Je me tire la langue pour mieux la distordre
La perte de sens est l'essence même de ce non sens

La grimace bonasse.
Au fil de tous ces textes où je me tords la langue, commettant ainsi plus de sévices que de délices, le lecteur se perd dans les contre-sens et les impasses de mes errements langagiers. Je vous en demande pardon ; la langue que je vous tire présentement n'est pas une grimace de façade mais bien une nécessité vitale, une expression aux râles !
Acceptez donc de suivre le discours en prenant le risque de vous perdre aussi dans les bosquets et les taillis du terrain vague où ne cesse d'errer ma pensée confuse. Rien n'est jamais certain sur ce chemin qui sort des sentiers battus et des itinéraires aux délais sages. L'à-peu-près est la norme, la confusion, la règle, le contre-sens, le principe fondateur. Les mots ne sont ni fléchés, ni croisés : ils ont ici déclaré sur l'horreur leur indépendance.
Les jeux de mots n'ont pas leur place ; trop communs, ils aiment se taper sur le ventre pour mieux s'entendre dire. La subtilité du taillé sur mesure, cousu main et ajusté au corps de la phrase n'est qu'une posture qui dissimule maladresses et confusions, inculture et illusion. Je fais semblant d'avoir des mots plein la bouche ; vous devriez savoir que c'est louche : celle qui vous sert une soupe dans laquelle baignent des yeux effarés.
C'est la gueule de bois de l'abus d'exception qui plombe le propos et alourdit l'expression. Tel un important réclamant vos voix, je vous impose la mienne, chargée d'idiomes obsolètes, de tournures vernaculaires, de fautes de grammaire et d'une syntaxe de mécréant. Je vous prie d'excuser la turbulence du message, les trous d'air et de ponctuation, les discordances de la concordance, les homonymies sous faux papiers.
Ne cherchez point de règlement de compte dans ces délires sans retenues, ces opérations du saint esprit qui tombent du ciel, ces remises à niveau dans un horizon bouché, ces insinuations pour la galerie, ces perfidies gratuites. Tout ici n'est que factice, artifice et délice de la forme sur le fond. N'étant nullement vénal, je m'interdis pourtant de le toucher ce fond, tout en creusant toujours plus loin pour vous enfoncer dans des abysses d'incompréhension.
Rassurez-vous, je suis moi aussi perdu dans les arcanes de cette langue qui ricane, avec ses règles qui se mettent en travers de mes mots, ses accords qui sont si singuliers, ses liaisons qui se dénouent, ses usages qui s'érodent. Je ne suis pas conservateur de l'héritage démoniaque : le mot n'est ni roi ni tyran d'eau ; il coule sous les ponts et subit les outrages du temps et de ces millions de locuteurs qui s'émancipent du bien parler.
Si je tire la langue c'est qu'elle est trop chargée, qu'elle ploie sous le poids de la faute, qu'elle pend d'un Villon accroché à son gibet, qu'elle refuse de se donner au premier chat venu d'outre- Atlantique, qu'elle préfère l'irrévérence aux propos mielleux des obséquieux. Ma langue me pend au nez, c'est bien là le plus redoutable des risques : celui de trébucher sur des pieds irréguliers, des vers bien trop libres, des quatrains manquant d'entrain.
Je vais finir par passer la main et les larmes à gauche. Je ferai alors don de mon corps au silence. Le point final sonnera le glas des épitaphes qui vous laissent de marbre, des panégyriques trop génériques, des pamphlets qui tombent comme le soufflé sorti du four. Tout ceci n'est que lettre morte, langue disparue, sens défunts, mots dits et crachés, phrases sans verve. Il faut bien admettre que la vacuité a rendez-vous avec la toile, que le creux de la vague s'écrase sur le rivage.
En attendant le temps béni pour beaucoup de l'arrêt au terminus, je poursuis cette folie d'écriture qui me démange le bout des doigts chaque matin. Le clavier se laisse martyriser, l'écran aligne des propos incohérents qui vont divertir quelques curieux et exaspérer les plus nombreux. Je me tire la langue pour mieux la distordre jusqu'à ce qu'on finisse par me la couper !
Obscurément mien.
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