L’empaillé oublié
L’homme, décidément, n’est pas prêt à sortir de la barbarie. D’un monde où tout s’achète et où tout se vend. D’un univers où tout se consomme et s’appauvrit. L’individu n’a plus alors que la valeur que chaque société veut bien lui donner. Et c’est parfois surprenant. Il existe ainsi, en France, comme on l’a redécouvert cette semaine, un musée où l’on peut « contempler » un homme empaillé. Par la volonté d’un aristocrate d’hier et la complicité des « démocrates » d’aujourd’hui. Le musée d’Allard de Montbrison, dans la Loire, conserve, dans un cercueil en bois, le corps d’un ouvrier espagnol d’une trentaine d’années. Ni embaumé, ni momifié, ni jadis enterré avec fastes et honneurs, comme a pu l’être Nefertiti, mais vulgairement empaillé par un taxidermiste parisien, avec ses oripeaux, et jeté entre quatre planches, sans autre forme de respect. Le tout dans le seul but d’assouvir, jadis, la curiosité des visiteurs d’un petit marquis. Et, désormais, celle des amateurs de sensations fortes.
Depuis deux siècles, cet homme, dont on ignore le nom, n’a plus d’identité. On sait seulement qu’il a été accidenté en construisant l’hôtel particulier où il est exposé. Existant à peine comme objet « naturalisé » d’exception, il est ainsi étiqueté au milieu d’une collection d’animaux, entre ours, girafe et une multitude d’oiseaux, et repose caché derrière le couvercle de son cercueil. Anonyme, oublié, dédaigné, méprisé...
Le pire, sans doute, est que personne, aujourd’hui, n’a l’idée de lui donner une sépulture décente, de retrouver son nom et sa mémoire et de lui rendre enfin sa dignité. Et que la France, berceau de toutes les libertés, donneuse de leçons devant l’Eternel et le monde entier, n’a pas encore jugé bon de remettre le corps à ses voisins. De rendre ainsi à sa patrie cet ancien prisonnier, selon toute vraisemblance, de la conquête napoléonienne. Triste destin d’un ancien exilé, devenu ouvrier, pour finir empaillé.
Le conservateur du musée, quant à lui, n’a pas d’état d’âme. On lui a demandé de conserver, et il « conserve », faisant remarquer au passage qu’il s’agit du « seul Européen connu ainsi conservé ». Il a juste l’envie de mieux faire connaître son musée.
De peur, sans doute, d’y être... enterré.
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