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Au fond de la cave

Fable dominicale

La descente aux enfers

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Il était une fois une famille heureuse en pays vigneron. Ici, comme dans beaucoup de nos maisons le long des coteaux de Loire, le vin était servi à table les jours de fêtes ou de grands évènements. Ceux qui vivent au pays du tuffeau ont les tonneaux dans le cellier, à deux pas de la cuisine, bien au frais dans la roche protectrice. D'autres ont dû faire creuser une cave pour trouver cette fraîcheur qui enchante le plus beau de tous les breuvages.

Mais la maison dont il est question est située dans le Val, là où la rivière a creusé son sillon plus profond encore que ce qu'elle donne à voir à la surface. Le sous-sol est un gruyère, il faut aller bien profond pour trouver un peu de roche. La cave de la maison se situe dans les entrailles de la terre et il faut descendre un escalier long et obscur pour venir déranger les barriques dans leur sommeil.

Ce détail, qui de nos jours, peut vous paraître dérisoire, n'en était pas un en cette époque lointaine où la fée électricité n'était qu'une utopie impensable. Il fallait se munir d'une bougie pour affronter les ténèbres et l'humidité de cette longue descente aux enfers. Pour les adultes, surtout pour le père qui avait son briquet à pétrole dans la poche, l'aventure semblait très banale. Mais pour les enfants de la maison, c'était l'épreuve qu'ils redoutaient plus que tout au monde.

Quand l'un d'eux était désigné pour aller remplir le cruchon, que la mère lui tendait le bougeoir et sa flamme vacillante, le gamin en avait des sueurs froides et les jambes flageolantes. Les autres, ceux qui avaient échappé à cette corvée, soufflaient, heureux que le sort les ait épargnés. Pour le pauvre porteur de cruche commençait alors une terrible épreuve.

Il se levait de la grande table familiale, chose exceptionnelle, permise seulement parce qu'on lui avait confié ce travail. C'était une époque où les enfants ne pipaient mot et restaient bien sagement sans bouger tant que le patriarche n'avait pas donné le signal de la fin de la cérémonie, en repliant son couteau. L'enfant se levait, vous dis-je, et il n'avait nul plaisir à le faire …

Il prenait la grosse cruche en grès d'une main et le bougeoir de l'autre. Les difficultés commençaient dès la porte d'entrée de la cave qui se situait à l'extérieur de la maisonnette. C'était l'une de ces entrées de cave qu'on trouve parfois encore dans nos régions. Une porte à double battant qui se présente après quelques marches en contrebas. Une porte en pente qu'il faut ouvrir avec une grosse clef en fer forgé.

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C'était là la première alarme. S'il pleuvait ou s'il ventait, la chandelle n'allait pas plus loin. Le gamin aurait alors à effectuer sa longue descente à tâtons, redoutant de tomber sur une bête visqueuse ou bien de trébucher sur une marche branlante. Quand le temps était clément, la porte pouvait parfaitement se rabattre violemment si le crochet venait à céder, ce qui ne manquait pas d'arriver une fois ou l'autre.

Le gamin pouvait alors prendre la porte sur la tête et gare à lui si par mégarde, il lâchait la cruche. À chaque fois, le souffle de la porte éteignait la flamme. Là encore, la descente prenait des allures de chemin de croix dans les entrailles suintantes de la terre. Pourtant, c'était un temps où il n'était pas possible de revenir sans avoir rempli sa mission.

À chaque fois, le gamin ravalait ses larmes, reniflait et descendait dans les ténèbres en maudissant ce satané vin qui dormait si loin. Chaque marche exigeait attention et concentration, l'enfant égrenait à haute voix ce décompte terrible qui, à chaque pas, le conduisait vers plus obscur et inquiétant encore. Puis le pied se posait sur une surface molle, humide. Il fallait avancer de dix pas encore avant que d'arriver à la grosse barrique.

Sans y voir goutte, le gamin posait le bougeoir qui lui avait été de si peu d'utilité et cherchait la cannelle comme un aveugle qui veut trouver son chemin. C'était ensuite le redoutable moment du remplissage. Il fallait remplir la cruche jusqu'au col sans jamais renverser la moindre goutte du précieux liquide. Le père avait l'œil et aurait remarqué la faute du maladroit.

Les enfants de la maison avaient tous leur méthode pour éviter le drame du débordement. Nous n'allons pas rentrer dans les détails qui sont de peu d'importance en regard de la terreur qui les glaçait en ces instants. Puis, le vin dans son nouveau réceptacle, malheur à qui refermait mal la cannelle. Il aurait subi les foudres du bonhomme qui ne plaisantait pas quand on voulait le priver de son plaisir.

Il fallait récupérer ce maudit bougeoir et remonter vers la clarté. Ce moment était déjà le début de la délivrance. Un filet de lumière indiquait la marche à suivre, l'ultime épreuve qu'il fallait affronter. La porte, si souvent refermée, il fallait la pousser pour franchir ce dernier obstacle sans jamais quitter des yeux le si précieux flacon.

Dehors, le gamin ne devait pas se précipiter, il n'avait pas intérêt à oublier de fermer à double tour la méchante porte ni à oublier la grosse clef. C'est une paire de claques qui tombait sur les joues du malheureux s'il revenait sans cette grosse clef dans sa poche. Là encore, il fallait encaisser l'affront sans renverser le nectar du cruchon qu'il tenait encore dans la main. C'eût été un crime abominable, puni dequelques privations de dîner pour celui qui aurait lâché la cruche en ces instants d'ire paternelle.

Voilà, la cruche trônait enfin sur la table. L'enfant avait surmonté les peurs les plus redoutables qu'un gamin pût supporter. Il avait dépassé son angoisse, vaincu sa crainte des ténèbres et réussi un exercice d'une incroyable complexité. Pour le remercier, lui montrer sa reconnaissance, le père, qui avait eu à subir la même chose quand il était mioche, lui servait une rasade de vin.

Je sais qu'il y aura parmi vous des gens pour s'offusquer de la chose, pour y voir une forme de maltraitance ou pire encore, une atteinte à la santé du « nia ». On ne peut comparer les époques et regarder avec nos yeux d'humains d'aujourd'hui, ce qui se faisait dans le temps jadis. Je vous prie de ravaler vos griefs et vos indignations ou alors la morale de cette histoire va vous choquer davantage encore.

Car de cette aventure inquiétante, de cette épreuve initiatique qui revenait fort peu souvent à vrai dire, les parents savaient que leurs enfants ressortaient plus forts et plus courageux. Et comme le vin le long de la Loire est un don de dieu, jamais un seul gamin ne recracha la petite rasade qu'il héritait en récompense de son exploit.

Quand le vin est bon, on peut aller le tirer jusqu'au bout de l'enfer. C'est la morale de cette fable. Vous n'allez pas refuser de boire un verre d'un bon vin de Loire. C'est justement parce que c'est le meilleur vin du monde que nous autres, les Ligériens du Val, avons passé outre nos craintes enfantines. Ne pincez pas le nez, j'ai moi aussi connu cette terrible épreuve et ne m'en porte pas plus mal.

Profondément vôtre.

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11 réactions à cet article    


  • claude-michel claude-michel 6 janvier 2014 11:07

    Une sensation étrange a la lecture de votre article...je suis retourné en arrière dans le temps de mes arrières grands parents (originaires de Castres) ou j’ai vécu cette aventure avec mon frère et ma soeur...Une cave profonde dans la roche ou pour y aller il fallait mettre une petite laine..avec la peur au ventre pour remonter jambons ou autres victuailles...Merci pour ces souvenirs...


    • C'est Nabum C’est Nabum 6 janvier 2014 11:39

      Claude-Michel


      vOus n’êtes pas seul à être remonté de ce billet avec des souvenirs plein les yeux

      Merci à vous

    • Vipère Vipère 6 janvier 2014 13:14

      Nabum Bonjour


      Jamais il ne me viendrait à l’idée de jeter un caillou à un pauvre mioche, remonté la peur au ventre, de l’antre de Bacchus parmi les vivants, auquel on donne une petite rincée pour se remettre de ses frayeurs !

      Du bon vin, et en toute modération, cela se conçoit à tout honnête homme. De là, à dire que c’est une création des Dieux, serait oublier la main du vigneron, inventeur du breuvage guidée peut-être par un esprit malin qui sait car enfin ... 

      Le vin a une étrange dualité ! il peut être le meilleur comme le pire des amis ! 
      Ce n’est pas la ligue des alcooliques anonymes qui me contredira qui accueille à tour de bras ouverts les plus assidus qui ne parviennent plus à décrocher du goulot. Assoiffés du soir au matin. Cela peut jeter un froid sur le divin nectar, mais il vaut mieux savoir à l’on a affaire avant que de l’inviter à sa table étourdiment, sans prudence. smiley






      • C'est Nabum C’est Nabum 6 janvier 2014 16:48

        Vipère


        Je n’ignore pas tout ça et il est clair que je défends le vin dans sa modération.

        Au-delà, nous sombrons dans des démons qui n’ont pas leur place dans le fable.

        Merci de rappeler cet aspect 

      • C'est Nabum C’est Nabum 6 janvier 2014 16:49

        Lyacon


        Je prends votre anecdote avec gourmandise

        Merci 

      • Jean-Philippe 7 janvier 2014 08:13

        Bonjour,

        C’est Nabum,
        Vous publiez rarement des billets d’un tel niveau d’imbécilité et c’est heureux.

        Ici, l’imbécilité principale réside dans la croyance que toute épreuve nous rendrait plus fort. Ce n’est pas le cas : l’épreuve nous enseigne ou nous traumatise, c’est à dire nous pourvoit d’une peur instinctive qu’il nous sera dorénavant bien difficile de surmonter. Cela dépend entre autres de notre niveau de peur, bien difficile à anticiper !
        Car chez le petit d’Homme, le degré de peur résulte pour simplifier de deux paramètres principaux, son niveau de conscience (qui croît normalement avec l’âge), et sa confiance en lui (son niveau de réussite dans les épreuves précédentes).
        Ainsi, prenez un jeune enfant, et amenez-le régulièrement sur des jeux en hauteur. Vous observerez qu’à certaines périodes, et notamment très jeune, celui-ci est capable d’exploits, par ... insouciance. Puis, plus tard, vous constaterez des blocages surprenants, liés à la sur prise en compte du risque de chute, et qu’enfin, normalement, à terme, il y aura normalisation comportementale, par intégration et évaluation correcte du risque.
        Le meilleur moyen d’éviter un traumatisme pendant les apprentissages générant de la peur, c’est de laisser l’enfant gérer lui-même sa peur.
        Il est pédagogique de mettre l’enfant dans des situations dans lesquelles il devra affronter ses peurs, il est idiot de le contraindre à le faire.

        Au-delà de ça, je ne crois pas utile de donner des exemples de fainéantise à des enfants. Il veut du vin, le père ? Qu’il aille le chercher lui-même !

        Et pour finir, dans votre exemple, l’enfant qui se fait dépasser par sa peur peut en perdre l’équilibre, chuter, dévaler l’escalier et en mourir, et je ne vois pas l’apprentissage qui en résulterait, à part pour les parents sur le fait qu’ils aient été très cons, et il est vraisemblable qu’ils ne le comprendraient même pas.

        Contre la peur du noir, moi qui ai la chance d’habiter en secteur rural, j’emmène régulièrement ma fille de six ans en promenade sur les chemins forestiers à la tombée de la nuit. La visibilité diminuant progressivement, pas de choc à affronter, l’allumage des torches sécurise, et en cas de peur, il suffit de se rapprocher de l’adulte qui rassure. Et force est de constater que ma fille n’hésite pas à s’éloigner torche éteinte, et que son interprétation des bruits (nombreux en forêt, vent dans les branches, oiseaux effarouchés ...) est très rationnelle.

        Il existe des procédés raisonnables permettant d’affronter et de conjurer ses peurs.
        Nul besoin de risquer de traumatiser les enfants.


        • C'est Nabum C’est Nabum 7 janvier 2014 08:43

          Jean-Michel


          Que répondre ?

          Ce n’est qu’une fable et elle n’a aucune ambition à généraliser.

          Oui il y a des terreurs qui tramatisent toute une vie.
          Oui, je redoutais la descente à la cave et pourtant, la peur s’est effacée au profit du plaisir d’aller chercher du vin.

          Suis-je un imbécile pour autant ?

        • Prudence Gayant Prudence Gayant 7 janvier 2014 23:51
          Remplir le cruchon était terriblement important, ne pas hésiter à perdre un de ses gosses plutôt que de voir le père de famille boire de l’eau du puits.

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