Voyage musical chez les troubadours...
D'après une conférence musicale de Marc Simon... UN VOYAGE MUSICAL CHEZ LES TROUBADOURS... un beau voyage en poésie chantée... une poésie qui fera des émules en Europe et ailleurs dans les siècles suivants...
"Au XIème siècle, alors que les campagnes françaises sont régulièrement ravagées par les guerres seigneuriales, l’église tente de pacifier la société féodale en instaurant « La Paix de Dieu », interdisant de se battre les jours de fêtes religieuses, puis le dimanche, puis, du mercredi soir au lundi matin ! Les seigneurs se voient donc contraints à une oisiveté qu’ils vont tenter de combattre de maintes façons.
Au sud de la France actuelle, quelques-uns de ces nobles s’essaient à l’art, et notamment à la musique. Ainsi, apparaissent les troubadours, à la fois poètes et musiciens qui écrivent en langue d’Oc. Contrairement aux idées reçues, ils se déplacent rarement de château en château ou de place en place. Ce rôle est plutôt dévolu aux « jugleurs » ou jongleurs, véritables amuseurs qui reprennent les chansons des troubadours et les font connaitre partout où ils passent.
Parmi ces artistes, on compte aussi des femmes, que l’on appelle les trobairitz.
Les chansons relatent les exploits des chevaliers, mais surtout célèbrent l’amour courtois qui prône les valeurs de respect, de sincérité et de dévouement absolus pour son ou sa partenaire. Il s’agit souvent d’un amour impossible, d’une dame inaccessible, de la douleur face à l’indifférence de l’être aimé…"
Les troubadours sont des artistes qui ont influencé durablement de nombreux autres artistes, alors qu'ils ont exercé leur art durant une période assez brève de la fin du XIe siècle à la fin du XIIIe...
Le premier des troubadours était un très grand seigneur, plus puissant encore que le roi : il s'appelait Guillaume d'Aquitaine, comte de Poitiers, duc d'Aquitaine et de Gascogne... Il est le premier poète connu en langue occitane.
Les troubadours étaient des artistes de toutes classes sociales, mais le plus souvent ils étaient de grands seigneurs : il fallait de préférence savoir lire et écrire, ce qui était encore réservé à une élite.
Jaufré Rudel, lui, fut surnommé "le Prince de Blaye", d'après la ville dont il était le seigneur. Il est principalement connu pour avoir le premier développé le thème de "l'amour de loin" (en ancien occitan : amor de lonh) dans ses pièces lyriques.
La plupart des "cansons" commencent par un quatrain qui évoque la nature : la nature est ainsi présentée comme souveraine, et à notre époque, nous avons hélas trop tendance à l'oublier...
"Lorsque les jours sont longs en mai, il m'est bien doux d'entendre de loin le chant des oiseaux ; et quand je m'éloigne je me souviens d'un amour lointain.
Je vais le cœur triste et la tête basse, si bien que chants ni fleur d'aubépine ne me plaisent pas plus que l'hiver glacé.
Jamais je n'aurai joie d'amour, si je n'en ai de cet amour lointain ; car je ne sais, ni près ni loin, femme plus belle ni meilleure ; son mérite est si parfait que je voudrais, pour elle, vivre dans la misère, là-bas, au royaume des Sarrasins...
Je partirai triste et content, quand j'aurai vu cet amour lointain ; mais je ne sais quand je le verrai, car nos terres sont trop lointaines ; il y a bien des défilés et bien des chemins ; je ne suis pas devin, mais que tout aille comme il plaira à Dieu."
Un poète contemporain, Marcabru, décrit Jaufré Rudel comme un musicien "oltra mar", c'est-à-dire "de l'autre côté de la mer", ce qui suggère qu'il aurait pris part à la deuxième croisade (v. 1147-1149). Il aurait accompagné Louis VII et Aliénor d'Aquitaine lors de leur expédition, et serait mort dans l'entreprise, vers 1148 ou vers 1170.
Un autre poème de Guillaume d'Aquitaine s'ouvre aussi sur une évocation de la nature :
"Grâce au printemps la douceur d'eau
Couvre les bois ; et les oiseaux
Chantent sur les feuilles en leur latin
Ils suivent les vers du nouveau chant"
On peut citer aussi ce poème de Bernard de Ventadour :
" Quand naissent l'herbe fraîche et la feuille,
Et que la fleur boutonne au verger,
Et que le rossignol haut et clair
Elève la voix et moud son chant,
Quelle joie j’ai de lui, et joie de la fleur
Et joie de moi - même et grand’ joie de ma dame,
De toute part je sens la joie qui m’entoure,
Mais de toutes joies la plus grande vient d’elle.
Hélas, comme je meurs de souci !
Et tant je suis de soucis couvert
Que larrons me pourraient enlever
Sans que me doute de ce qu’ils font.
Par Dieu, amour, tu me trouves bien esclave,
Avec peu d'amis et toi pour seul seigneur.
Pourquoi ne pas forcer le cœur de ma dame
Avant que de la désirer je ne meure ?
Merveille est pour moi de pouvoir vivre
Sans lui découvrir un tel amour.
Quand je vois la belle qui m’est chère,
Ses yeux si beaux dans son beau visage..."
Bien peu de mélodies du haut moyen-âge sont parvenues jusqu’à nous, l’écriture musicale n’ayant pas encore été inventée. La transmission des chansons se faisait uniquement à l’oral et elles subissaient immanquablement des modifications d’un siècle à l’autre. Le plus souvent le nom de l’auteur a été perdu.
Parfois, une même mélodie servait pour trois ou quatre textes différents, au gré des époques mais aussi des régions.
Et on trouve aussi tout un art de l'imagination chez les troubadours, ce qui a pu inspirer nos poètes surréalistes, avec, par exemple, ce poème de Guillaume d'Aquitaine :
"Ferai des vers de pur néant :
Ne sera de moi ni d’autres gens,
Ne sera d’amour ni de jeunesse,
Ni de rien d’autre.
Les ai trouvés en somnolant –
Sur un cheval !
Ne sais sous quelle étoile suis né.
Ne suis allègre ni irrité,
Ne suis d’ici ni d’ailleurs,
Et n’y peux rien :
Car fus de nuit ensorcelé
À la cime d’une colline.
Ne sais quand fus endormi,
Ni quand je veille si on ne me le dit.
J’ai bien failli avoir le coeur brisé
Par la douleur :
Mais m’en soucie comme d’une souris
Par saint Martial !"
Guillaume d'Aquitaine a vécu de 1071 à 1126 et 850 ans plus tard, un artiste américain, J J Cale publie en 1976 un album intitulé Troubadour avec cette chanson d'amour :
"Cherry, j'aimerais t'aimer
Cherry, tu m'aimeras aussi ?
Un jour, je t'emmènerai, c'est tout ce que je veux faire
Je t'aimerai pour toujours, Cherry ... tu m'aimeras aussi ?
Doux comme un lever de soleil du matin
Frais comme une rosée de montagne
Un jour, je t'aimerai Cherry, m'aimeras-tu aussi ?
J'ai besoin de toi pour toujours, Cherry ... tu auras besoin de moi aussi ?"
J J Cale n'est-il pas un troubadour des temps modernes ? Il a longtemps vécu dans une caravane refusant la célébrité...
En vérité, l'Eglise a toujours considéré avec une certaine méfiance les poèmes des troubadours, tout simplement parce qu'ils célébraient la passion... Cet art des troubadours a été battu en brèche par la papauté... Les troubadours ont été considérés comme des infidèles, ils se sont alors expatriés, ont essaimé dans différents pays et les clercs ont commencé à noter leurs chansons. C'est ainsi qu'elles nous sont parvenues...
Les troubadours chantent la force de l'amour qui se traduit par une adoration, mais l'amour et le plaisir charnels ne sont pas exclus.
Marc Simon nous interprète alors sa version de My Funny Valentine... une chanson d'amour comme auraient pu en écrire les troubadours...
"My Funny Valentine,
Mélancolie en fleurs,
Me fait sourire du bout du coeur
Avec tes airs tragiques
Entre rire et soupir
Tu es l'oeuvre d'art qui m'inspire
En quoi ta silhouette est-elle
De celle de Vénus moins belle
Et le dessin de ta bouche
Moins farouche
Mais pas un cheveu
Ne change rien
Et surtout si à moi tu tiens
Stay little Valentine
Le moindre de mes jours est tien..."
Certains troubadours étaient beaucoup plus modestes que Guillaume d'Aquitaine : c'est le cas de Marcabru, un homme du peuple, d'abord un jongleur, chargé de chanter les oeuvres des troubadours, puis il a porté ses propres textes.
Marcabru se caractérise par une langue très tonique, presque violente : c'était un homme de caractère qui se dressait contre l'ordre établi.
Le sirvente ou sirventès ou sirventés est un poème à caractère satirique, politique ou moral que chantaient, en langue occitane, les troubadours des XIIe et XIIIe siècles. Ces satires, qui étaient ordinairement divisées en couplets et destinées à être chantées comme les autres poèmes, s’attaquent aux princes, à la noblesse, au clergé, au Saint-Siège lui-même, en général aux personnes, aux événements, aux mœurs.
Bob Dylan a pu s'inspirer de ces chansons contestataires par exemple, avec ce célèbre texte : Blowin' in the wind, Ecoute dans le vent :
"Combien de routes un garçon doit-il emprunter
Avant que vous ne l'appeliez un homme ?
Combien de mers une colombe doit-elle survoler
Avant de s’endormir dans la sable ?
Combien de temps les canons tireront-ils
Avant d'être bannis à jamais ?
La réponse mon ami
Est soufflée par le vent
La réponse est soufflée par le vent
Combien d''années une montagne peut-elle se dresser
Avant d'être balayée par la mer ?
Combien d'années les peuples attendront-ils
Avant de pouvoir être libres ?
Combien de fois un homme peut-il détourner le regard
En prétendant qu'il ne voit pas ?
Combien de fois un homme doit-il lever les yeux
Avant qu'il puisse voir le ciel
Combien de fois un homme doit il tendre l'oreille
Avant d'entendre les gens pleurer ?
Combien de morts faudra-t-il pour qu'il réalise
Que trop de gens sont morts ?"
On connaît aussi les noms de quelques femmes troubadours :
Azalaïs de Porcairagues est une trobairitz, active dans la seconde moitié du XIIe siècle. Une seule de ses compositions a été conservée, Ar em al freg temps vengut.
L'unique source pour connaître la vie d'Azalaïs de Porcairagues est sa vida, c'est-à-dire une brève biographie occitane en prose écrite au XIIIe siècle. Selon cette vida :
« Dame Azalaïs de Porcairagues, une dame de haute noblesse et de culture, était originaire de la région de Montpellier. Elle s'éprit de sire Gui Guerrejat, le frère de sire Guillaume de Montpellier. Elle s'entendait à la poésie et composa à son propos maintes chansons de qualité. »
"Ar em al freg temps vengut,
Que ‘l gèls e’l nèus e la fanha,
E l’aucelet estàn mut,
Qu’us de chantar non s’afranha ;
E son sec li ram pels plais,
Que flors ni folha no’i nais,
Ni rossinhols non i crida
Que la en mai me reissida.
(Nous voici venus au temps froid,
Avec le gel, la neige, la boue.
Les oiseaux se sont tus,
Ils ne veulent plus chanter.
Les branches sont sèches,
Elles n’ont plus ni fleur ni feuille.
Le rossignol ne chante plus,
lui qui en mai me réveille.)"
La Comtesse Béatrice de Die a écrit, elle, des textes d'une grande modernité :
"Combien voudrais mon chevalier
Tenir un soir dans mes bras nus,
Pour lui seul, il serait comblé,
Je ferais coussin de mes hanches ;
Car je m'en suis bien plus éprise
Que ne fut
Flore de
Blanchefleur.
Mon amour et mon cour lui donne,
Mon âme, mes yeux, et ma vie.
Bel ami, si plaisant et bon,
Si vous retrouve en mon pouvoir
Et me couche avec vous un soir
Et d'amour vous donne un baiser,
Nul plaisir ne sera meilleur
Que vous, en place de mari,
Sachez-le, si vous promettez
De faire tout ce que je voudrais."
Hélas, souvent, la musique est perdue : sur les mélodies, rien n'est certain, sur le rythme, non plus. Il faut recréer quelque chose à partir de presque rien.
Les instruments, eux, sont faits à l'époque avec une grande variété de matériaux issus de la nature : cornes, os, bois...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2023/06/voyage-musical-chez-les-troubadours.html
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