L’USS Jimmy Carter pêche au gros
Non, non, je ne vous parle pas du président en retraite, qui coule des jours paisibles quand il n’écrit pas des brûlots sur Gaza. Non, je vous parle du sous-marin qui porte son nom. Car, ça peut paraître extraordinaire, mais notre homme, devenu apôtre de la paix, a donné son nom voici trois ans au sous-marin nucléaire américain le plus lourdement armé de son histoire... un sous-marin parti en mission sous les ordres du commandant David Honabach. Et dont on est brusquement sans nouvelles depuis le 21 décembre dernier... mais attendez, il y a bien plus surprenant encore. Car ce sous-marin n’est pas n’importe lequel...
Vous vous rappelez cette semaine cette annonce comme quoi internet a été coupé là-bas, en Egypte et ailleurs ? Je dis ça, car l’annonce vous a paru tellement ordinaire que vous vous êtes dit automatiquement "oui, c’est cela, bien sûr..." en fait j’imagine, à lire les posts de certains blasés de tout et qui rejettent toute info surprenante en la rangeant dans leur classeur à "théorie du complot". Un gros classeur fort pratique pour éviter de parler des sujets qui fâchent. Ce qui vous a peut-être surpris le plus, en fait, c’est d’apprendre qu’on puisse couper l’accès à internet en coupant un câble, ou même plusieurs avec comme excuse toute trouvée "c’est la faute à une ancre de bateau". Pour une, on veut bien le comprendre, ça se produit, mais c’est rare (d’avoir des ancres à ces profondeurs !), et ce qui est plus rare c’est cinq à la fois... car là, ça devient plus inquiétant... ou plus énervant, ça dépend de quel point de vue on se place.
Vous qui avez passé toute votre gentilhommière à la WIFI de type "n", vous en fichez un peu, il est vrai. C’est vrai aussi que cette nouvelle norme est un régal, mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos poissons, car nos fameux câbles sont des câbles sous-marins, comme il en existe... eh bien... pas tant que ça dans le monde, et qui servent à la téléphonie depuis parfois pas mal d’années et aujourd’hui à internet. En réalité 90 % du trafic internet est acheminé par câbles sous-marins, contre 10 % uniquement par satellites, contrairement à ce que d’aucuns peuvent imaginer.
L’histoire du passage de câbles d’un continent à l’autre est passionnante. Depuis que les frères Brett en ont glissé un entre le cap Gris-Nez et le cap Southerland en Angleterre, il y a plus de 158 ans, on n’a plus jamais arrêté. Les premiers avaient réussi grâce à l’usage d’une matière nouvelle pour l’époque, la gutta-percha, trouvée en 1843, un latex naturel du Pallaquium oblongifolia, très isolant, qui ne résiste pas au soleil, et qu’on trouve aujourd’hui encore dans les balles de golf... On a même inventé des bateaux extraordinaires pour les poser au fond de l’eau comme le gigantesque Great Eastern, le navire maudit : en 1866, il réussit à poser le premier câble télégraphique entre les Etats-Unis et l’Angleterre. On avait mis 5 mois à l’enrouler à l’intérieur de ses câbles ! Pour le téléphone, il faudra ajouter presque une centaine d’années, en 1956 exactement, pour avoir le premier câble transatlantique : sans le transistor, inventé en 1948, on n’y serait jamais arrivé avec des relais à lampes sous l’eau ! Le premier câble en fibres optiques devra attendre encore 32 ans de plus : ce n’est qu’en 1988 qu’on a posé le premier. Reliant cette fois d’un seul coup l’Angleterre, la France et les Etats-Unis. Arte, en 2004 avait fait un très beau thème de reportage là-dessus.
Aujourd’hui, la cartographie de ces câbles est assez simple à faire. On en a un circumterrestre, 5 entre l’Europe et les Etats-Unis, 7 dans le Pacifique, dont un qui diverge vers l’Australie via la Nouvelle-Zélande, un beau paquet de nœuds en Indonésie pour desservir Chine et Japon... et quatre qui nous intéressent aujourd’hui, qui traversent la Méditerranée, dont deux à partir de Marseille et deux par Gibraltar, via l’Angleterre et la France via le Finistère. Les 4, après avoir franchi le canal de Suez, longent toute la mer Rouge, et s’incurvent vers l’Est pour remonter après le golfe d’Aden vers l’Inde, 3 d’entre eux subissant un pontage pour desservir Le Yemen et les Emirats arabes unis. Le Qatar, le Bahrein, le Pakistan et l’Inde sont desservis par ces câbles, précisément. Or, aujourd’hui, on constate que les 6 derniers pays cités viennent de subir de fortes coupures, une épidémie survenue sur 5 câbles différents. Nulle information sur l’Iran... ce qui semble bizarre et qui ne l’est pas : depuis 2005, l’Iran bénéficie d’un câble à part en fibre optique déployé par Emirates Telecommunications & Marine Services, un câble composé de 12 fibres optiques offrant une capacité initiale de 2,5 Gbit/s, et fabriqué par Nexans en Norvège. Il relie sur 380 km les plates-formes pétrolières offshores de Soroosh et les îles de Failakah (Koweït) et de Kharg (Iran). L’Iran n’a donc pas été affecté par ses pannes... comme l’a fait remarquer fort justement l’université américaine de Stanford. Oui, mais pourquoi les autres alors ? Pourquoi autant de coupures alors qu’aucun bateau n’a été repéré au-dessus des zones de coupure ? Et qu’aucun glissement de faille géologique n’a été mesuré ?
Ah, ça, en effet, ça peut provenir d’une tout autre histoire... un post collé par un de nos participants ("manusan") à propos des incidents nous a mis la puce à l’oreille. Très vite, en effet, on a retrouvé un précédent à cette étrange panne. C’est une belle histoire, d’un très beau coup des services secrets américains, alors on ne va pas beaucoup se faire prier pour vous la raconter. C’est l’histoire de l’opération "Ivy Bells". A cette époque, dans les années 70, les Américains apprennent que les Russes ont installé un câble sous-marin longeant les îles Kouriles, permettant de relier les bases secrètes de sous-marin de Vladivostok et de Petropavslok. Les Russes, méfiants, ont installé au fond des bouées détectrices de son, capables de détecter toute intrusion étrangère... ce qui n’effraie pas plus que ça les sous-mariniers américains qui y envoient leur plus fins limiers de la NSA (Navy-National Security Agency) et le Halibut SSN-587, un sous-marin d’attaque très spécial équipé de fusées Regulus, lancé en 1959. Les hommes grenouilles sortis du Halibut réussissent à coller sur le câble un petit boîtier ("pod") enregistreur, qui capte les communications sans avoir à couper le câble. Régulièrement, il suffira d’aller relever les bandes d’enregistrement du pod, équipé d’un mini-magnétophone, car il ne peut émettre sans se faire repérer. En cas de détection, le pod se décolle et est emporté au fond. La première moisson est plus qu’un succès : les Russes se sont tellement persuadés que leur câble était bon qu’ils n’ont même pas codé leurs messages ! Mais ça ne dure pas longtemps ; un Samos, satellite espion américain détecte en 1981 qu’il y a beaucoup de "chalutiers" russes au-dessus de la zone du câble et de son boîtier espion. En express, le USS Parche (SSN-683) est envoyé récupérer la dernière bande. Quand il arrive, le pod n’est plus là. Un informateur américain payé 35 000 dollars par le KGB a en fait révélé l’endroit : c’est Robert Pelton, de la NSA, qui est condamné à la prison a vie où il croupit toujours pour ça. Le cylindre est exposé aujourd’hui dans un musée soviétique. Dans l’opération, les Américains ont perdu leurs plongeurs que le Parche n’a jamais réussi à récupérer dans sa précipitation à quitter la zone. Le Halibut n’en était pas à ce seul coup de maître : c’est lui qui découvrit également le K-129 (un sous-marin de la classe Golf2) de la base navale de Rybachiy, un sous-marin nucléaire russe qui avait sombré corps et biens. Découvert et filmé, grâce à son petit robot embarqué, ceci bien avant les images du "Titanic" : "HALIBUT and her sister special ops subs also carried robots that could explore the ocean floor. "We had capabilities similar to those used to find the TITANIC," one crewmember said".
Retrouvé ainsi après des mois de recherches intensives des deux côtés (les Russes cherchant aussi), au large d’Oahu, au Japon, à 4 900 m de profondeur, photographié par le Trieste II de Piccard, le K-129, intact, attire toutes les convoitises. Le président Nixon décide d’aller le chercher en montant l’opération Jennifer à l’aide d’une énorme barge, le Glomar Explorer, construite par Howard Hughes, qui réussira à remonter grâce à son énorme pince un bout, l’avant, le reste retombant au fond en se cassant. Les Américains récupéraient au passage les torpilles nucléaires... et leurs livres de code... et six cadavres, tellement contaminés qu’ils durent être remis à l’eau sous cercueil d’acier fermé au large d’Hawaii. L’autre modèle de sous-marin qui succéda au désormais célèbre Halibut fut donc le Parche, qui était un modèle Sturgeon agrandi, avec un grappin extractible sous la coque pour récupérer plus facilement et directement des éléments intéressants au fond des océans.
Ces deux sous-marins ont été depuis retirés du service. Mais rassurez-vous : on leur a trouvé un remplaçant, qui s’appelle l’USS Jimmy Carter, le président gaffeur devenu prix Nobel de la paix. L’homme aux cacahuètes, ancien officier de la navale, ce qu’on avait un peu oublié. Un sous-marin très spécial, de la série Seawolf, encore une fois, un sous-marin espion, qui a une particularité intéressante : il possède 3 trappes sous sa coque très spéciale en 2 épaisseurs séparées parfois de plusieurs mètres, capables de s’ouvrir à grande profondeur. Il est aussi armé de missiles Tomahawk, et fait 33 m de plus que ces 2 collègues de la même classe car il peut contenir 50 hommes de troupe à son bord, et fin du fin, outre plusieurs robots type "Titanic". Il peut aussi emporter une capsule contenant six hommes, qui peuvent sortir au fond via un sas, pour... aller voir de près les câbles sous-marins... ce pourquoi il a été exactement conçu au départ !!!! "This wouldn’t be any ordinary submarine," says Marc Dodeman, an engineer with Margus Co., of Edison, N.J., a pioneer in undersea-cable installation and repair. "It would have to have some way to take in a cable, while sitting on the ocean floor, without leaking water. That would require some intense engineering." Car le Carter remplace justement l’USS Parche SSN 683, qui a été effectivement désarmé en octobre 2004 !!! Il peut aussi emporter "sur son dos" un DSRV, véhicule de sauvetage au départ que peut aussi servir à déposer six plongeurs sur le fond, des hommes parfois équipés de tenues pour de très grandes profondeurs, des scaphandres rigides articulés. Le site de l’unité spéciale qui les compose re répond plus aux familles depuis le 21 décembre dernier, signe que des opérations spéciales ont débuté depuis... où ça, eh bien on en a une petite idée aujourd’hui...
Si on vous demande où est passé l’USS Jimmy Carter, suivez les câbles, il ne doit pas en être loin. Vous allez me dire, c’est pas malin de couper des câbles internet, si on a un engin qui peut regarder dedans sans même les ouvrir. Oui, certes, mais il ne faut jamais oublier que si vous voulez vous occuper tranquillement d’un flux, il vous est possible de le bloquer à un endroit et d’attendre sagement qu’on vienne le réparer. Positionné un peu plus haut, ou un peu plus bas (ça dépend de ce que vous voulez cacher), vous pouvez alors traficoter ce qui bon vous semble, car dans ce cas ce flux a baissé et vous pouvez davantage tester à l’insu du monde ce que vous souhaitez faire passer dans les semaines à venir par ce flux. Avant le 11-Septembre, certains curieux avaient noté une chose. Des sites alternatifs européens avaient été fermés, leurs connexions interrompues, sous prétexte que l’un d’entre eux avait révélé le visage de policiers. Ces sites parlaient déjà d’étranges mouvements de réseaux islamistes aux Etats-Unis, en liaison avec la CIA. Maintenant, vous pouvez me ressortir la théorie du complot si ça vous chante. Moi je trouve que tant qu’on ne sait pas où précisément est passé la cacahuète géante qui se tapit au fond de l’eau... je peux toujours imaginer une opération tordue, puisque les exemples historiques démontrent que c’est faisable et que ça a déjà été fait. La technique utilisée avec la fibre optique est différente, et a été décrite avec un certain brio à cette adresse. Elle nécessite une interruption obligatoire, car il faut à tout prix que le flux soit coupé... On se permet donc de citer ici l’intégralité du passage, car tout y est :
Loin de l’endroit choisi où l’on veut "prélever le
signal" pour écouter, on va laisser tomber quelque chose sur le câble
ciblé. Cela va l’écraser et fatalement créer délibérément un beau
défaut, qui autant que possible, sera un peu long à réparer.
Alors
en constatant le défaut, les opérateurs techniciens et leur hiérarchie
finiront par mettre le câble "off" après une belle partie de
télémesures, puis ils vont envoyer un navire câblier vers le défaut
pour le réparer.
Ceci sera très bien pour tout le monde :
L’exploitant du câble qui veut que "ça marche" et...
L’espion qui veut que l’ennemi répare son câble.
Durant cette réparation, il faudra naturellement pendant "un temps T", stopper la téléalimentation et les télémesures pour pouvoir travailler.
Du
ciel, par exemple, on observera joyeusement le navire câblier sur place
et l’absence de très haute tension sur l’âme du câble trahira le début
des travaux de réparation.
Sans télémesures, c’est le moment d’agir !
Durant l’intervalle de temps sans les télémesures, pendant que les gars du câblier travaillent, l’équipe de plongeurs du sous-marin espion de la NSA devra faire vite et bien pour réaliser son propre jointage secret, en même temps que celui de la réparation officielle...
A vous d’imaginer maintenant comme quoi le but réel de l’opération : personnellement, depuis DesertFox, on sait que la maîtrise de l’information dans une région en guerre est primordiale aujourd’hui. Qu’au Pakistan se cachent les membres d’Al Qaida ou des sympathisants, et que le gouvernement pakistanais est de mèche avec eux via ses services secrets. Que leurs téléphones portables sont surveillés, et qu’ils communiquent aussi par internet, massivement, avec tous les artifices que leur ont expliqué leurs maîtres de la CIA, et dont ils ont bien retenu les leçons. Et qu’un sous-marin bien placé pourrait écouter tranquillement tout ce qu’il veut. Et qu’il peut aussi bloquer ce qu’il souhaite en cas d’attaque d’un pays ou en cas de préparatifs d’attaque. Pas très loin, il y a l’Iran, il est vrai : le seul pays à ne pas avoir été touché, dans la région, par cette panne étrange. Le seul à posséder un trafic internet normal. Le seul à narguer autant les Américains en leur proposant cette semaine de devenir une nation lanceur de satellites. Il y a plusieurs moyens de cerner un pays. On peut d’abord commencer par cerner l’information de ses voisins proches, y faire circuler toute la désinformation souhaitée et attendre qu’il morde à l’hameçon de l’une d’entre elles. Et trouver le bon prétexte tant attendu pour attaquer. L’USS Jimmy Carter vient de poser au fond ses hameçons et n’attend plus que le poisson iranien arrive et morde au bon endroit, ce qu’il ne devrait pas tarder à faire. On a souvent raillé Jimmy Carter piètre pêcheur à la ligne à bord de sa petite barque de retraité bricoleur. Le sous-marin qui porte son nom devrait être plus adroit. On verra bientôt ce qu’il a pêché. La pêche au fond, souvent, ça ramène plus que des plies ou des carrelets.
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