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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Vive « La France » !

Vive « La France » !

Le pitch est simple : durant la guerre de 14-18, une femme (Sylvie Testud) travestie en homme dans l’espoir de rejoindre son mari sur le front (joué brièvement par Guillaume Depardieu), fait un bout de chemin avec une troupe de soldats. Voilà un film frontal, singulier, insolite, limite incongru (dans le bon sens du terme) et qui sort vraiment des sentiers battus. Juste un petit reproche : le film part de la convention qu’il est crédible que Testud (Camille) passe pour être un jeune homme aux yeux des soldats, alors OK, ça passe car, on l’aura remarqué, Sylvie Testud n’a pas la plastique hautement féminine style bimbo d’une Monica Bellucci ou d’une Adriana Karembeu (!), pour autant on aurait aimé que, dans ce film ô combien subtil et évanescent, certains personnages doutent davantage de son identité sexuelle. Ce n’est pas le cas sauf lorsque le lieutenant - semblant deviner dès le début le mensonge sexuel de Camille (prénom mixte, masculin/féminin) - s’étonne à raison qu’il (elle) n’ait pas de barbe qui pousse et également lorsque les soldats pieds nickelés découvrent in fine le subterfuge via la découverte de l’identité sexuelle de Camille par un simple d’esprit (un redneck). Avant cela, ils la prenaient un peu trop naïvement, je trouve, pour un jeune homme rimbaldien de 17 ans de 14-18.

C’est triste parfois de lire une critique de film et de voir que l’auteur passe complètement à côté d’un film en soi « décalé », à l’aise dans sa marge assumée. Lu dans Positif n° 561, page 60, à propos de La France : « (...) Serge Bozon (...) en fait des tonnes dans le rejet de la reconstitution historique, la théâtralisation des dialogues et des situations. (...) Si l’effort ne se solde pas par une catastrophe, c’est grâce à Sylvie Testud qui traverse en fantôme effaré sa propre histoire et au scénario d’Axelle Ropert qui prend parfois le dessus. (...) Faute de voir la guerre, la France, ou juste un film, le spectateur verra dans chaque plan ses ficelles, bonnes et mauvaises.  » (Eric Dérobert). Mais, quelle mauvaise critique has been pleine de ficelles et de trous ! M’enfin, on s’en fout de voir la guerre ou la France, vues et revues à satiété au cinéma. Mazette, on n’est pas dans une conférence style Connaissance du monde ! Effectivement, le côté reconstitution historique est à redouter au ciné. Avec Bozon, cependant, de bonnes intentions cinéphiliques peuvent donner, ici, un bon film. Ainsi, on évite à la fois une posture passéiste ripolinée (de type Amélie Poulain) et une simple relecture plan-plan d’un cinéma hollywoodien mythique. Sinon, ça peut donner récemment, dans ce genre-là (copier-coller), L’Ennemi intime : on illustre plutôt qu’on ne montre, dans sa dimension « éthique » et plastique, la guerre - d’Algérie et autres. L’imaginaire d’Epinal des poilus, façon l’imagier-artificier Jeunet et son Long dimanche de fiançailles, peut virer atrocement vers le côté boutique d’antiquaire poussiéreuse. Fort heureusement, Bozon décide de ne pas radoter. On s’attend à un film de guerre sur 14-18, façon le film blockbusterisé de Jeunet, La Vie et rien d’autre et Capitaine Conan de Tavernier ou encore La Chambre des officiers de Dupeyron, mais non, c’est un film de guerre (non-conventionnel) qui botte bientôt en touche, même si l’on sent la violence, notamment pour une question de survie, poindre par moments - cette montée secrète de la violence nous rappelant inéluctablement qu’il s’agit bien d’un contexte guerrier où la nature humaine laisse parler sa "sauvagerie". Je pense en particulier à la fin du film, lorsque les déserteurs, réfugiés dans le grenier d’une ferme de paysans, voient la mort frapper en ayant à se coltiner des espèces de rednecks pas piqués des hannetons.

Bozon ne surligne jamais son décor film de guerre. Il est le plus souvent dans la nature (roseaux, arbres, brouillard, rivière, etc.). Ce film se passe presque exclusivement en extérieur, le côté reconstitution-bonbonnière étant ainsi au maximum écarté via un minimalisme pleinement assumé de la guerre en actions (quelques chevaux, des bruits sourds de bombes, un ou deux éclairs dans le ciel). Ce n’est pas un film de guerre (Canada Dry). Ou plutôt c’est ça, on est dans le registre film de guerre (car on peut penser, de manière séminale, à Objectif Burma de Walsh, aux Maraudeurs attaquent, Steel Helmet et Fixed Baionnets de Fuller ou encore à They were expandable de Ford), mais c’est aussi autre chose, et c’est cela qui est intéressant justement, il maintient ses zones de flou, son tempo brinquebalant et ses temps oniriques, via un traitement bleu-nuit et un côté pré-symboliste qui rappellent les peintures crépusculaires de William Degouve de Nuncques (Orsay). La France, titre simple, mi-accrocheur, mi-provocateur, est un film de guerre où, via une France Tour Détour, la question de la France se pose inéluctablement (ça vient du genre même, le film dit « historique  »). L’extérieur, ici, c’est le paysage de la France. On a un jeu habile entre la France - pays que l’on défend - et la France - pays que l’on traverse. C’est un film tout en subtilités, en glissements et en collages bruts de décoffrage. Un film-collage fait de digressions, d’ellipses et de lignes qui bougent. Dans le dernier Bozon, on passe sans solution de continuité apparente de 1917 à 1967, comme dans un JLG visionnaire jouant sur les fulgurances poétiques. On pense aussi à Un brave garçon de Boris Barnett, film sublime où les personnages se mettent à chanter de l’opéra. On a des ruptures de ton que l’on ne trouve pas dans les films de Walsh ou de Fuller. Tel un « cinéma de la tangente », ce film de guerre signé Barnett (Seconde Guerre mondiale comme lame de fond) est aussi, dans ses lignes de fuite, une comédie, un musical - les ruptures de ton y sont légion, et dans le Bozon aussi. La France est un film-musical, un film-trip à concevoir quasiment comme une installation ou un dispositif sonore, mi-conceptuel, mi-tripes. On suit ces soldats en perdition comme un groupe de musiciens carrément à l’Ouest, vivant leurs Last Days. En même temps, même si la mort rôde, ce n’est pas un film mortifère. Malgré un désenchantement généralisé, il y a un désir de vivre malgré tout - la vie et rien d’autre.

De ce film, je me souviens d’une ambiance, d’une "tessiture" de l’image, des voix et, bien entendu, au-delà de la qualité d’interprétation du lieutenant taciturne joué par le "sec" et musculeux Pascal Greggory et du petit bout de femme obstinée jouée par une Sylvie Testud dont l’air buté est tout un poème, je me suis surpris à aimer ce film plus encore dans le souvenir qu’il me laisse que pendant son visionnage-même. J’ai en mémoire cette troupe de militaires se bal(l)adant dans des contrées françaises et ne rencontrant que rarement leurs adversaires : les Allemands. Ils sont, semble-t-il, dans leur propre stase spatio-temporelle. Ils forment une escouade semblant en freetime, voire en freestyle - leur tenue, pour certains, laissant à désirer. Certes, ils poursuivent une mission, ils se doivent de tracer leur chemin et d’atteindre tel ou tel poste-clé et, en même temps, ils prennent le temps d’être entre hommes et de prendre la pose en pleine cambrousse pour pousser de temps en temps la chansonnette. Alors, on s’attendrait à des textes d’antan, au parfum suranné de la guerre 14-18 et tout le toutim, mais il n’en est rien. Exit la France en chaussons style Pascal Sevran, voici la France en chansons relax, c’est mieux ! Il s’agit d’une pop frenchy héritée des années 60 - d’un côté la pop-sik (anglaise) de 67 (notamment John Pantry, les compils Rubble, Circus Days, etc.) et de l’autre, la Sunshine pop californienne, type Beach Boys post-Pet Sounds. Oui, pour simplifier, c’est un peu comme si les fameux quatre garçons dans le vent s’étaient infiltrés dans l’armée française et qu’ils en profitaient pour taper un boeuf de temps en temps au clair de lune. Les Fab Four dans la mélasse guerrière, yeah ! Ce sont souvent, le genre l’impose, des chansons d’amour, et en l’occurrence, bizarrement, du seul point de vue féminin. Alors qu’on s’attendrait à une escouade intrépide défilant sous les assauts frénétiques des balles sifflantes façon Il faut sauver le soldat Ryan & consorts, on assiste davantage non pas à des morceaux de bravoure tonitruants, mais à des bulles de temps suspendu, flottant. Voilà des soldats qui se savent peut-être déjà morts ou en tout cas en sursis, alors ils trouvent un bon mix sous forme de parenthèse enchantée de comédie musicale. Allez les Bleus, ou plutôt les Gris ! On assiste alors à des plages musicales qui fonctionnent comme des « pastilles » pop déboulant sans crier gare, défilant sans réelle logique conventionnelle. Ces chansons, arrivant comme un cheveu sur la soupe des troufions, viennent "se greffer" naturellement au récit de la guerre comme merdier. Nos lutins, parfois perchés dans leurs arbres, sortent tout de go leur barda, à savoir une camelote de musiciens du dimanche pour chanter, à Demy, dans la forêt. Voilà des troubadours de grands chemins, des chansonniers on the road again qui choisissent de chanter à tue-tête dans la forêt plutôt que de faire la guerre coûte que coûte et de manière tranchée, allant même jusqu’à s’inscrire au rayon des abonnés absents puisqu’à la fin du film ils rejoignent le rang honni - des villageois veulent les dénoncer aux autorités - des déserteurs.

Oui, voilà bien une équipée attachante qui n’a rien de sauvage, elle est plutôt mélancolique, voire mélancomique à certains moments. La France, c’est une sorte de film-greffe qui ne s’interdit aucunement de prendre certains chemins de traverse et qui propose une belle incarnation en images et en sons d’un titre illustre d’un ouvrage d’Allan Kaprow, l’un des pionniers américains des happenings libertaires des années 60 : l’art et la vie confondus. On assiste non seulement à une confusion des genres (Sylvie Testud se fait passer pour un garçon afin de pouvoir rester dans cette équipée d’hommes), mais aussi à une confusion des genres, des codes et des clichés du cinéma. C’est un film de guerre et un film musical, un film d’aventure et un film d’amour. C’est un film historique (il y a le respect des armes et des uniformes de l’armée française de 14-18) et un film anachronique qui s’affiche comme tel. Il ne cache pas son je(u) de re-constitution historique, il ne cherche aucunement à être dans le vérisme absolu façon les chromos et autres cartes postales vintage d’antan. Ce film choral n’est pas dans l’illustration, dans le littéral, il est plutôt dans une expressivité plastique et musicale qui, en affirmant son côté simplissime de film de tranchées chanté, et non tranché, laisse libre cours aux coeurs et aux choeurs des hommes enfouis sous des tonnes de douleurs XXL. C’est ça le film, c’est "ça la France" pourraient chanter Marc Lavoine et Serge Bozon en chœur (!), à savoir des soldats qui n’oublient pas, malgré le contexte guerrier brut de décoffrage, qu’ils n’en sont pas moins des hommes avec leur humanité, ni plus ni moins. On est dans l’humain trop humain via cette escouade de soldats enchantés. Il s’agit de retrouver l’humain tapi, enfoui, retranché derrière la machine de guerre, et de voir l’art comme un échappement libre nous permettant de faire la part belle à la beauté des sentiments, sans crouler sous le poids de la finitude humaine et de ses turpitudes. Et les instruments de fortune de ces soldats, faits de bric et de broc, ressemblent fort à leurs corps amochés et à leurs cœurs cabossés. Ils sont faits de matériaux de récupération : casques, cordes métalliques, bouts de bois, seaux à charbon, casseroles, boîtes de conserve, etc. Ca donne par exemple la guitare « charbonnière », le « choucroutophone » (sic), le violon carré (fait avec une boîte de cigares !) ou encore l’épinette des Vosges. Avec cela, ils partent loin, ils rejoignent un eldorado mythique à leurs yeux - à savoir l’Atlantide, un lieu où l’on espère que « les esprits sont petits, pas étroits », un pays où il y a ni orphelins ni malheureux. Oui, ce sont des poètes à leurs heures perdues, donc... essentielles.

« Faites la paix, pas la guerre », pourrait-on se mettre à chanter, mais La France n’est pas à ce point-là candide. Certes, ce film s’inscrit dans la pop fleurie des années 60, mais il ne s’agit pas pour autant de faire un Hair, au parfum post-soixante-huitard de Flower Power, au sein-même de la guerre des tranchées ! Il s’agit plutôt pour Bozon de jouer sur la mixité des genres, tous genres confondus, identitaires, sexuels et "artistiques". Il est tour à tour frontal et aérien, tour à tour brut de décoffrage et poétique. C’est un film pop non tranchant sur la guerre des tranchées. D’entrée, Bozon ne cherche pas à faire un Soldat Ryan ou un Platoon à la française, il s’agit pour lui de prendre délibérément la tangente. D’ailleurs, loin de toute blockbusterisation tous azimuts, il n’est pas sûr qu’en prenant ainsi davantage de détours, de travestissements et d’indécisions sexuelles ou "artistiques", Serge Bozon ne parvienne pas mieux à rendre, via son less is more minimaliste, l’urgence de l’humain et des sentiments dans le chaos pour-la-mort qu’est toute guerre. Chers lecteurs AgoraVox, allez voir ce film, il ne marche pas trop, voire pas du tout - il n’a fait que 6 000 malheureuses entrées en salles en première semaine -, pourtant il vaut largement le détour en ouvrant des sentiers d’infinies libertés.

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Vive « La France » ! Vive « La France » ! Vive « La France » !

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7 réactions à cet article    


  • tvargentine.com lerma 26 décembre 2007 10:42

    Franchement vous ne semblez pas connaitre le prix d’une place de ciné ??????

    Nous allons au cinéma pour oublier la grisaille de la vie quotidienne et pour rêver.

    D’ailleurs,le film Disney « Il était une fois » est un tres beau film à aller voir pout tout ages car il permet de faire rêver !

    Entre un film nul subventionné par l’argent du contribuable pour enrichir une minorité de mauvais comédiens ,de mauvais réalisateurs et de mauvais distributeurs de films français et un film américain qui me fait rêver ,mon choix est fait


    • Terran 26 décembre 2007 11:30

      Tu devrais aller voir Idiocraty.

      A défaut de rêver, tu pourras toujours te mirer. smiley


    • Celtitudebe 26 décembre 2007 13:46

      Lerma tu es d un conformisme navrant.. :/ A croire que tu le fais expres, au fil des posts...


      • jak2pad 26 décembre 2007 18:31

        dans le paysage d’extrème misère, de triste indigence offert par le cinéma français,capté(comme on capte un héritage) par quelques familles autour desquelles gravitent quelques groupes de copains,assez sans talent dans l’ensemble, il est certain qu’un film différent serait le bienvenu.... ce serait même une sorte d’OVNI, ou peut-être de ...Messie ?

        Las, le film en question est encore du même tonneau, toujours ce manque de talent, cette esbrouffe qui vous laisse incrédule : est-elle voulue ?est-ce une provoc ?

        Personne n’y va, alors un bon copain se dévoue et fait la promo ( à charge de retour d’ascenseur, j’espère...)

        Je vais arrêter définitivement d’aller voir un quelconque film français, c’est jeter son argent ans le caniveau, mes chers.

        Bien à vous, et tous mes voeux pour 2008, qui ne sera pas l’année de la renaissance du cinéma français, il n’y a aucune raison, aucune !


        • brieli67 27 décembre 2007 09:10

          Vive « La France » !

          Le pitch est simple

          désolé ne puis lire plus loin

          Vive « La France » ! qui dit ça Noel 2007 ?

          Et ton P I T C H je connais pas ce mot ......

          alors lire plus loin. C’est pour la Troupe LERMA aux baillots pas nets...

          qu’ en dit Henriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ?


          • Juliette Goffart 27 décembre 2007 20:24

            Refuser de lire un article aussi bien écrit en raison d’un mot... Ridicule !

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