L’agneau mystique de Van Eyck (troisième partie)
Il y avait une grande foule, de toutes nations, de toutes races. Ils étaient devant le trône et l’agneau, les palmes à la main (Apocalypse de saint Jean 7, 9)... Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre. Je vis descendre du ciel la nouvelle Jérusalem (Ap 21, 1-2). La ville n’a besoin ni de soleil, ni de lune ; la gloire de Dieu l’éclaire, l’agneau est son flambeau (Ap 21, 23).

La nouvelle Jérusalem du duc de Bourgogne
A la verticale de Dieu tout-puissant et descendant de Lui, c’est un lever de soleil inversé que Van Eyck a représenté. Mais comme l’annonce l’Apocalypse, il s’agit d’un soleil nouveau : celui du Saint-Esprit symbolisé par la colombe. Les rayons - la gloire de Dieu - éclairent tout le tableau et l’agneau est au centre, trônant sur l’autel.
Nous sommes dans une clairière. Le soleil étant à son zénith indique la direction du sud. Au-dessous de lui, dans le lointain, les basses vallées de l’Ouche et de la Saône séparent l’est de l’ouest. Toujours dans le lointain, à gauche, marquant la ligne d’horizon, les Alpes culminent au Mont-Blanc tandis qu’à droite, toujours à l’horizon, se devine un soupçon de Massif central.
Dans l’horizon plus rapproché de l’est, les monts du Jura se caractérisent par leur végétation arbustive et leurs grandes et sombres forêts de feuillus et de sapins pointus. Un palmier annonce la végétation méditerranéenne. A l’extrême gauche, sur la route de l’Italie, apparaît un urbanisme régional où l’église n’est pas sans rappeler le style de celle de Bourg-en-Bresse (l’église Notre-Dame).
Toujours dans l’horizon rapproché, au bord de l’Ouche, surgit le joyau architectural qu’était la chartreuse de Champmol où les ducs avaient choisi de se faire inhumer. Plus à droite, sur la butte, dans un écrin de verdure, la ville de Dijon, reconnaissable à son palais ducal, symbolise l’urbanisme purement bourguignon jusqu’à la cathédrale Saint-Lazare d’Autun.
Enfin, à l’extrême droite, sur une double butte, la Flandre étale sa splendeur architecturale avec les villes de Gand et de Bruges.
Et il y avait une grande foule de toutes les nations
Au tout premier plan et à gauche, discrètement désigné par un rayon du soleil, le duc Philippe le Bon, coiffé de son célèbre turban rouge, est entouré de tout son état-major. La main sur la poitrine en signe de déférence, l’humilité de sa tenue, tout cela contraste avec le cérémonial pompeux et désuet de la cour de France. Se mêlent aux besogneux de son administration à genoux, et à ses notables, les illustres personnages de l’Ancien Testament dont les anciens rois d’Israël et de Juda reconnaissables à leurs diadèmes. Sans oublier l’homme Jésus, juste derrière le duc, le traître Judas, mais aussi Virgile, le prince des poètes. Rome, la Grèce, l’Orient, tout l’ancien monde est venu au rendez-vous.
Toujours au tout premier plan mais à droite, voici la grande assemblée du peuple pieux. Derrière les laboureurs de la terre à genoux et priant - manants habillés de bure et moine tonsuré - quelques têtes d’Africains annoncent le nouveau monde. Apportant les pierres qui l’ont lapidé (Actes des Apôtres 9, 1-8), le diacre Etienne représente les églises de Bourgogne tandis que, derrière lui, l’évêque supplicié Lievin des Flandres montre ostensiblement la tenaille à laquelle pend encore sa langue sanguinolente ! Mais le plus incroyable, ce sont les trois personnages qui précèdent les évêques. Telle qu’elle existait à cette époque, la tiare pontificale dont ils sont tous trois coiffés ne laisse planer aucun doute. Dans la Jérusalem qu’il ambitionne, Philippe le Bon a l’intention de mettre trois papes à la tête de l’église de son nouvel Etat.
Qu’en pense le pape du moment ? Répondant à l’invitation, Eugène IV est annoncé par Van Eyck comme venant au rendez-vous. Il est suivi de toute la curie de ses cardinaux au chapeau rouge, de ses évêques et de ses innombrables moines tonsurés. Le peintre lui a laissé son manteau bleu mais il lui a adjoint deux autres papes. Nous sommes à l’époque du concile de Bâle qui a vu des évêques contester l’autorité papale. Aussi incroyable que cela soit, Philippe le Bon propose dans ce tableau un retour à une direction collégiale de l’Eglise : nomination de six papes représentant six apôtres (trois pour l’Italie, trois pour la Bourgogne/Flandre), six places restant à pourvoir pour reconstituer le conseil des douze.
Et voilà que venant du sud-ouest, voilà, dis-je, que débouche l’émouvant cortège des femmes. En tête marche la future épouse du duc, Isabelle de Portugal. Elle lui apporte dans son escarcelle la frontière extrême de l’Europe et dans son ventre le futur Charles le Téméraire. Elle apporte au nouvel Etat l’espérance et la paix dans le symbole de la branche de palmier mais aussi l’amour dans le ciboire de roses que porte sa compagne. A sa droite, sainte Barbe se reconnaît à sa tour et la douce Agnès à son agneau.
Il y avait une grande foule. Ils étaient devant le trône et l’agneau, une palme à la main (à suivre... si Agoravox le veut).
Cet article est un extrait de mes ouvrages non publiés.
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