Faux et vrais pirates
Il y a donc pirate et pirate : ceux qu’on met à l’ombre en observation à Paris, après qu’ils eurent arraisonné le Ponant, et d’autres, qui habitent pourtant en France, et qu’on laisse libres. Car ce n’est pas tout de pirater, autant le faire parfois sur une plus grande échelle, ça passera plus inaperçu, surtout si on arrive à le présenter autrement, et si on bénéficie de l’aide de politiques ou de médias, avides de sensationnel. Eh bien, figurez-vous que ça existe : on peut subtiliser plusieurs tonnes d’or à la barbe d’un Etat, s’enfuir avec dans un paradis fiscal, et habiter en France sans être importuné. Non, ce n’est pas l’histoire d’un Albert Spaggiari interprété par J.-P. Rouvre que je vais aujourd’hui vous conter : c’est l’histoire d’un acte de piraterie véritable, présenté partout comme étant une recherche archéologique. Voici l’histoire des nouveaux pirates, ceux qui utilisent les plus récentes techniques, des moyens financiers d’entreprises cotées en bourse, qui ont pignon sur rue et bénéficient même de l’aide de musées pour accomplir leur forfait. Des malins, en résumé, qu’un fusil MacMillan de 12,7 n’arrivera pas à arrêter...

Laissez-moi donc vous conter l’histoire de vrais pirates, ceux qui brassent les pièces d’or façon Picsou dans des caisses ou dans des seaux : les vrais Rapetout, ça existe bel et bien, dans notre bas monde. Et ils sont... Américains. Il y en a qui vont encore dire que je le fais exprès, mais non : je n’y peux rien si les forbans que je vais vous décrire viennent de Floride, l’Etat de tous les trafics, semble-t-il depuis longtemps, et dont la notoriété dans le genre semble avoir fait un sacré bond en avant depuis que le frère d’un président connu dirige l’Etat, où le niveau de corruption atteint des sommets alarmants. "Le paradis des scandales" titre à son égard un journal renommé. La Floride, décidément, attire beaucoup de monde. Accrochez-vous au bastingage, on monte à bord de bateaux et, juste après, on plonge au plus profond de la Méditerranée. Les trésors, les vrais, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.
Ça commence par un article du New York Times assez anodin sur une maison de l’arrière-pays niçois. Une bien jolie maison, d’allure classique, à part que dedans il aura fallu tout refaire pour les nouveaux propriétaires : le chien qui s’électrocute à l’arrivée des acheteurs, faute d’électricité correctement installée, l’évier de terre cuite qui explose... et ainsi de suite. Bref, les propriétaires, qui croyaient avoir fait une belle affaire avec cette maison et sa vue sur le Var, déchantent. Pour 450 000 euros, ils auraient pu avoir mieux. Les propriétaires ? Un couple d’Américains bien tranquilles, avec leurs deux enfants, Jesse, 17 ans, et Gabriel, 14 ans, comme le dit le NYT : "The Nessers had been living in Gibraltar, where Mr. Nesser was posted as a liaison for the United States Navy and as an American representative until his retirement in 2006". Un ancien de la Navy, ce propriétaire, un jeune retraité de l’armée, qui connaît bien l’Europe et la France pour avoir travaillé pour l’Otan : "The family first moved abroad in 1996, when NATO offered Mr. Nesser a contract in Italy. They decided to go - and moved everything into storage in Arizona for what they thought would be six months to a year. Twelve years later, it’s all still there." Et aujourd’hui, notre homme "works for an archaeological shipwreck excavation company", précise le journal. Effectivement : Aladar Nesser dirige Odyssey, une entreprise de découvertes archéologiques par sous-marin dont le siège est à Gibraltar, et le bureau principal en... Floride. Une entreprise officielle, qui vient de se comporter en pirate véritable pourtant aux yeux de tout le monde. Des pirates américains vivant et habitant en France, c’est plutôt rare, ça change des pirates somaliens, plus difficiles à attraper, pourtant. Logiquement.
C’est le 18 mai 2007 qu’Odyssey fait parler de lui pour la première fois en Europe : avec la découverte "dans les eaux internationales de l’Atlantique" du plus grand trésor sous-marin jamais trouvé, un trésor incroyable de 500 000 pièces d’argent et d’objets en or. Le tout pesant la bagatelle de 17 tonnes ! Les premières images de la découverte, rendues publiques bien après la remontée des pièces, montrent un navire rempli de seaux de plastique, où s’accumulent les pièces brassées par les deux dirigeants de l’entreprise. Très vite, on apprend que l’intégralité du trésor, à peine déposée sur les quais de Gibraltar, a filé direction la Floride. Où Odyssey jouit d’une réputation assez incroyable, à proposer des activités dans des musées, entièrement préparées par elles, comme à Tampa, en Floride, pour déménager récemment à Detroit. La découverte fait la une de tous les journaux et Greg Stemm, l’autre directeur d’Odyssey, a déjà été invité partout, y compris chez la reine des programmes américains, Oprah Winfrey, à montrer ses petites pièces d’argent... en direct à la télévision. En fait, il montrait alors l’une des 40 000 pièces remontées de l’USS Republic qui avait coulé en 1865 et avait été retrouvé par l’équipe d’Odyssey en 2004 au large de la Georgie (aux Etats-Unis). Les Américains ont une autre notion que nous des biens de l’Etat : le trésor trouvé n’a pas été remis dans un musée : il s’est transformé par la grâce d’Odyssey en véritable trésor, sonnant et trébuchant : That was the 2003 discovery of the S.S. Republic, a Civil War-era steamship that sank in a hurricane off the coast of Georgia in 1865. According to an SEC filing, as of the end of last year Odyssey had sold $33 million worth of coins from the Republic, and it has plenty more in its inventory. Plus de trente millions de dollars dans les caisses permettent de voir venir l’hiver et de rassurer les investisseurs. On est loin de l’archéologie, chargée de protéger les biens. Ils sont ouvertement dilapidés. Présentés partout ou auto-proclamés archéologues, nos hommes vont pourtant se révéler n’être que de vilains pilleurs d’épaves. Des pirates, mais des profondeurs. Des pirates d’un genre nouveau : leur société est effectivement cotée en bourse. C’est la société Omex, pour "Odyssey Marine Exploration".
Car, depuis mai dernier, la remontée des 17 tonnes d’or et d’argent alimente la polémique. La firme Odyssey, en effet, n’avait pas voulu révéler aux autorités compétentes espagnoles l’emplacement du vaisseau découvert, surnommé par elle "BlackSwan" (le Cygne noir). Arguant que cela avait été découvert dans l’Atlantique, au-delà des eaux territoriales car en ce cas revenant intégralement à son découvreur. Dès le 20 mai, la marine espagnole porte plainte par la voix du ministre de la Culture du pays, car, si le pays a bien autorisé la recherche du trésor du Sussex, un galion anglais qui a sombré en 1694 au large de Gibraltar, ce n’était que pour une mission d’exploration archéologique et rien d’autre. Odyssey avait signé au préalable un deal avec le gouvernement anglais, pour garder 80 % du premier million de livres sorti et 50 des suivants, une première comme arrangement entre une marine nationale et un explorateur privé. En fait, le Boeing 757-26N de la firme elle-même, le C-GAWB avait atterri le 16 mai, dès la remontée des 17 tonnes d’argent... emmenant fissa à Tampa l’intégralité de la découverte. L’avion prouvant, par l’exemple, les moyens financiers énormes de l’entreprise d’actionnaires américaine.
Evidemment, pour Odyssey, l’argent est bien celui du Sussex, comme le prévoit le contrat. En fait, c’est El Pais, journal espagnol, qui, après une longue enquête, révèle que le bateau n’est pas le bon. C’est en fait le Nuestra Senora de las Mercedes, coulé au canon le 5 octobre 1804, au large des côtes portugaises de l’Algarve (Portugal) les cales pleines d’or et d’argent de retour de Montevidéo... le bateau reposant désormais dans les eaux territoriales espagnoles. Et même si cela n’avait pas été le cas, il faut savoir qu’une épave et son contenu peuvent être revendiqués de toute façon par un pays, si ce dernier peut établir que le navire battait pavillon national au moment de son naufrage. Or, juste avant son explosion, c’était bien le cas du bateau espagnol.
Adieu, veaux, vaches, et tonnes de pièces... et adieu aussi l’incroyable merchandising de l’entreprise de notre vaillant Niçois d’adoption : tee-shirts, casquettes, maquettes du robot fétiche Zeus chercheur façon boule de neige, etc. Et mieux encore, car là ça devient croquignolet, l’incroyable publicité de l’entreprise commerciale dite d’archéologie. En fait, cette fameuse publicité, c’est Volvo et sa responsable de com’, Linda Gangeri, qui en a eu l’idée et qui va se greffer à fond sur le thème porteur du film de Disney Pirate des Caraïbes. En mettant en ligne un jeu, qui promettait 50 000 dollars de gains au finaliste et une voiture modèle XC70. Un jeu où Odyssey intervenait directement comme étant la firme qui chercherait en direct ce trésor enfoui au large... de Gibraltar. "Real Life", ils disaient, les forbans. La voiture étant enfouie elle dans le sol, dans un container... en mai 2006, aux joueurs finalistes de la déterrer !! L’idée paraît de prime abord farfelue. Le jeu va en réalité exploser le site de Volvo, tout bonnement, avec 32 000 inscrits pour les 21 épisodes de la quête du coffre renfermant le premier prix ! Certains sites révèlent des trucs, évidemment, l’internet lui-même étant devenu un gigantesque lieu de piraterie. Pour faire plus "vrai", Odyssey invente un bateau coulé fictif, le Black Swan... La gagnante de 23 ans, Alena Zvereva d’Ekaterinburg, en Russie, devait faire le déplacement pour venir en sous-marin chercher elle-même le lot au fond de l’eau... manque de chance, la découverte au même moment des 17 tonnes d’argent bousculent tous les plans, et la miss est priée de rester chez elle, Odyssey ayant autre chose à faire... car, en fait, le bateau qui devait déposer la gagnante est bloqué à quai en Espagne, par les autorités, qui viennent d’apprendre qu’elles ont été flouées par Oyssey, qui, à l’époque, ne veut toujours pas révéler l’emplacement de sa découverte ! On assistera même à la farce consistant à la sortie du port de Gibraltar d’un bateau d’Odyssey, l’Ocean Alert, rempli de journalistes pour voir une simple démonstration du petit Rover sous-marin de l’équipe. Suivi par deux bateaux de la Marine espagnole, un garde-côte et une frégate, l’Infanta Elena. Mais pas de trésor de Volvo, ce jour-là. La firme automobile, pas écœurée pour autant et surtout consciente du phénoménal succès de son jeu a déjà remis ça pour le 4 mai prochain... toujours avec Odyssey ! "Real-life shipwreck exploration is uncharted waters for us, and Odyssey did warn us that you never know what will happen out on the high seas. They have been an excellent partner throughout all this, and they helped make this contest one of the most authentic, exciting promotions of the year. Now, pirate story or not, we’re putting everything we have toward raising a thrilling—and happy—ending", affirme-t-on chez Volvo. L’archélogie est bien loin de ce jeu de télé-réalité qui a vu des milliers de gamins, d’adolescents et d’adultes se précipiter sur internet parce qu’au bout il y avait un os à ronger. Un os qui rapporte bien plus que d’aller au musée.
Cette histoire lamentable de chercheurs de trésors flibustiers des temps modernes nous rappelle que le cas s’était déjà produit avec le Titanic, où la Comex qui avait raté le site du naufrage en 1985 s’était fait doubler par l’ORE, pour Ocean Research Exploration, une société de droit anglais à direction suisse ayant comme président Georges tulloch, un Américain travaillant pour BMW. Une société opaque composée de personnes du Connecticut, qui s’en était pris aussi à Robert Ballard, financé par le Texan Robert Grimm, le véritable découvreur des vestiges du bateau. L’ORE avait réuni 3 milliards de dollars en investisseurs pour aller glaner des vestiges... et les revendre, lors d’une campagne de recherches de 1987. Grâce au Nautile de l’Ifremer, loué 38,5 millions de dollars, des objets furent remontés, dont du... charbon, le site étant littéralement tapissé du contenu éventré des soutes du géant. Un charbon qui aurait couvé durant toute la traversée et causé un incendie de chaudière qui aurait pu provoquer ou accentuer le naufrage, le capitaine Smith ayant subitement forcé la marche en sachant qu’il n’arriverait jamais à éteindre cet incendie ingérable (qui ne fait pas de flammes). Mettant en cause la raison donnée depuis longtemps au naufrage seul, raison qui vient d’avoir un renfort cependant avec l’aide de métallurgistes, qui, à partir de l’examen de certains rivets ramenés, en ont conclu que ces derniers étaient en fer et non en acier aux endroits névralgiques que sont l’avant et l’arrière, et qu’ils avaient été mal matés en ayant été insuffisamment chauffés. En somme, le Titanic, comme ses deux sister-ships, tel le Britannic (retrouvé par Cousteau en 1975 !), avait été construit à l’économie, façon XXIe siècle avec le fer doux des boîtes d’outils ou d’objets chinois, dont le chrome révèle parfois du bronze à la place de l’acier. Voilà qui nous replonge dans la dure loi du capitalisme, dont certains ont pu dire qu’il appliquait à l’économie rien d’autre que les lois des pirates ou des flibustiers. Il est vrai que lorsque l’on parle d’achat "hostile" d’entreprise on parle de "raid", et que nos pirates d’Odyssey n’ont rien à envier à ceux qui sont montés sur le Ponant. A part qu’il y en a qui seront condamnés et d’autres pas. Que vous soyez puissant ou misérable... disait La Fontaine, qui s’y connaissait en justice et en mœurs de son époque. L’époque de la flibuste.
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