L’habit ne fait pas le moine
Nous voilà dans de beaux draps.
Il n’est plus temps de se couvrir la face ; la fibre nationale en prend un sacré coup avec cette histoire de chiffonnier qui occupe l’espace médiatique. Si nous n’y prenons garde, la querelle de lingerie fine va déchirer le tissu social, ça ne fera aucun pli. Je crains que notre unité ne file un mauvais coton et qu’il ne soit plus temps de laver notre linge en famille : la planète entière a désormais les yeux fixés sur notre garde-robe de bain. Les bonnes âmes peuvent repasser, le fer est chaud et il nous fera nous battre !
L’affaire sur les affaires fait grand bruit ; on s’étripe, on s’écharpe, on se déchire, on s’invective, on se lance des noms d’oiseaux à la face alors, qu’en la matière, il eût été préférable de puiser dans un répertoire piscicole. Nul ne veut baisser pavillon, la baignade est désormais sous surveillance, le képi remplace le bonnet de bain, le soldat fait le pied de grue la mitraille en bretelle et personne, dans cette querelle aussi vaine que factice, n’héritera des palmes académiques. Tout le monde est chaud du bonnet.
D’un côté, des naïades si pudiques qu’elles se couvrent de la tête aux pieds pour nous plonger dans un océan de perplexité. De l’autre, des pudibonds d’autrefois qui vitupéraient contre les seins nus et qui aujourd’hui s’indignent de les voir trop couverts. Les desseins des uns et des autres sont impénétrables ; la raison étant au creux de la vague. Un véritable tsunami médiatique accompagne cette farce qui nous fait perdre la face.
Les provocations des uns, les décrets des autres, les postures, les attendus du Conseil d’Etat, les référés et autres esclandres sont venus mettre un grain de sable dans les rouages de notre Etat. Marianne fut même réquisitionnée pour assurer la surveillance de nos plages, tout en servant de nourrice à notre cher premier ministre. Les uns nagent sur le dos, d’autres plongent en eaux troubles, certains ne manquent pas d’air bien qu’ils soient en apnée et tous font des bulles.
Pourtant, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, fût-il poisson tout noir avec des grands piquants. La patience s’impose, le tissu en question, trempé longuement dans l’eau salée ou bien douce-amère, finira bien par rétrécir. C’est plutôt sur la nature du textile qu’il convient de se pencher. Synthétique, il peut mettre le feu aux poudres si la situation actuelle fait des étincelles. En fibres naturelles, il s’indignera d’une polémique aussi artificielle que dérisoire.
La tolérance pour les uns, l’intolérance pour les autres portent toutes deux les habits de l’hypocrisie et de la divine comédie. Manque de peau ou bien excès de tissu, il n’est plus permis de passer la crème dans le dos à ces jeunes dames. Elles peuvent se réjouir de se mettre ainsi à l’abri des rayons ardents d’un soleil tout en faisant passer l'écran total pour un bien ridicule bouclier. Elles ont trouvé la parade absolue aux mélanomes tout en devenant, pour beaucoup, un cancer d’une plus grande virulence.
Et si nous passions l’éponge sur toutes ces simagrées ? Quand Dieu fit franchir la mer Rouge au peuple élu, il ne déshabilla pas les femmes. Quand Jésus marcha sur l’eau, il retira ses sandales pour éviter le scandale. On peut trouver toutes les raisons dans le texte ; tout n’est que question d’interprétation. Il est clair cependant que le ver est dans le fruit et que plus rien ne peut calmer les esprits, à moins d’un bon bain d’eau glacée ...
L’hiver viendra étendre son manteau blanc sur les protagonistes de la pitoyable polémique vestimentaire. En refroidissant les ardeurs, il apportera la preuve que tout cela relevait du réchauffement climatique, de la poussée de fièvre et de la plus parfaite hypocrisie. Chacun pourra alors endosser les combinaisons les plus scabreuses qui soient car, on baigne dans un climat malsain, l’eau est polluée et l’air irrespirable. Les gars de la Marine resteront sur le pont tandis que les demoiselles en dentelles retourneront à leurs pénates, heureuses, sans doute, d’avoir mis de l’huile sur le feu. On jettera alors le bébé avec l’eau du bain en se rendant compte qu’il avait une sacrée couche, les fesses sales et le nez morveux.
Le point de croix, ou bien le pas de Dieu, devrait vous mettre la puce à l’oreille, tout cela n’est qu’une vilaine controverse fomentée par un croque-mitaine céleste et quelques grossistes du Marais. Tirez un peu sur l'écheveau et dévidez la triste bobine : elle a l’haleine fétide et les arrière-pensées frileuses . Tout cela a des relents de braderie ou bien de soldes au rabais. On tire sur la ficelle et elle finit par casser, nous emportant alors dans un tourbillon de querelles, un raz-de-marée de conflits, une prochaine guerre des boutons d'acné. Que tous les protagonistes aillent se rhabiller et qu’ils remisent au grenier ces pauvres fripes mouillées et ces principes éculés ! Tout cela est cousu de fil blanc ; il sera grand temps de faire un ourlet avant que notre société ne s’effiloche définitivement ...
Fripement leur.
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