Al-Quaïda sur e-Bay !
Ah les histoires d’espion, ça me fera toujours sourire. La dernière que j’ai trouvée, c’était sur une de ces formidables braderies comme il y en existe plein ici dans le Nord. A Lomme, pour tout vous dire. Le bouquin, c’était "Kim Philby et le Club des espions", de Pierre Copernik, auteur aussi d’un "L’ABCdaire de la Résistance" fort réussi et d’un "Richard Sorge, l’espion séducteur", un livre donc qui relatait l’histoire d’un bon Anglais bon teint, amateur de whisky... et espion soviétique à ces heures. L’homme fera la une de France-Soir du 3 octobre 1967, le monde venant d’apprendre qu’il espionnait l’Angleterre depuis trente-cinq ans (ça avait commencé avant la guerre !). En fait cela fait déjà quatre ans qu’il est alors réfugié à Moscou ! Et il n’était pas le seul : il faisait partie du groupe des cinq comprenant lui-même et Guy Burgess, Donald MacLean, Anthony Blunt et John Cairncross qui formaient ensemble en effet les "Magnificent Five", tous garçons de la bourgeoisie aisée, souvent homosexuels et donc détestés par la classe dominante anglaise. Sortis pour la plupart de Cambridge, ils se mirent par défi au service du KGB en alimentant à la pelle les services secrets soviétiques... car eux-mêmes faisant partie du MI6 anglais qu’ils avaient rejoint. En 1949, Philby est nommé à Washington où il retrouve McLean et Burgess, devenus diplomates : c’est très certainement grâce à eux que les Russes font sauter très tôt, et à la surprise générale leur bombe A, la RDS-1, la réplique exacte de FatMan (même son avion largeur était un clone de B-29, fabriqué à partir de ceux ayant atterri pendant la guerre en URSS !). Les Américains les soupçonnaient d’avoir transmis aux Soviétiques des informations confidentielles sur le programme nucléaire militaire secret, celui du fameux projet Manhattan en fait. Philby décédera en 1988 en Union soviétique et est depuis enterré à Moscou dans le carré des responsables du KGB. On trouve de drôles de choses parfois, d’occasion, voyez-vous. Des histoires d’espions...
En Angleterre aussi, il y a des vide-greniers. Mais depuis, c’est plutôt e-Bay, là-bas, qui a pris le dessus. Et sur e-Bay, on trouve de tout, c’est bien connu. Y compris et sans le savoir, du matériel d’espion. Ne rigolez pas : c’est exactement ce qui vient d’arriver en Angleterre à un pékin moyen, parti pour s’acheter un appareil photo sur le site d’enchère bien connu. Attendez, c’est trop bien comme histoire ! Notre client de 28 ans est originaire de Hemel Hempstead, dans le Hertfordshire. La ville est célèbre pour abriter BioRad, la firme américaine de biotechnologie, "leader dans le dépistage du sida, des hépatites et des maladies auto-immunes", nous dit Wikipedia. Désireux de partir en week-end avec sa copine, il s’enquiert un matin d’acheter un appareil photo pas trop cher. Il repère un superbe Nikon Coolpix sur e-Bay qu’il obtient sans trop ferrailler pour 17 livres seulement (21 euros !). La très bonne affaire, qui sent à plein nez le bidule volé... à ce tarif-là. Impec, l’appareil. Une rapide vérif et, hop, voilà notre bonhomme parti en goguette. De retour, il lui prend l’idée de transférer le contenu de son nouvel appareil (d’occase) dans son ordinateur. Tout se passe nickel, à part que des photos transférées, il y en a beaucoup plus qu’il n’en a faites. Et ce sont plutôt de drôles de photos : des empreintes digitales, des lance-missiles, des bazookas ; et tous les codes pour entrer dans un ordinateur indiqué Top Secret des services secrets anglais ainsi qu’un diagramme scanné de différentes cellules d’Al-Quaïda avec le nom de leurs participants... l’homme, un peu étonné mais honnête citoyen, court aussitôt au commissariat du coin... où on lui rit au nez littéralement. Comme quoi parfois quand on souhaite bien faire... "A d’autres" lui disent les policiers, pas très au courant des noms des leaders d’Al-Quaïda, visiblement.
Pas démonté pour autant, notre acheteur, persuadé d’avoir trouvé des choses intéressantes, a saisi les bureaux du MI5. A peine contacté, sa maison s’est retrouvée quasi encerclée et envahie par une meute de fonctionnaires de police de la Special Branch, qui sont repartis tout aussi vite avec son appareil photo et son ordinateur... moyennant quelque dédommagement quand même. Et une lourde insistance pour que rien ne sorte de cette récupération à la volée de données secrètes. Ce qui semblait fort les intéresser, ces policiers, c’était un dossier spécial, dans cet appareil, à propos de Abdul al-Hadi al-Iraqi, un des leaders d’Al-Quaïda paraît-il, capturé le 27 avril 2007 en Afghanistan par les Américains, alors qu’il voulait rejoindre son Irak natal (il est en fait Kurde !) et depuis expédié à Guantanamo. L’expédition avait été faite trois mois après que le gouvernement américain eut annoncé qu’il n’y avait plus personne dans les geôles de la CIA... Selon la CIA, justement, Abdul al-Hadi al-Iraqi aurait projeté d’assassiner Pervez Musharraf... l’homme avait passé auparavant quinze ans à entraîner des troupes... contre les Russes, avec un armement... américain et des subsides également américains, juste après avoir servi dans l’armée de Saddam avec le rang de Major. Selon le porte-parole du Pentagone, le prisonnier "have provided information essential to developing our knowledge of al-Qaeda’s organizational structure, operations, communications, finances, logistics and criminal activities." C’est le moins qu’on puisse attendre d’un ancien employé de la CIA qui a formé Al-Qaïda au départ, non ? Les Américains, tout heureux de retomber sur un de leurs anciens associés... devenu passager des fameux Gulfstream bleus et blancs dont le célèbre N379P... du Guantanamo Express... ayant souvent transité par Heathrow. Depuis, "Intelligence services are investigating" disent les journaux. Ils ont de quoi, semble-t-il...
Bizarrement, au moment où Tony Blair quittait le pouvoir, ce dernier expliquait aux médias qu’Al-Quaïda projetait un événement d’ampleur, quelqu’un du réseau ayant affirmé que ce serrait de la taille de... Nagasaki ! "He claims the operation will be on ‘a par with Hiroshima and Nagasaki’ and will ‘shake the Roman throne". Diantre. Or,ce quelqu’un aurait été justement notre Abdul al-Hadi al-Iraqi. Mais ce n’est pas cela qui nous avait fait tilter à l’époque : non, c’est le fait de relier cette annonce plutôt délirante à... l’Iran. L’œuvre du "caniche de Bush", Tony Blair, toujours prêt à aider son mentor : "Al-Qaeda leaders in Iraq are planning the first “large-scale” terrorist attacks on Britain and other western targets with the help of supporters in Iran, according to a leaked intelligence report"... Les services secrets en avril 2007 savent indiquer qu’une bombe de type nucléaire pourrait exploser à Londres... et que cette dernière serait iranienne. Ce n’est plus une fuite d’infos pour les médias, c’est carrément Tony Blair qui vient tenir le stylo du journaliste ! C’est Jericho, façon anglaise ? Un nouvel épisode des X-Files ? Dans les journaux, on s’étonne un peu quand même "There is no evidence of a formal relationship between Al-Qaeda, a Sunni group, and the Shi’ite regime of President Mah-moud Ahmadinejad, but experts suggest that Iran’s leaders may be turning a blind eye to the terrorist organisation’s activities." Ça paraît un peu gros... en effet. Et ça sent fort la désinfo, ce lien entre une attaque de type nucléaire et l’Iran, pays dont on conteste les activités nucléaires. On voudrait monter l’opinion anglaise contre le régime iranien qu’on ne s’y prendrait pas d’autre manière...
Résumons : dans l’appareil photo, on avait donc le CV complet d’Abdul al-Hadi al-Iraqi, qui selon les Etats-Unis voulait tuer Musharraf et, selon les Anglais, transformer Londres en Nagasaki. Pas moins, fichtre, quel homme ! A côté, un des leaders du Spectre fait léger. Un homme dont le MI6 aurait eu tous les renseignements, des renseignements pris en photo sur une cartouche SD interne à un appareil photo perdu dans la nature... en gros, on a laissé dans un engin non protégé le curriculum complet et les noms de tous ses potes d’un individu présenté comme capable de faire sauter une bombe nucléaire en Europe ? Vous m’excuserez, mais je la trouve un peu légère comme explication. Surtout des PHOTOS. Il est rare d’avoir des fichiers Excel de la sorte... ou alors c’est dans un Minox. En revanche, qu’un ancien de la CIA puisse intéresser le MI5 ou plutôt le MI6, cela ne m’étonne guère. Et que la CIA soit de mèche avec le MI6 encore plus, surtout dans le genre désinformation. Car, automatiquement, avec le coup de l’appareil perdu, vient à l’esprit la notion de propagande organisée. Il faut bien les nourrir, ces journalistes : avec deux ou trois photos, un CV le plus précis possible et un ou deux scans de document originaux sur Abdul al-Hadi al-Iraqi et ses accointances fabriquées avec l’Iran. De quoi orchestrer une belle campagne pro-Blair, pour qu’il parte comme il était revenu : avec la peur comme seul moyen de driver sa population, avec la "guerre au terrorisme" comme seul slogan politique. On a alors un superbe chiffon rouge de plus : Londres transformé en Hiroshima ! Superbe idée de services secrets, ça. Encore faut-il la faire connaître dans le grand public, qui va faire ensuite tout de suite l’équation : menace de bombe nucléaire + Iran nucléaire = bombardement souhaité de l’Iran. Les gens ont beau ne lire que des magazines people, ils savent encore calculer ça... et enfourner pareilles fadaises... On a bien tenté ces dernières semaines de nous faire croire que Sarah Palin était une dame intelligente.
Maintenant, comment faire parvenir le plus discrètement possible ces infos ? Très simple : en mettant le tout, tout mâché dans le même appareil photo qu’un journaliste que l’on souhaite contacter. Un ou deux cocktails plus loin, et le journaliste repart avec des documents "Top Secrets" bien préparés et bien triés... et bien destinés à faire peur à la populace... "on vous donne ça, faites-en ce que vous en voulez, nous on vous le donne car ça nous a fait peur aussi, vous savez"... seulement voilà. Au cocktail, il y a un joyeux luron qui se glisse dans le jeu... et barbote l’appareil. Et le revend sur e-Bay sans même avoir vérifié son contenu. Soit les agents du MI6 chargés de surveiller la livraison étaient raides au whisky sous les tables du cocktail, en bons descendants de Philby, soit le journaliste visé est un fieffé étourdi : ou alors un de ses confrères s’est retrouvé sans le sien !
Vous allez me dire que je lis trop de livres d’espionnage ? Et que, dans ce cas, on ne comprend pas pourquoi avoir laissé les codes d’entrée des serveurs du MI6 ? C’est vrai que c’est le seul point gênant de la théorie : peut-être de fausses entrées, destinées à faire plus... vrai. Oui il eût été plus simple d’envoyer anonymement la carte SD par courrier : oui, mais le Royal Mail en perd tant ces derniers mois que la destination n’est pas assurée. Là, c’est remis en mains propres. Voyez bien que je n’en ai pas lu tant que ça, en définitive, de livres d’espionnage, ce qui pourrait donner une interprétation bien hasardeuse. L’autre étant simplement en effet une étourderie de fonctionnaire, ou effectivement un vol, mais avec de vraies données fort compromettantes sur les liens entre notre accusé et la CIA ou le MI6. C’est tout aussi croquignolé, sinon plus encore, remarquez ! Mais avouez que le coup du Coolpix perdu avec dedans "Hiroshima Man", c’est du grandiose, dans le monde de la désinformation ou du n’importe quoi de l’espionnite ! Bon faut que je vous laisse, je viens de repérer la clé USB des Farc là sur e-Bay. Déjà que Reyes bossait sur disque dur portable LaCie dernier cri... A moins que je ne contacte les bagagistes de Roissy ? D’ici à ce qu’on me propose l’un des trois Toshiba Satellit de Reyes... ou l’un de ses petits disques orange... A moins que je ne trouve à la place tous les épisodes de Destination danger, avec le formidable Patrick McGoohan... Personnellement, je préférerais compléter ma collection de McGoohan... je ne désespère pas de trouver un jour le pork pie hat... ou la fameuse casquette de John Drake...
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