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#60 des Tendances

Course au large

 

Paradoxal

 

Des centaines de milliers de spectateurs, après avoir fait longtemps le pied de grue, se pressent comme des sardines pour assister au départ d'une course en solitaire. J'avoue ne pas saisir le rapport numérique qui se joue là. De vous à moi, les navigateurs devant cette masse humaine, doivent se sentir bien seuls sur leurs bateaux qui s'en vont fièrement tenter l'aventure d'une course au large.

Un voyage au long cours qui entend faire le tour de la planète ne devrait pas entrer dans cette catégorie. Le large ici est une manière de rejoindre les deux côtés opposés avant que de revenir au point de départ. Il devrait être ainsi question de circonvolution mais hélas en matière de vocabulaire, bien peu en connaisse un rayon. Même dans le petit cercle des hauturiers, le terme ne renvoie qu'aux grands explorateurs qui se lancèrent dans pareille aventure.

Nos aventuriers d'aujourd'hui doivent se sentir à l'étroit sur leur énorme embarcation face à cette marée humaine qui fort heureusement est bien lunée. Ils sont à ce moment-là au creux d'une vague qui va déferler sur les médias du pays pour que le vainqueur puisse ensuite surfer sur une nouvelle popularité. En attendant celui-ci et tous les autres prennent le large tandis que la foule reste à quai.

C'est alors qu'il me vient à l'esprit que pour ces solitaires, c'est là le moment précis pour eux durant lequel ils pensent que c'est enfin la quille. Ils mettent les bouts et laissent au loin curieux et photographes, journalistes et sponsors pour jouir d'une communion incomparable avec les éléments. La solitude dans un si vaste décor est préférable à ce magma humain.

Puis dans l'intimité de leur cockpit, ils sont confrontés aux premières difficultés. Comment est-il possible de se lancer dans une course au large lorsqu'il faut franchir des détroits ? N'est-ce pas là une contradiction qui risque fort de les mettre en porte à faux. Ils en appelleraient volontiers aux conseils du Très Grand pour dénouer ce dilemme mais hélas, c'est une course sans assistance.

Les voies du Seigneur étant comme chacun le sait impénétrables, ils préfèrent garder de par devers eux la trajectoire qu'ils entendent emprunter pour parvenir au Paradis avant les autres concurrents. Ils tirent le diable de l'aqueux et des bouts pour tracer une route qui n'a jamais rien d'un long chemin tranquille sous le regard numérique de cette foule d'hier qui se presse désormais sur un écran d'ordinateur.

Le rapport est alors inversé. Le navigateur perdu au milieu de l'immensité et le curieux, enfermé dans un petit espace à scruter son ordinateur. Paradoxalement, on prétend que les uns et les autres surfent ce qui n'avance à rien pour les plus nombreux. Un seul risque de prendre le bouillon sans pouvoir dans pareil cas déclarer forfait. C'est là la limite d'une course au large scrutée en long et en travers par des internautes immobiles.

Un coup de vent, la voile qui se déchire, bien loin d'éteindre les écrans provoquera bien au contraire une nouvelle vague de connexion pour suivre le désarroi d'un loup de mer aux abois. Se sentir seul à l'heure du péril ne change en rien cette impression d'être épié par des milliers de gens qui voient dans ce drame ce petit supplément qui mettra du piment à leurs tristes existences.

Les suiveurs immobiles sont ainsi des voyeurs dans cet événement pour lequel les quarantièmes rugissants font moins de bruit que cette multitude qui s'offre de l'aventure par procuration. Chacun espère peut-être que l'un des aventuriers se fasse la belle, prenne la tangente et disparaisse des écrans radars pour se fondre dans l'immensité. La légende est à ce prix.

Qu'il y ait ainsi une telle fascination dans pareille aventure démontre à l'évidence que l'appel du lointain demeure ancré dans nos esprits de terriens. Paradoxalement, d'autres embarcations, surchargés de malheureux, ne provoquent pas un tel engouement alors que justement c'est du lointain que nous viennent ces pauvres gens.

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6 réactions à cet article    


  • juluch juluch 21 novembre 12:24

    Hisse et haut Santiaaaanoooo !!!  smiley


    • C'est Nabum C’est Nabum 21 novembre 15:17

      @juluch

      Dans le creux de la vague


    • Depuis gamin les courses de bateau notamment au large.
      J’ai toujours trouvé ça mystérieux , les bateaux magnifiques ...

      J’avais aucune idée sur son déroulement .

      Cela dépassait mon imagination, c’était trop grand, trop vaste.

      Une dimension compliquée à saisir. 



      • C'est Nabum C’est Nabum 21 novembre 15:18

        @SPQR-audacieux complotiste-Monde de menteurs

        Je ne parviens pas à trouver que ce spectacle soit de nature à passionner les foules et pourtant ...
        Le conditionnement est diablement efficace


      • ricoxy ricoxy 23 novembre 08:03

         

        Un peu comme les alpinistes, ou Conquérants de l’inutile. Mais ça reste une belle aventure humaine.

         

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