Chaud devant !
Il n’y a pas que le CAC40, la réforme des retraites ou la Coupe du monde de football dans la vie. De menus évènements font également l’actualité locale et permettent momentanément de fuir les sujets dominants. Parmi eux, ces courses de garçons de café qui, à l’approche de l’été, se multiplient en France comme à l’étranger...

À l’heure où notre ciel économique s’assombrit et où le rythme trépidant de la vie moderne menace notre résistance, il est indispensable de pouvoir échapper au stress et à la morosité qui nous guettent. À cet égard, les fêtes, frairies et autres ducasses d’antan avaient leurs raisons d’être. Les municipalités l’ont d’ailleurs bien compris qui rivalisent d’imagination pour relancer ces manifestations festives ou créer de nouveaux évènements. Seule différence avec le passé, leur utilité sociologique - et politique : du pain et des jeux ! - se double désormais de préoccupations économico-touristiques.
C’est évidemment le cas à Paris qui offre à ses habitants et aux nombreux visiteurs provinciaux et étrangers de la capitale un large éventail d’animations. Drôles, cocasses, insolites, elles renaissent chaque été, toujours plus ambitieuses, toujours plus prisées, à l’image de Paris-plage. Mais la plus originale et la plus parisienne d’entre elles n’existe plus : la course des garçons de café. Jugée sans doute trop ringarde par les bobos parisiens, cette épreuve a été supprimée en 2006, alors que de nombreuses villes françaises et étrangères ont, depuis plus de vingt ans, pris le relais et, pour le plus grand plaisir d’un public bon-enfant, lancé sur leurs chaussées ces merveilleux fous courant avec leur drôle de plateau.
Organisée depuis 1934, la défunte course parisienne réunissait chaque année les champions de la profession. Garçons, barmen, serveurs - mais aussi serveuses - s’y affrontaient en un peloton de pingouins noir et blanc où se mêlaient les représentants des brasseries célèbres et ceux des modestes bistrots de quartier. Mais là, gilet serré ou tablier noué à la taille, le prestige importait peu ; seules comptait la force du jarret et… celle du poignet. Car c’est une véritable performance athlétique, doublée d’un prodige d’adresse, que devaient accomplir les participants. Courir durant huit kilomètres en tenue de travail, chaussures de ville comprises, était déjà fort malaisé ; mais le faire en portant à bout de bras un plateau surmonté d’une bouteille et de deux verres qui ne demandaient qu’à se fracasser sur le pavé confinait à l’impossible*.
Et pourtant, mis à part quelques maladroits ou des malchanceux pris dans les bousculades du départ, ils y parvenaient, souvent dans des temps remarquables pour les meilleurs d’entre eux, comme en témoignent les 28ʹ 29ʺ réalisées en 1985 par l’Auvergnat Patrick Fabre. Sur un parcours, il est vrai, sans grande difficulté, entre l’Hôtel-de-ville et les guichets du Louvre via la rue de Rivoli à l’aller et le boulevard Saint-Germain au retour. Rien à voir avec le sadique tracé qui partait naguère à l’assaut de la Butte-Montmartre sur les redoutables dénivelées de la rue Lepic. Supprimé en 1977, ce parcours offrait aux regards ravis des cohortes de touristes ayant envahi la célèbre Butte le spectacle étonnant de zombies écarlates et titubants. Chancelants en débouchant dans la rue Norvins. Effondrés sur la place du Tertre, la ligne d’arrivée franchie, sous le regard amusé des silhouettistes et des barbouilleurs de poulbots.
Au fil du temps, la course parisienne a essaimé un peu partout en France, de Libourne à Metz et d’Avignon à Montceau-les-Mines, en passant par Mâcon, Nice, Pornic, Toulon, Vesoul et bien d’autres villes petites et grandes. En France, mais également hors de nos frontières, que ce soit à Bruxelles, Genève, ou, sous l’appellation de French Waiters race, à Miami, New York, Portland, Washington ou… Sydney. Même Jérusalem s’y est mis en octobre 2009 !
Malgré ce succès planétaire pour une manifestation amusante et insolite, les plateaux resteront en 2010 sur les comptoirs des bistrots parisiens pour la 5e année consécutive. Dommage pour le folklore et la fantaisie. Dommage surtout pour l’image de la capitale car nos garçons de café, sortis de leurs établissements et débarrassés des mines renfrognées ou des réflexions peu amènes qui leur sont prêtées par nombre d’observateurs étrangers, y étaient regardés avec sympathie par la clientèle touristique. Et ça, c’était déjà en soi une véritable performance !
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