Des vers peu solitaires
Si l’on mettait sur les plateaux d’une balance virtuelle tous les animaux, hommes y compris, quelle espèce faudrait-il mettre sur l’autre plateau pour faire pencher la balance de l’autre coté ?
Il ne s’agit ni d'éléphants, ni de baleines, ou d’un autre animal imposant, mais tout simplement de tous les vers de terre de la planète : ils sont plus lourds que tous les autres animaux de la planète réunis.
En effet, on en dénombre de 1 à 4 millions à l’hectare, ce qui représente un poids de 1 à 5 tonnes, et pour la seule France, entre 100 et 200 millions de tonnes, représentant 80% de la biomasse animale de la planète. lien
Pour ce laboureur perpétuel, on ne connait pas de défauts, et pourtant on utilise son nom pour qualifier une personne méprisable.
Charles Darwin, en 1881, avait vanté le mérite des vers de terre déclarant « la charrue est une des inventions les plus anciennes et les plus précieuses de l’homme, mais longtemps avant qu’elle existât, le sol était de fait labouré par les vers de terre, et il ne cessera jamais de l’être encore. Il est permis de douter qu’il y ait beaucoup d’autres animaux qui aient joué dans l’histoire du globe un rôle aussi important que ces créatures d’une organisation si inférieure ».
Les lombrics n’ont pas d’organes respiratoires distincts, et ils possèdent 5 à 7 paires de cœurs latéraux, qui reprennent le sang et l’envoient à l’arrière.
Leur tube digestif comprend une bouche et un pharynx qui peut servir de ventouse pour aspirer les aliments, autant que de broyeur pour les triturer, lesquels aliments passent dans le jabot, puis le gésier, pour atteindre en fin de compte l’intestin.
Leur corps est divisé en segments remplis de liquide, avec 2 couches de muscles et sa progression est permise grâce aux petites soies qui le fixent au sol, à mesure qu’il avance. lien
En se déplaçant de bas en haut et inversement, il peut descendre jusqu’à 2 mètres de profondeur, faisant remonter du sous sol les essentiels oligo-éléments, sans toucher ni aux racines, ni aux plantes saines.
Sur le chapitre de la reproduction, chaque ver est à la fois mâle et femelle, et s’il y a bien accouplement, il arrive aussi que la reproduction se fasse par parthénogenèse.
A ce jour, on connait 5000 espèces différentes de vers de terre, au sein de 15 familles, et suivant les espèces, leur taille varie de quelques centimètres à plus de 3 mètres, (vidéo) pour un diamètre de 3 cm comme cette espèce vivant en Australie dans la vallée de Bass River, dans la région de South Gippsland. lien
Comme chacun sait, le lombric se nourrit de nos déchets, et les transforme en compost, faisant le bonheur de nos jardins.
En traversant le tube digestif du ver de terre, la matière dont il se nourrit s’enrichit d’une flore microbienne indispensable à la croissance des plantes.
Au moment ou la couche fertile de la terre se réduit en peau de chagrin, à force de traitements chimiques, d’arrachage de haies, amenant le lessivage des sols, provoquant la disparition de l’humus, il faudrait avoir avec un peu plus de reconnaissance pour les lombrics.
C’est aussi l’occasion d’évoquer le BRF, (Bois Raméal Fragmenté), qui permet de cultiver sans arroser, sans labourer, et favorise la prolifération des vers de terre. lien
Les vers de terre peuvent être aussi une bénédiction pour les archéologues, puisqu’en labourant inlassablement la terre dans tous les sens, ils font parfois remonter à la surface des objets que l’on croyait enfouis à tout jamais.
Le ver de terre nous réserve d’autres surprises, puisque certains les invitent à leur table, tel lien
Cette information soulèvera, on s’en doute, quelque dégout, mais pourtant, si on y réfléchit, ce n’est pas plus insolite que de manger des huitres vivantes, des moules, des escargots ou des grenouilles, d’autant que le lombric est bourré de protéines.
Bob Dolman, s’inspirant d’un best seller dédié aux plus jeunes et signé Thomas Rockwell, (How to eat fried worms) en a même fait un film : « comment manger 10 vers de terre en une journée ». lien
Ici, la bande annonce du film.
Au moment où près d’un milliard d’humains souffrent de la faim, c’est peut-être le moyen pas cher d’y remédier. lien
D’ailleurs le biologiste entomologiste Juan Antonio Garcia Oviédo, de l’Institut Polytechnique National de Mexico a lancé un plan de lutte contre la malnutrition et propose des tortillas à base d’œufs de fourmis, de vers de terre, ou de scarabées, voire même des barres chocolatées aux grillons.
L’expérience qu’il a mené avec l’école d’un quartier défavorisé a été concluante puisque, d’après le scientifique : « après 6 mois d’alimentation des gamins, nous avons constaté que leur rendement scolaire s’améliorait, qu’ils gagnaient du poids, que leur croissance s’accélérait et qu’ils retrouvaient des couleurs ». lien
Rien de si original dans le fond, puisque avant la colonisation de l’Amérique du Sud, c’était dans la tradition des Indiens du Mexique de consommer des insectes. lien
D’ailleurs l’entomophagie ne se limite pas au Mexique, on mange des insectes dans les 5 continents. lien
Il y a tout de même certaines précautions à prendre, afin de ne pas connaitre quelques problèmes comme cet américain, qui suite à un défi imbécile, qui consistait à avaler un maximum de vers de terre et de cafard, a quitté notre monde. lien
Sur ce lien, un candidat au concours du plus gros mangeur de vers de terre.
Aujourd’hui l’absence de vers de terre, due à la pollution, est compensée à grands tombereaux d’engrais chimiques, lesquels feront encore plus reculer la réapparition des précieux lombrics.
Il y a un autre domaine moins connu qu’il faut mettre au compte de ces précieux laboureurs du sol : des chercheurs ont découvert qu’ils pourraient atténuer les effets des inondations, voire à les éviter.
Comme ils creusent interminablement des galeries en tout sens, celles-ci peuvent absorber en partie les crues des fleuves, créant, par un effet d’éponge, des « zones tampons », ce qui pourrait éviter des catastrophes.
Il faut donc préserver cette richesse que sont les lombrics, et pour ce faire, les chercheurs ont mis au point des digesteurs de déchets pour appartement, lesquels ont été ensemencés de vers de terre, qui vont digérer les déchets, produisant un compost de très bonne qualité, sans dégager la moindre odeur malsaine, mais plutôt un bon parfum de sous bois.
Les vers de terre peuvent aussi rapporter gros, et les entreprises qui se sont tournées vers la lombriculture se multiplient aux 4 coins du continent.
Du Honduras, à la Thaïlande, en passant par les Indes, le Nicaragua, la lombriculture est devenu en quelques temps une précieuse source de revenus.
On pourrait évoquer l’entreprise de Sébastian Ampié, au Nicaragua, qui commençant avec 400 petits grammes de lombrics, qu’ils ont nourris avec du fumier de chèvre, de lapin, et des feuilles, ont récolté 6 mois après 900 kg de lombricompost, et 13 000 lombrics pour un poids de près de 10 kg.
Le temps passé à la lombriculture se limitait à 20 minutes par semaine, et au final, l’entreprise à pu engranger une recette de 173 dollars, sans compter le compost produit.
Sur cette vidéo, une démonstration de composteur de jardin.
En Europe, la ferme du Moutta est l’une des rares fermes lombricoles en Europe à posséder une trieuse de vers qui permet de séparer les vers de leurs substrat, ce qui permet de peser exactement le poids des vers, vendus 14€ les 250 grammes, pour les jardiniers, ou les pêcheurs. lien
Voila qui pourrait donner des envies aux jardiniers amateurs soucieux de préserver l’environnement, et de faire quelques bénéfices facilement. lien
C’est l’occasion d’évoquer la disparition d’un lieu quasi mythique, l’Ecole de Beaujeu, qui en pleine Bourgogne a fait la promotion de l’agriculture biologique, et donc entre autres de la permaculture.
Au-delà des permaculteurs s'y croisaient des phytothérapeutes, des vétérinaires, des agroécologistes, biodynamistes, homéopathes, microbiologistes des sols…
Lieu de vie, mais aussi d’apprentissage de la vie, elle a malheureusement cessé d’exister en 1998, mais, en 15 ans de fonctionnement, elle a fait naître des vocations, qui aux 4 coins de la planète, ont semé à leur tour la petite graine d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
C’était l’objet de 2 émissions sur l’antenne de France Culture, le 25 janvier dernier, dans l’émission « terre à terre », que l’on peut réécouter sur ce lien (1ère partie) et sur ce lien pour la suite.
On peut aussi avec intérêt découvrir un livre qui évoque ce lieu devenu culte : « une agriculture du vivant » (édition de Fraysse & CEREA), ouvrage collectif préfacé par le grand Pierre Rabhi.
Comme disait mon vieil ami africain : « cultiver son lopin de terre, si petit soit-il, est un acte politique, c’est un acte de résistance ».
L’image illustrant l’article provient de « jack35.wordpress.com »
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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