« Faites entrer la canaille ! »

La télévision lave plus blanc.
Les temps changent et désormais la présomption d'innocence se fait télégénique aux heures de grande écoute. La télévision française pense créer à nouveau un programme devant le succès considérable de l’opération : un président au lavoir ou comment laver plus blanc ! Chaque fois qu’un individu appartenant au gratin, celui qui n’accroche jamais aux cellules, sortira de garde à vue, les plateaux lui ouvriront grand les bras afin qu’il vienne amuser les téléspectateurs avec ses arguties ; à la condition toutefois qu’il ait bénéficié dans le passé de quelques fonctions d’importance dans une République nécessairement bananière.
Comme il se doit, celui qui a l’âme sombre, la conscience lourde et le passif important pourra s’accorder une supposée nouvelle virginité en venant défendre son honneur devant un public forcément bienveillant. Depuis que la garde à vue autorise de passer la nuit bien confortablement dans son lit, la justice française, toujours à la recherche d’innovation, désire désormais accorder une tribune à celui qu’elle a malencontreusement sali. Cette émission se privant opportunément de la partie à charge pour ne dérouler le tapis rouge qu’à la défense.
Ne jetez plus de jurons ni d’injures sur le passé souillé de cette pauvre victime, dame balance en personne lui octroiera quelques minutes d’antenne pour proclamer son innocence en déclarant à tous comme les gamins pris la main dans le sac : « Vous n’avez pas de preuves ! » et le bon peuple de croire, une fois encore, le menteur patenté. L’audience sera proportionnelle à la noirceur du sujet. Là encore, la surenchère risque d’être la règle tant sont nombreux les candidats au lourd passif.
Que c’est délicieux, à l’heure de digérer son repas, d’entendre les élucubrations de celui qui continuera de nier l’évidence alors qu’il a été pris les doigts dans le pot de confiture. Chacun ira de son excuse ou de sa défense illusoire. Le public de s’extasier alors devant l’imagination des mauvais garçons et les alibis et stratagèmes inventés par des cabinets d’avocats spécialisés dans le brouillage des pistes. Les caméras scruteront en gros plan, les marques de l'indignation feinte et les faux accents de vérité. Un jury d’acteurs décernera des notes de comédie, jugeant non la sincérité mais l’art du faux semblant.
Le concept que le petit réceptionniste d’Accor a ainsi initié est promis à un formidable succès populaire. Des journalistes complaisants (j’use à dessein de ce pléonasme) serviront la soupe à toutes les canailles notoires et célèbres tandis que leurs collègues se montrent généralement impitoyables pour les braves gens qu’ils interrogent dans la rue. La servitude sera le préalable à la participation à ce nouveau programme.
Le prisme déformant du petit écran aime par dessus tout les gredins et les margoulins, les tricheurs et les falsificateurs tandis que les accents de sincérité passent fort mal dans cette lucarne déformante. Pour mettre du sel à l’émission, il faudrait envisager un détecteur de mensonge et aussi, cerise sur le gâteau, des rappels des frasques précédentes du personnage, une sorte de tableau de chasse, de palmarès et de tableau de déshonneur. Naturellement il conviendra de diffuser de très brefs résumés pour ne pas alourdir le programme. Avec certains clients, la nuit n’y suffirait pas !
La grande difficulté pour ce programme résidera dans la nécessité de trouver un présentateur qui ne serve pas la soupe, qui ne soit ni valet de pied, ni maître d’hôtel ; un professionnel capable de débusquer la tromperie et le faux semblant sans jamais lâcher prise ni renoncer à connaître la vérité. J’avoue que là, l’exigence est des plus complexes et qu’il ne doit pas être simple de trouver un esprit libre et indépendant dans ce métier.
Le nom de l’émission reste à déterminer. Le standard devra sans aucun doute s’inspirer du numéro de claquette de notre bon Nicolas. Parmi les postulants plus que probables Les Balkani, Tapi sont sans conteste les prétendants naturels à la première de la nouvelle émission. Celui qui essuiera les plâtres aura droit à une cellule neuve si par malheur pour lui, il n’a pas convaincu les téléspectateurs de sa bonne foi. Un vote à l’issue de l’émission remplacera la trop longue procédure judiciaire, dont hélas, nous savons tous, qu’elle se termine toujours par un non-lieu.
Voilà qui promet de belles audiences, non pas dans les prétoires puisque ces gens échappent toujours aux foudres judiciaires, mais sur nos écrans. On se contentera de ça, puisque dans ce système vermoulu, seul le justiciable de base risque d’être puni tandis que les vrais délinquants, passent toujours entre les gouttes. Nous nous satisferons d’une bonne émission de télé-théâtralité avant que d’aller nous coucher : « Faites entrer la canaille ! »
Programmatiquement leur.
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