[Freaky Friday Parasite] Le Jackalope
Article initialement publié sur SSAFT
Si comme moi, vous êtes fan des courts métrages de Pixar, le petit film de 5 minutes suivant ne vous est certainement pas inconnu :
Et dans ce monde de haut et de bas, heureusement que les lapins antilopes sont là !
Certes, c'est mignon tout plein comme court-métrage, mais par contre, qu'est-ce que ce lapin chimérique à cornes vient foutre dans l'histoire ? Ben en fait, en Amérique du Nord, ce genre de créatures sont super connus ! Il y a plein de légendes et de contes de cow-boys autour des fantastiques lapins-antilopes ou “Jackalope” (contraction de Jackrabbit - lièvre- et antalope – antilope en vieil anglais).
Parce qu'un lapin avec des cornes, ce n'est pas assez WTF, la légende veut que le lait de Jackalope possède des vertus médicinales, que ces animaux sont capables d'imiter la voix humaine pour paumer les voyageurs et qu'on peut les capturer avec une flasque de Whisky... Mouais...
Toujours est-il que les images de Jackalope abondent sur le web comme cette représentation provenant de l’altération d’une peinture de lièvre de Dürer datant du début du XVIème siècle :
Mais les lapins chimères ne se cantonnent pas aux States : les bavarois ont leur propre version de cette créature mythique, le wolpertinger, lièvre doté également de bois mais aussi de crocs et ailé. Fun fact : les cryptozoologues cherchant à illustrer le bestiau recyclent la même œuvre de Dürer ce qui donne ça pour le Wolpertinger :
Il a l’air plus féroce, certes, mais je ne résiste pas à la tentation de vous montrer un exploit de taxidermiste ayant naturalisé un ‘vrai’ wolpertinger sauvage :
Son potentiel menaçant prend tout de suite du plomb dans l’aile… Mais comme les Monty-Python nous l’ont si bien enseigné, il faut toujours se méfier des apparences !
Comme le court-métrage de Pixar nous le prove encore, le Jackalope est bien ancré dans le folklore américain, tant et si bien qu’il n'est pas rare de trouver des statues monumentales à l’effigie de la chimère…
L'impact culturel était tel que même Ronald Reagan était fier d'être l’heureux propriétaire d’une tête montée de Jackalope :
Bref, vous l'aurez compris, le jackalope semble être plus un prétexte pour vendre trophées et attrapes touristes qu'une véritable créature arpentant les grandes plaines américaines...
Pourtant, en cherchant bien, on peut trouver que les sources de ce mythes sont en fait assez vieilles et ne se confinent pas aux USA. On trouve les premières références à un lièvre cornu (Lepus cornutus) à la fin du XVIème siècle, notamment sur une illustration du Animalia Qvadrvpedia et Reptilia (Terra) de Joris Hoefnagel :
Étonnamment, ces références n’ont en aucun cas un caractère mystique ou fantasque et entre le XVIème et XVIIIème siècle, il semble que de nombreux naturalistes considéraient l’existence des lièvres cornus comme vraisemblable et les rangeaient dans une espèce distincte des lièvres sauvages. Alors quoi, ils existent vraiment les Jackalopes ? Certes, on peut facilement mettre en doute la parole de ces naturalistes poussiéreux, mais cette photo prise en 1965 par O.B. Lee devrait vous laisser plus perplexe :
Ça y’est, j’en imagine déjà qui pouffent et soupirent derrière leur écran, déplorant mon manque de discernement ou encore maudissant cette perversion pseudoscientifique sur mon blog. Et pourtant, je n’ai que peu de doutes qu’il s’agisse là d’un authentique cliché de lapin à “cornes”. D’où vient mon assurance ? Et bien du fait que ce genre d’excroissances se retrouve assez souvent sur les lapins d'Amérique et qu’il ne s’agit pas de véritables cornes, mais de tumeurs ! Si une espèce de lapin à corne est vraisemblablement fantasque, il existe cependant des lapins atteints d'une maladie relativement commune, la papillomatose, maladie qui entraine une croissance anormale des cellules papillaires de la peau et qui peut dans bien des cas entrainer la croissance de cornes. Le mythe avait du vrai.
Et en fait, les rares lapins qui se retrouvent avec ces excroissances uniquement confinées à leur front sont bien chanceux, car des lapins atteints de papillomatose aïgue, ça ressemble à ça :
Je comprends toujours pas pourquoi il n'y a pas eu une légende du lapin tueur démoniaque mutant, plutôt que ce mythe mièvre d'un lapin antilope...
Toujours est-il que ces pauvres lapins existent bel et bien et ont même fait l'objet d'études scientifiques ! Le premier chercheur à s’intéresser sérieusement à la papillomatose lapine est le Docteur Richard Shope. Au lieu de se braquer et d’ignorer les anecdotes d’un de ses amis prétendant avoir vu des lapins cornus, ce virologiste de renom lui a demandé de capturer les bêtes et de lui envoyer les fameuses cornes. Après réception des échantillons, il a réduit les cornes en poudre qu’il a dissous dans de l’eau, puis il a filtré sa décoction à travers de la porcelaine, censée ne laisser passer que des particules nanoscopiques (grosso modo de la taille de virus). Richard Shope avait en effet l’intuition que ces cornes ne sont en réalité que des sortes de méga verrues (des carcinomes kératinisant), causées par un virus. Il a donc utilisé son filtrat pour frotter le scalpe de lapins sains qui se sont à leur tour retrouvés couverts de cornes. CQFD.
La suite de cette étude, reprise par Francis Rous, fut capitale dans l'histoire de la médecine car elle a permis de se rendre compte que ce virus, injecté directement dans le sang des lapins, entrainait alors des cancers redoutables qui tuaient rapidement les lapins. Rous avait déjà observé ce genre de phénomènes avec un autre virus et chez le poulet, et devint convaincu que les virus pouvaient bel et bien causer des cancers. En le prouvant ensuite à maintes reprises, il fut honoré par un prix Nobel de Médecine en 1966. Qu'un mythe alimente la médecine moderne, c'est fort quand même, non ?.
Revenons-en à nos virus de lapins : comment s’appelle notre coupable ? De manière assez logique, il fut baptisé Papillomavirus de Shope puisqu'il refilait la papillomatose et qu'il avait été caractérisé par Richard Shope. Voici un portrait du vilain en microscopie Electronique à Transmission :
Le voilà notre parasite du jour : un fragment circulaire d'ADN double brin d'environ 8000 paires de bases entouré d'une coque en protéine : la capside. Le génome entier d'un papillomavirus contient environ 8 malheureux petits gènes codant pour des protéines. Et c'est amplement suffisant pour infecter et se propager dans un lapin en le rendant cornu au passage.
A dire vrai, la photo du virus ci dessus n’est pas pas le Papillomavirus spécifique des lapins, mais le notre bien à nous : le papillomavirus humain… Ah ben on fait moins les malins là ! C’était facile de se foutre de la tronche de Pan Pan avec ses cornes qui lui poussent à travers les narines, mais quand on sait que de telles afflictions sont connus chez les humains, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine anxiété à l’idée de découvrir le portrait des affligés. Karma’s a bitch : aux lapins à cornes, correspond non seulement des humains tout aussi cornus, mais des pathologies encore plus terrifiantes (il faut noter que la plupart restent encore mystérieuses et qu’un lien avec des Papillomavirus n’est pas systématique).
On commence par les cornes, retrouvés souvent chez des personnes âgées, exposées au soleil, avec l’un des premier cas documenté chez Mary Davis, une patiente anglaise du XVIIème siècle qui a développé successivement plusieurs cornes dont une a fini dans un musée d’Oxford :
Et maintenant des patients actuels :
Du coup, je ne verrai plus jamais Darth Maul comme avant :
Plus grave, le cas de Dede Koswara, un indonésien infecté par un Papillomavirus et porteur d’une tare génétique d'insuffisance immunitaire entrainant des lésions incroyablement plus étendues que les excroissances précédentes, et qui lui donne une apparence de peau en écorce d’arbre :
Ce n’est pas un cas isolé, même s’il s’agit du cas le plus impressionnant. D’autres patients semblent avoir des lésions plus localisées :
Pour l’instant, ces patients sont traités essentiellement de manière chirurgicale.
Il reste encore la maladie la plus grave, la plus effrayante et la moins funky : le cancer, et plus précisément des cancers oraux, des cancers du col utérin et des cancers du pénis... Le cancer est du à la stratégie adoptée par le papillomavirus qui tend à accélérer la division de la cellule hôte dans laquelle il se trouve car son génome est reproduit au moment de la réplication du génome de la cellule hôte. Plus il y a de cellules, plus il y a de virus. Et la multiplication anarchique de cellules dans notre corps, c'est ce qui forme des tumeurs. La bonne nouvelle, c'est que ce genre de cancer peut, dans certains cas, être évité grâce à des vaccins ciblant l'agent infectieux : le papillomavirus.
La nouvelle Funky, c'est que je vous ai dégotté une étude qui a trouvé une corrélation troublante entre la fréquence de cancers du pénis chez des paysans brésiliens et... la zoophilie. En effet, un groupe de chercheurs a réalisé un sondage en 2011 auprès de 492 fermiers dont 118 atteints de tumeurs du pénis, et déterminé que la zoophilie était largement plus pratiquée dans le groupe atteint de cancers... (même si les risques majeurs observés restent la consommation de cigarette, la présence de tumeur bénigne et le phimosis (lien NSFW)). Cerise sur le gâteau, l'étude a classé la pratique zoophile selon les animaux employés par les sondés. Voici donc le top 10 des animaux sexys pour ces fermiers brésiliens : Juments (N = 80), Ânes (N = 73), Mulets(N = 57), Chèvres (N = 54), Poulets (N = 27), Veaux (N = 18), Vaches (N = 13), Chiens (N = 10), Brebis (N = 10), Cochons (N = 6), et autres espèces (?) (N = 3). N correspond bel et bien au nombres de sondés ayant confié leur préférence sexuelle... 35 % des sondés ayant donc des pratiques zoophiles !!! Les auteurs de l'étude pensent que ces cancers sont probablement dus à un agent infectieux comme un papillomavirus.
Même si la gravité des lésions et pathologies causées par les papillomavirus est effrayante, on peut quand même rester admiratif du pouvoir que peut avoir un virus sur notre physionomie, sachant qu’un virus, c’est quand même qu’un petit bout de matériel génétique incapable de se reproduire par lui même. Et pourtant, il nous met à genou, nous fait pousser des cornes, et façonne nos légendes…
Liens :
Article du Prof. Chuck Holliday
Article TYWKIWDBI
Article io9
Articles Aetiology :
Cervical cancer, vaccines, and jackalopes
Of jackalopes and tree men–and the virus they have in common
Does bestiality increase your risk of penile cancer ?
Références :
Shope R.E, Hurst EW. 1933. Infectious papillomatosis of rabbits. J Exp Med 58:607-624.
Shope R.E. 1935. Serial transmission of the virus of infectious papillomatosis in domestic rabbits. Proc Soc Exp Biol Med 32:830-832.
Wang, W ; Wang, C ; Xu, S ; Chen, C ; Tong, X ; Liang, Y ; Dong, X ; Lei, Y et al. (2007). "Detection of HPV-2 and identification of novel mutations by whole genome sequencing from biopsies of two patients with multiple cutaneous horns". Journal of Clinical Virology 39 (1) : 34–42.
Zequi SD, Guimarães GC, da Fonseca FP, Ferreira U, de Matheus WE, Reis LO, Aita GA, Glina S, Fanni VS, Perez MD, Guidoni LR, Ortiz V, Nogueira L, de Almeida Rocha LC, Cuck G, da Costa WH, Moniz RR, Dantas Jr JH, Soares FA, & Lopes A (2011). Sex with Animals (SWA) : Behavioral Characteristics and Possible Association with Penile Cancer. A Multicenter Study. The journal of sexual medicine PMID : 22023719
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