Dans le brouillard
Vagues divagations.
Un voile de mystère recouvre la campagne environnante, donnant à toute chose une dimension fantomatique qui ne cesse de m'émouvoir. Le moindre arbre prend des allures de monstre inquiétant tandis que tout se noie dans un décor qui prend un malin plaisir à en exclure, provisoirement sans doute, les autres humains. Voilà venu le temps de s'inventer une épopée, une aventure intime qui me transportera dans des mondes inconnus.
Plus de contraste ni de profondeur de champ, mon univers, habituel quotidien, se limite à un immédiat nimbé d'un angoissant blanc ouaté qui absorbe les couleurs et les bruits, les formes et les contours tout en se permettant de provoquer un sentiment de repli sur moi-même qui finit par m'envoûter, moi qui me laisse prendre à son charme satanique.
Je me retrouve soudainement seul au monde, perdu dans un paysage qui m'avait, jusque-là, toujours été familier et qui par un coup de baguette magique, à moins qu'elle ne se fasse satanique, se dérobe à mes sens, se refuse à se livrer comme il l'avait toujours fait. J'ai perdu tous mes repères et pourtant nulle alarme si j'accepte de prendre le temps de m'abandonner à ce rêve éveillé, à ce songe enveloppé.
L'oppression laisse alors place à une incroyable quiétude, un sentiment que plus rien ne peut m'arriver puisque tous les périls se sont évanouis dans cette purée d'émois dans laquelle personne ne fait le poids. Je suis soudainement invité dans l'univers des spectres, des passagers du Charron sans que cela m'apparaisse irréversible. Je joue sans réserve le jeu de cet enlèvement transitoire, de cette incursion dans les limbes auquel le brouillard me convie.
Je me laisse ainsi porter par ce sentiment d'étrangeté que seul le brouillard m'accorde quand il s'invite entre chien et loup, en ce crépuscule qui semble sonner le glas de la vie sur Terre. Car bien sûr, la faune se met au diapason de ces instants qui donnent rendez-vous avec la fin des temps.
Marcher seul dans le brouillard est une expérience qui s'impose pour mieux me découvrir, me donner rendez-vous avec une instance qu'évoquent bien des cultes. Ni enfer ni paradis, c'est simplement l'envers du décor, la suppression des apparences pour entrer de plain-pied dans l'éther ou des contrées évanescentes.
C'est alors l'occasion de laisser divaguer mon imaginaire, de me raconter, une fois encore, des histoires, d'espérer voir surgir de gentils monstres ou de vilaines chimères, à moins que je ne franchisse soudainement la barrière du temps pour rejoindre d'autres époques. Le brouillard ne me refuse aucune porte, bien au contraire, il les ouvre toutes, me laissant seul maître à bord pour naviguer selon mon bon plaisir dans les arcanes des apparitions.
Je ne dois craindre aucune attaque subite, la survenue d'un malandrin qui en veuille à mon existence. Le brouillard, s'il peuple son univers de créatures diaboliques ne laisse jamais la place aux véritables malfaisants qui ne risquent pas de s'aventurer dans pareil inconfort. Il est l'ami des songes et des angoisses fictives, un incroyable faiseur de sortilèges qui se dissiperont comme lui, au premier coup de vent…
Il m'inspire et m'intrigue, il m'émerveille et m'angoisse, il me libère de ma condition terrestre pour me surprendre par l’imaginaire. Rien n'est plus évocateur que ce phénomène météorologique qui est l'ami du randonneur égaré, du marcheur en mal d'inspiration, du flâneur qui se laisse transporter dans un ailleurs vaporeux.
Par contre, s'il vous prenait l'envie de l'affronter, à l'abri d'une carlingue mobile, ce diable de brouillard se fera sournois, piégeux, trompeur et dangereux. N'oubliez jamais dans pareil cas, que c'est lui qui mène le bal et que pour répondre à son invite, il convient de lever le pied ou mal vous en prendra.
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