Et avec ça ?
Ça sera tout ?
Ne vous aventurez pas à demander quelque chose à un commerçant forain. Vous aurez droit, immanquablement, assorti d'un large sourire, à la formule rituelle du consumérisme triomphant : « Et avec ça ? ». Si la forme précise l'intention du questionneur sans nulle ambiguïté, il démontre une volonté avérée de réduire la communication à l'essentiel afin de ne pas perdre de temps en discussions inutiles.
Comment lui en tenir rigueur, si comme souvent, une file d'attente s'est formée derrière le client qui a le bonheur d'être servi. La sécheresse du questionnement porte en elle le désir d'accélérer la procédure avant de satisfaire rapidement le plus grand nombre. Vous devriez vous en féliciter si vous n'étiez venu ici pour vous offrir en prime quelques échanges humains.
Vous devez vous rendre à l'évidence, ici, on ne fait pas salon mais simplement transaction commerciale. Si vous répondez de la même manière économe de vos mots : « C'est tout ! », vous n'aurez plus qu'à attendre le montant à payer. Il ne vous reste plus guère d'espoir de trouver matière à un échange plus élaboré. C'est du moins ce que vous craignez en votre for intérieur.
Mais c'est là que se propose à votre faconde en deuil un sujet de discussion qu'il convient de prendre pour argent comptant. Le mode de paiement vous tend les bras et surtout la langue. Il y a une belle opportunité de tenir le crachoir tout en faisant piaffer d'exaspération ceux qui attendent leur tour.
Autrefois et encore de nos jours, pour les derniers dinosaures de la relation commerciale, le porte-monnaie sort d'une poche quelconque afin de régler la note. Il est alors permis d'échanger quelques mots pour savoir par exemple si le vendeur désire l'appoint ou bien à contrario, se trouve en mesure de rendre la monnaie sur un gros billet.
L'attaque peut tomber à l'eau car de nos jours, nombre de vendeurs occasionnels ignorent tout du sens de ce terme étrange : « Faire l'appoint ». Pire encore, si de votre propre chef vous lui remettez un paiement qui tienne compte de ce désir. Vous aurez devant vous une personne interloquée qui ira peut-être jusqu'à vous dire : « Et avec ça, que dois-je vous rendre ? ». Le calcul mental est manifestement en berne dans notre société.
Supposons maintenant que la bourse reste dans votre poche. Il vous reste alors le paiement électronique pour satisfaire la relation économique que vous avez entamée. Deux possibilités s'offrent alors à vous. Sortir votre téléphone pour les adeptes de ce suivi électronique absolu souhaité ardemment par les autorités ou bien une carte de paiement.
J'ignore tout de la première manière et je ne puis rien vous en dire. Quant à la carte, elle ouvre à un dialogue des plus épuré. « Sans contact ? » Vous découvrez alors stupéfait, que ce que vous preniez pour un contact commercial n'en est pas un. Si vous voulez pousser la conversation plus loin, vous pouvez introduire votre sésame dans un appareil que votre interlocuteur devra vous tendre presque à regret.
Vous vous exécutez de bonne grâce, saisissant un code qui doit rester secret en dépit de tous ses yeux braqués sur vous. « Ticket ? » vous demande-t-on d'un ton comminatoire. Vous répondez alors que vous êtes de la vieille école, que vous appréciez de pouvoir vérifier vos mouvements monétaires sans que votre vis à vis renchérisse sur vos remarques. Il appuie sur un bouton, vous rend votre carte flanquée de ce fameux billet et sans un regard demande à la cantonade : « C'est à qui ! ».
Vous partez en saluant d'une formule qui doit paraître bien trop longue à ce curieux robot vendeur qui ne semble pas maîtriser la grammaire française dans sa complexité : « Je vous souhaite une belle journée et un bon marché ! ». Il vous regarde partir en haussant les épaules...
Illustrations de Christian Jequel
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