La Péluda, la sorcière et les fiancés
Méli-mélo sarthois
En ce temps lointain, il advint une fort étrange histoire qui mérite qu'on s'y attarde en se faisant un malin plaisir d'embrouiller à loisir le vrai du faux. Il s'agit avant tout de planter le décor. Nous avons besoin tout naturellement d'une rivière car l'eau ici-bas est source de vie mais plus encore de mystères. Malheur du reste à qui s'aventure à vouloir se l'approprier.
Pour faire tourner les langues et l'imagination, quoi de mieux qu'un moulin. Daudet nous en a fait démonstration quoiqu'il eût les oreilles tournées vers le vent. Allons plus avant dans le temps et posons-nous auprès d'un moulin à eau lové en bord de Sarthe. Comme Pagnol fit sa demeure d'un moulin voisin, il me sera permis non point d'en faire un film, mais tout simplement un conte.
À deux pas du Moulin de Percé, celui du bourg, il y avait là un chêne vert qui abritait les amours secrètes de deux jeunes gens qui s'aimaient d'un amour sincère. Lui n'était hélas que le valet du meunier tandis qu'elle était la fille de ce riche Taquenier. Si leurs cœurs battaient à l'unisson, l'éventualité d'un mariage relevait de la plus pure fantaisie. La mésalliance ne pouvait s'imaginer du côté d'un meunier qui en la matière et bien malgré lui, avait été aussi le dindon de la farce.
Si Colin et sa Jeanne avait appris que maître Cornille n'était en rien le géniteur de celle qu'il couvait comme la prunelle de ses yeux, ils se seraient sans doute autorisé la fugue pour se priver de son consentement. Les conventions hélas leur interdisaient pareille entorse aux traditions ce qui n'avait nullement été le cas de l'épouse du meunier : la belle Aurélie, aussi volage que peut l'être l'eau qui court.
Mais laissons le pauvre homme à une réputation qui ne cesse de courir dans la profession. Du minotier jusqu'au boulanger, il ne suffit pas d'être bonne pâte pour que son grain soit seul dans sa remise même si pour celui-ci, c'est le travail de l'écorce qui faisait de lui le gland de l'histoire. Sa sévérité à la fois pour son valet et plus encore pour celle qu'il avait élevée avec une rudesse qui pouvait sans doute puiser son explication dans les doutes qui l'assaillaient avait rapproché ces deux êtres toujours sous le joug de ce maître redoutable.
De consolation en plaintes communes, une complicité était née dans l'adversité qui se mua avec l'âge en un amour irrépressible. En dépit du risque qu'il y avait à être surpris par le méchant homme, ils se trouvaient dès que possible au pied d'un saule pleureur dont quelques branches venaient effleurer la rivière.
Se pensant à l'abri des regards sous cette coupole végétale, ils se tinrent tout d'abord par la main puis échangèrent de doux bécots qui se firent progressivement de langoureux baisers qui les conduisirent à voir le faîtage du bel arbre à tour de rôle. Sans y voir malice, la nature et leur folle passion les avaient conduits à commettre ce qui parfois est lourd de conséquences.
C'est naturellement ce qu'il advint. La pauvre Jeanne sentit naître en elle un fruit défendu qui allait entraîner la colère d'un père qui avait d'autres ambitions pour elle avec une alliance avec le fils d'un tanneur prospère du coin. Les intérêts ne se confondent que trop rarement avec les sentiments. Mais pour l'heure, il fallait faire passer la preuve de leur faute avant que d'envisager un moyen de faire admettre leur union plus tard.
Ils se tournèrent vers dame Irène, une vieille femme du coin qui vivait à l'écart dans une masure cachée dans les bois. Elle passait son temps en cueillettes de simples qui ne manquaient pas dans la région. Elle en connaissait tous les secrets et offraient ses services à qui osait venir frapper à sa porte en dépit de sa sulfureuse réputation.
Irène fut particulièrement émue de recevoir non seulement la jeune fille comme souvent c'était le cas lors de problèmes analogues mais aussi son amoureux qui avait eu le courage de l'accompagner. Comprenant sans qu'ils aient eu besoin de formuler leur quémande qui leur pesait lourdement sur la conscience, elle prit les devants plaçant la discussion sur une tout autre voie.
Irène, certaine de l'amour que ces deux-là éprouvaient l'un pour l'autre car elle avait maintes fois remarqué leur tendre parade et encouragée par la présence du garçon en cette si lourde occasion, se proposa non de faire passer le délicat fruit de leur merveilleuse faute, mais de trouver stratagème pour amadouer le vilain meunier et lui faire accepter ce mariage et cet enfant.
Colin et Jeanne étaient aux anges. La réputation de la vieille femme leur parut dans l'instant vraiment injuste. Elle n'avait rien d'une sorcière. Un cœur en or se cachait sous une physionomie que des années de rejet de la vie sociale avait façonné de bien inquiétante manière. Colin se jeta au coup de la vieille femme qui ne se souvint pas d'avoir reçu pareille offrande.
Après les effusions, il fallut cependant passer à la réalisation d'un projet qui n'allait pas de soi tant le meunier était homme redoutable en affaire. Irène cependant avait à sa disposition un secret qui valait tout l'or de ce pays. Mais avant que de leur en faire cadeau, elle souhaita en narrer par le menu l'histoire…
Mes chers enfants, avant de vous dévoiler ce secret qui épargnera votre amour et cet enfant que vous appelez de vos vœux, il me faut raconter mon aventure à la source du secret qui vous permettra de vivre heureux… Il y a fort longtemps, alors que j'étais jeune, passionnée des secrets des plantes afin de soigner mes semblables, je vivais alors assez loin en amont de ce moulin. Je vivais une vie ordinaire, les gens n'attribuait pas alors ma connaissance des simples à un quelconque pacte que j'aurais pu contracter avec le diable.
Il est vrai que je me contentais des remèdes que toutes les bonnes femmes avaient appris de leur mère si ce n'est que mes connaissances étaient simplement plus vastes que la plupart d'entre-elles. Mais un jour un mal terrible s’abattit sur la contrée semant la désolation et parfois la mort après de grandes fatigues, des amaigrissements et de nombreux vomissements. Longtemps je me trouvai dépourvue à soigner les gens, ce qui me valait déjà des regards torves et des injures sournoises.
Je ne pouvais accepter cette impuissance. Je quittai le pays pour me diriger vers la Bretagne voisine afin d'y rencontrer un des derniers druides dépositaire de bien des secrets. J'avais entendu parler de Fingen un druide guérisseur parmi les plus réputés. Il avait eu des échos de ce qui se tramait en bord de Sarthe depuis que le vin y était abondamment cultivé et consommé. Il me confia un remède.
Pour mon malheur, ce fut la mandragore, cette plante à la si fâcheuse réputation qui me permit de soulager les maux de foie. Immédiatement ma réputation sombra dans les pires superstitions qui naissent chez les esprits simples. Je fus montrée du doigt, pourchassée, attrapée, attachée et jetée à l'eau pieds et poings liés et lestée de quelques pierres.
Par bonheur, les gens dans leur fureur n'avaient pas fait des nœuds dignes des bateliers qui passaient sur la rivière. Je parvins à me sortir de ce piège mortel et sortis de l'eau en prenant bien garde de m'écarter assez loin de ceux qui avaient attenté à ma vie. J'entendis des hurlements : « Ar'nage ! Ar'nage » et je quittai ce lieu maudit sans demander mon reste non sans avoir au préalable créé une bête monstrueusement velue : la Péluda, capable de semer l'effroi parmi ces ingrats.
Pour créer ce monstre dont la description fait froid dans le dos : « porc-épic de la taille d'un bœuf, avec des projections vertes ressemblant à des poils pendant le long de son corps et qui se trouvaient être des tentacules munis de dards qui pouvaient se dresser en piquants. » J'ai mis toute ma science et mon savoir-faire en usant cependant d'un stratagème pour être en mesure de la détruire si un jour le besoin s'en faisait sentir. L'animal tout comme Achille, n'est pas invulnérable ; il existe un point faible pour le terrasser comme tout bon dragon qui se respecte. Je vais te le confier Colin ainsi quand tu triompheras de la Péluda, personne ici ne pourra rien te refuser.
Et c'est ainsi que dans le secret de cette masure, Irène indiqua au jeune homme le point vulnérable du monstre. La vieille se sentait au bout de son existence, sa vengeance pouvait prendre fin et il n'y avait pas plus belle manière de s'en aller que de permettre les amours de ces deux-là. Pourtant, la guérisseuse ajouta une requête à sa confidence. Elle confia à Jeanne un filtre d'amour non pas pour elle mais pour le glisser dans la tisane de la pulpeuse Aurélie afin qu'elle cesse de chercher ailleurs l'amour que pourrait lui donner son meunier de mari. Ainsi Cornille cesserait d'être un mauvais homme par désespoir ce qui faciliterait la vie du jeune couple.
Ainsi fut fait. Colin terrassa la bête en lui coupant la queue, le talon d'Achille du monstre, il épousa sa Jeanne tandis que Cornille et Aurélie coulaient enfin des jours heureux au bord de la rivière. La paix et la tranquillité revinrent sur la Sarthe tandis que l'harmonie régna dans le magnifique moulin. Irène quitta ce monde en confiant ses secrets d'herboristerie à Jeanne qui jamais ô grand jamais ne passa pour une sorcière.
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