les sens basculent, où la frontière entre vérité et artifice est insaisissable, où le lever du jour parait impossible. Valparaiso, avec son labyrinthe de ruelles sombres envahies d’odeurs puissantes, ses femmes de petite vertu, ses bars crasseux, devient un personnage à part entière, bruissant d’un plaisir brutal et de périls inconnus.
Un roman à déguster comme un vieux rhum au coin du feu, un épais livre dans la lignée de Melville et de Conrad, et qui montre dans la même trame le paradis et l’enfer, la vie et la mort, le plaisir et la douleur. Alain Jaubert dévoile l’envers du décor, sans jugement moralisateur, sans cliché manichéen. On attend donc le prochain opus de ce touche-à-tout qui a séduit des milliers de lecteurs depuis la sortie de Val Paradis en septembre dernier.
(éd. Gallimard)
Tatiana de Rosnay
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