Voilà : Tic sans tact
Le langage évolue sans arrêt. Cela exprime toujours un changement social. En France, certains se scandalisent de l’abandon du grec et du latin sans en connaître un traître mot. Les accents circonflexes qui permettaient de mieux prononcer les mots français ont disparu. Sans arrêt, il faut reconnaitre le traitre dans le fil des mots courants. En entrevue médiatique, le mot le plus prononcé en France aujourd’hui est voilà. Personne ne sait pourquoi.
Ce voilà ne veut rien dire dans une phrase française. C’est un dire sans le vouloir. La connotation se rapporte à un paquet déposé sur votre palier par le postier. En vous le montrant, il dit voilà.
Un chauffeur de taxi américain a inauguré cette blague en déposant un passager à destination afin de mimer le style ampoulé de la royauté des Bourbons. La voiture stoppe, le chauffeur s’amuse et ouvre la porte avec une main quémandeuse : Voilà. La main ouverte attend le pourboire. Le passager doit voir qu’il faut le déposer là. Vois, là !
Il suffit d’écouter quelques minutes une entrevue d’une personne qui veut s’affirmer à la télé et surtout à la radio. C’est un enchaînement de voilà…voilà…voilà. Accent grave oblige pour le style emphatique. Mais l’américanisation du mot est en train de le faire disparaître. Sa voix alors se voila comme une roue de vélo.
Comme l’anglais est devenu la langue sacrée des médias, comme autrefois le latin était celle de la messe, la confusion suit les chemins fourchus de la linguistique.
Alors que le français et l’italien sont les deux langues filles du latin, les deux pays ne se comprennent plus qu’à travers l’anglais. Et voilà devient une exclamation comme Ecco ! L’une se dote de la vantardise rapide du prestidigitateur de province, l’autre de la résignation lente du vieux philosophe de café.
En tout cas, est l’expression d’une situation qui traduit l’américain Anyway qui recouvre aussi en tous cas, de type exhaustif. Elle suit ou précède la conclusion d’un journaliste mécontent des réponses de la personne interrogée et qui exprime chez lui la manifestation de son devoir accompli malgré son piètre résultat. Voilà !
Il est à noter que le voilà des entrevues, audible à radio, disparaît dans les retranscriptions…
Voilà est un grand progrès affirmatif face au n’est-ce pas (?), si peu interrogatif, de nos grands parents académiques. Cette interrogation ancienne exprimait un soupçon de tact avec un doute implicite sur sa propre parole. Le voilà affirme une bonne conscience sans réplique. Un tic sans tact.
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